Critique du film
et du DVD Zone 2
MAIS QU'AVEZ-VOUS FAIT A SOLANGE ?
1972
En 1972, la mode du Giallo bat son plein. Les film sortent à un rythme pratiquement hebdomadaire, avec ce que cela implique comme risques de dégénérescence du genre, de redite et de lassitude du public. Pourtant, cette année-là sort MAIS QU'AVEZ-VOUS FAIT A SOLANGE ?, un des classiques du genre. Comme d'autres Giallos, il s'agira d'une co-production entre un producteur italien et un partenaire allemand. Ce pays aimait en effet exploiter ces films comme des successeurs de leurs Krimi alors en plein déclin. Le scénario sera ainsi vaguement basé sur un roman d'Edgar Wallace et produit par la firme germanique Rialto, deux noms incontournables pour ce style de film policier qui connut une très grande fortune public dans la RFA des années 60. MAIS QU'AVEZ-VOUS FAIT A SOLANGE ? n'en reste pas moins tourné par une équipe artistique italienne menée par le réalisateur Massimo Dallamano, ex-chef-opérateur de Sergio Leone qui venait de tourner LE DEPRAVE, une adaptation de "Le portrait de Dorian Gray" mettant en vedette Helmut Berger. Aux côtés de Dallamano, le poste de directeur de la photographie est occupé par Aristide Massaccesi, alias Joe D'Amato ! En vedette, nous trouvons Fabio Testi, jeune premier alors en train d'émerger et dont la carrière oscillait entre Bis (surtout de westerns) et films plus sérieux (LE JARDIN DES FINZI-CONTINI de De Sica, DOMMAGE QU'ELLE SOIT UNE PUTAIN de Giuseppe Patroni Griffi).
A Londres, une élève d'un lycée catholique est tuée de façon particulièrement sadique par un criminel qui lui a enfoncé un long couteau dans le sexe ! Scotland Yard établit que l'assassin doit être lié à l'école. Enrico, un enseignant italien qui était proche du lieu du crime au moment où celui-ci s'est déroulé, fait un suspect idéal, et ce d'autant plus qu'on apprend qu'il vit une liaison avec une de ses élèves...
Comme nous l'avons vu, MAIS QU'AVEZ-VOUS FAIT A SOLANGE ? entretient de nombreux liens avec le genre du Krimi, les spécialistes n'hésitant d'ailleurs pas à le classer comme un des derniers "Edgar Wallace" officiels produits par l'Allemagne. Il est exact que nous en retrouvons certains éléments typiques. L'action se déroule à Londres, Scotland Yard mène l'enquête, le Tower Bridge fait régulièrement son apparition à l'écran, il est vaguement question de sociétés secrètes... Quant à cette histoire de crimes terribles commis dans le cadre d'un pensionnat de jeunes filles, il nous rappelle des intrigues de ces films, en particulier celle de DER UNHEIMLICHE MONCH dans lequel un assassin sévissait au sein d'un tel établissement. Des acteurs allemands habitués à la saga des Edgar Wallace sont aussi de la partie, tels la blonde Karin Baal (LES MYSTERES DE LONDRES) ou surtout Joachim Fuchsberger, grand spécialiste de cette série, qui mène ici l'enquête pour le compte de la police britannique.
Malgré tout cela, MAIS QU'AVEZ-VOUS FAIT A SOLANGE ? reste avant tout un marqué par le pays de son réalisateur. Il s'agit définitivement d'un Giallo dans une tradition assez pure et dure. Nous y retrouvons les incontournables protagonistes aux origines cosmopolites. L'atmosphère de luxe passablement décadente et érotique est bien présente. Le thème des perversions sexuelles répond bien à l'appel, tout comme celui du voyeurisme. Le tueur (en soutane !) porte des gants de cuir noir et tue à l'arme blanche ou à mains nues, parfois au cours de plans subjectifs relevant dans la plus pure tradition d'un Dario Argento. Les victimes sont jolies, les meurtres peu ragoûtants et empreint d'une brutalité parfois spectaculaire. Pour la musique, Ennio Morricone, encore lui, revient aux stridences expérimentales qu'il avait commencé à expérimenter dans L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL. Enfin, bien qu'elle se déroule en Grande-Bretagne, pays protestant, l'action s'inscrit dans une école tout ce qu'il y a de plus catholique, la mécanique de la confession étant même un élément incontournable de l'intrigue. Bref, même à Londres, nous sommes un peu en Italie !
MAIS QU'AVEZ-VOUS FAIT A SOLANGE ? ne doit pas être confondu avec certains sous-produits du genre que sortaient alors des producteurs peu scrupuleux. Entièrement tourné à Londres avec le solide support financier de Rialto, il bénéficie d'une facture et d'une mise en images remarquables. La photographie s'avère impeccable, les décors réels sont variés, le casting est diversifié et la mise en scène toujours élégante et classieuse. Bref, ici, nous ne sommes pas dans une production cache-misère, mais bien dans un vrai, beau film, réalisé avec l'application et le soin technique portés aux meilleurs films italiens de cette période. Ce qui n'est pas peu dire !
