Les premières années du nouveau millénaire consacrent l'incontestable bonne santé de la fiction d'horreur britannique en proposant un certain nombre de métrages dont quelques uns relèvent du “gore humoristique”. Ainsi SHAUN OF THE DEAD (Edgar Wright, 2004) fait-il rire aux éclats des salles entières de cinéma (mais forcément en France), conquises par le mélange savoureux d'une violence ostensible et d'une tonalité comique particulièrement rafraîchissante. Sans être spécifiquement anglais, le sous-genre a inspiré divers sujets de la Couronne comme l'illustre FUNNY MAN. Écrit et réalisé par Simon Sprackling en 1994, le film emprunte ses comédiens aux productions télévisées tel Tim James (“CHEF!”, 1993), Benny Young (“BOON”, 1990-1991) ou Matthew Devitt (“RED DWARF”, 1988). Exeption faite du “lucratif” Christopher Lee, acteurs ainsi qu'équipe technique demeurent inconnus du grand public. Le phénomène reste fort négligeable au regard des indéniables qualités d'une œuvre qui, la ressortie d'un DVD estampillé Néo publishing l'atteste, mérite d'être découverte.
Une partie de poker permet au producteur d'une maison de disques (Benny Young) d'acquérir un manoir anglais. L'ancien propriétaire du lieu, Callum Chance (Christopher Lee), ne paraît pas être ébranlé outre mesure par cette perte et pour cause! À peine arrivés dans leur nouvelle résidence, Taylor et sa petite famille (Ingrid Lacey ; Jamie Heard) subissent l'action meurtrière d'un mystérieux Joker (Tim James) tandis qu'un groupe d'“invités” s'apprête à débarquer au sein de la bâtisse maudite...
En premier lieu, FUNNY MAN s'inscrit dans la catégorie des “comédies d'horreur” déjantées qui firent les beaux jours de maintes vidéos clubs durant les années quatre-vingt. Plus drôle qu'effrayant, ce genre de métrage propose aux spectateurs de suivre les aventures de personnages souvent stéréotypés, confrontés à une figure horrifique tant perverse que grotesque. Prises au second degré, les exactions sanguinolentes des Freddy (LES GRIFFES DE LA NUIT, 1984, Wes Craven) aux morts-vivants (RE-ANIMATOR, 1985, Stuart Gordon ; LE RETOUR DES MORTS-VIVANTS, 1985, Dan O'Bannon ; BAD TASTE, 1987, Peter Jackson) empruntent une démesure naturellement jouissive à l'esthétique grand-guignolesque classique. Les codes du sous-genre permettent ainsi à Simon Sprackling de réinterpréter non sans drôlerie le mythique “tueur masqué” qui, du FANTÔME DE L'OPÉRA (1925, Rupert Julian) à LA NUIT DES MASQUES (1978, John Carpenter), ne cesse de terrifier les foules. Suivant ce principe, les faces austère ou révulsantes de Michael Myers et Leatherface subissent un “lifting” pour arborer quelques couleurs criardes et affirmer leur caractère diabolique par un hideux sourire. L'Indéterminé qui suscitait l'effroi de Laurie Strode et du public se personnalise afin de provoquer le rire, précisément celui que l'on entend depuis l'Antiquité au cours des Lénées ou raisonner encore au Moyen Âge durant la Fête des Fous et autres charivaris. En effet, FUNNY MAN soumet son esthétique et ses implications socio-philosophiques aux traditions carnavalesques occidentales. L'utilisation excessive des lumières bleues, rouges, vertes et l'architecture très kitsch du château caractérisent un univers de “carton-pâte” naturellement propice au surgissement du Joker.
Ce dernier ne se fait guère attendre pour commettre ses forfaits! Surgissant, gambadant, sautillant, pirouettant, le Fou traverse son manoir avec une euphorie qui validerait s'il en était encore besoin, la théorie suivant laquelle Baudelaire comprend le “comique”, “un des plus clairs signes sataniques de l'homme” (“De l'essence du rire”, 1855). À ce propos, le cinéaste affermit cette perspective d'ensemble à l'aide d'apartés directement offertes au spectateur ou via certaines séquences explicitement cocasses. Une partie de football avec une tête de mort comme ballon, une banderole d'accueil fort éloquente - “Loi de l'enculage maximum” - et de multiples mimiques consacrent l'humour “british” d'une œuvre en outre pourvue d'une métaphore sociologique intéressante.
Politisation d'une manifestation à l'origine eschatologique (ancêtre parmi tant d'autres du carnaval, les fêtes antiques dédiées au dieu de l'Enthousiasme et de la transe, Dionysos, s'inscrivent sous le signe du désoeuvrement et du renouveau. À la fin du mois de Posseidon du calendrier athénien - 15 décembre / 15 janvier - l'hiver encore présent condamne les paysans et les marins à l'inaction. Paradoxalement, cette oisiveté imposée préfigure le temps d'action qu'incarne effectivement et symboliquement le renouveau printanier. De fait, les mois de décembre et janvier restent propices aux festivités licencieuses avant que soient remises à l'ordre du jour les lois cosmiques), le carnaval occidental vise la remise en cause des conventions sociales lesquelles s'affirmeront en ces pratiques. Ainsi, la Fête des Innocents (XIIème siècle) simule un renversement de l'ordre ecclésiastique en choisissant un faux évêque parmi la racaille citadine. Du 28 décembre au 1 janvier, le peuple peut railler l'Église et ses représentants en dansant et beuglant devant la maison de Dieu ou en jetant des ordures sur les passants. Ce blasphème demeure autorisé par le Clergé conscient de sa portée “cathartique”. FUNNY MAN s'inspire du processus pour faire du Joker l'allégorie d'une contestation politique. Le réalisateur s'attaque ici aux différents travers d'une société de consommation notamment représentée par la labyrinthique “Love Gallery”. Chaque entrée au sein du lieu déclenche une annonce de supermarché. De même, les ambulances du domaine s'apparentent à des caddies. Et que penser de cette boîte de nuit où un client dépensera quarante-cinq livres pour un seul verre ?
En parallèle de cette première parabole surgit une métaphore philosophique non négligeable. En effet, le Funny Man constitue l'émissaire monstrueux d'un Destin incarné ici par le toujours très distingué Christopher Lee. Reprenant à son compte l'action paradoxale d'une Fortune qui, à échelle humaine cristallise l'intervention de l'Arbitraire au sein de l'existence, le cinéaste pointe du doigt l'implacable déterminisme, lequel préside à l'enchaînement des événements. À première vue hasardeuse, une partie de cartes conduit alors notre héros vers son horrible Sort. À ce titre, l'omniprésence du motif des cartes à jouer - appartenant au travesti ou tapissant les murs du manoir - illustre l'enjeu majeur de cette problématique. Assujettir le libre-arbitre aux limites du système de perception humaine revient à affilier l'intrigue aux grandes tragédies grecques auxquelles Sprackling n'hésite guère à emprunter quelques formules. Aussi