Durant plus d'une heure quarante, MAIS QU'AVEZ VOUS FAIT A SOLANGE ? ne paraît jamais exagérément long, et cela grâce à un remarquable scénario, maniant avec habileté les rebondissements et les changements de ton. Le spectateur est baladé de suspect en suspect au travers d'un suspense qui commence en douceur avant de s'avérer de plus en plus intense au fur et à mesure que les éléments de l'intrigue se déploient. Quand le film se termine, tout finit par s'ordonner de manière rigoureuse et intelligente. Bref, en ce qui concerne l'écriture, il s'agit d'une vraie réussite. Et cette réussite, sa belle distribution la met remarquablement en valeur, donnant corps à une galerie de personnages vivants et, finalement, touchants. Relevons ainsi la présence de la très intense Camille Keaton dans un rôle-clé, quelques années avant son rôle célèbre de I SPIT ON YOUR GRAVE. Au-delà de son intrigue policière, MAIS QU'AVEZ-VOUS FAIT A SOLANGE ? ose aborder quelques sujets tabous, sujets dont certains restent encore délicats aujourd'hui. Certes, quelques notations datées peuvent aujourd'hui faire sourire (on rosse un hippie avec une certaine jubilation !), mais le propos ne manque pas de courage, ni d'une réelle émotion.
Si Massimo Dallamano n'a pas mené une carrière majeure dans le cinéma d'épouvante ou dans le fantastique, il n'en a pas moins signé ce très beau Giallo, une des réussites majeurs du genre méritant nettement d'être découverte, et pas seulement par les amateurs de Bis ! En Italie, à sa sortie, MAIS QU'AVEZ-VOUS FAIT A SOLANGE ? recueille un joli succès. Pourtant, il nous semble bien qu'il n'ait pas eu le droit à une sortie en salles de par chez nous... Cette injustice fut réparé au temps de la vidéo où il eut droit à une distribution dans notre pays, sous l'égide de Hollywood Video, avec une belle jaquette signée Melki.
Aujourd'hui, c'est au tour de Néo Publishing de nous proposer un DVD de ce film, déjà abondamment sorti dans le reste du monde, au Japon ou en Hollande (recadré en 2.00) par exemple. Les deux principales éditions jusqu'alors étaient le disque américain publié chez Media Blaster (qui ne propose que le doublage anglais) et le disque italien qui, de son côté, laisse le choix entre la version anglophone et la version italienne, avec des sous-titres dans ces deux langues.
Le disque Néo contient une copie tout à fait magnifique du métrage, une vraie réussite. Quelques rares arrières-plans frémissants ne suffiront pas à gâcher le plaisir que l'on prend face à ce télécinéma de haute volée. Bref, un sans-faute.
La bande-son est proposée ou bien dans une version française mono (un peu étouffée, mais acceptable), ou bien en version italienne avec sous-titrage français imposé. Dans les suppléments, il est clairement établi que le film a été tourné en anglais (sans prise de son) afin de le post-synchroniser dans cette langue et faciliter son exportation. Toutefois, les principaux acteurs du métrage étant italiens ou allemands, nous nous permettons d'émettre des réserves sur la qualité éventuelle de ce doublage pour lequel les comédiens ne devaient pas se doubler eux-mêmes, ou alors dans une langue qu'ils ne maîtrisaient sans doute pas bien. Bref, proposer la version italienne en l'occurrence ne nous semble pas une solution révoltante. L'idéal aurait sans doute été de nous proposer les deux doublages, comme sur le disque italien... Notons au passage que la version doublée en français dure une petite minute de moins que la version intégrale italienne. Cela est expliqué sans ambiguïté par un carton au début de la copie française. Un constat qui ne manque pas de sel si l'on veut bien se souvenir que la VHS française affichait fièrement la mention "Version intégrale" !
Là où le disque Néo enterre ses concurrents, c'est bien au niveau de l'interactivité. Alors que les disques italien et américain se contentent de quelques notes écrites ou de matériel promotionnel, le DVD Néo est le premier à proposer des interviews des créateurs du métrage ! Certes, Dallamano, décédé depuis 1976, n'apparaît logiquement pas. Mais nous bénéficions de deux documents intéressants créés récemment. Le premier dure vingt minutes et réunit le producteur Fulvio Lucisano et l'acteur Fabio Testi. Ils s'expriment sur ce métrage, sa création et sa postérité. Ces interviews mêlant fierté et nostalgie partent parfois un peu hors du sujet, mais elles restent très intéressantes pour ce film plutôt mal documenté en général. En plus, une interview de quinze minutes réalisée en même temps que ce documentaire porte un regard plus général sur la carrière de Fabio Testi. Certes, lorsqu'il évoque les divers réalisateurs avec lesquels il a travaillé, Testi tend à rester dans des généralités polies et peu développées. Il est par contre plus passionnant lorsqu'il évoque sa carrière et les raisons du déclin tragique qu'a rencontré le cinéma italien, un des plus prolifiques et les plus admirés du monde, pulvérisé en à peine une décennie par l'arrivée de la télévision et l'apathie politique de ce pays en matière culturelle.
Le reste des bonus s'avère plus banale : une fiche technique, des filmographies pas toujours très rigoureuses ("Chef-opérateur" devient "Cinéaste" dans la section consacrée à Dallamano !) et quelques agréables documents iconographiques (affiches, photographies de plateau).
Si on nous avait annoncé cette édition française il y a un an, nous n'y aurions pas vraiment cru ! Heureusement, grâce à sa collection Giallo, Néo Publishing nous fait découvrir ce classique, relativement rare de par chez nous, dans de bonnes conditions. Encore un effort à saluer, donc !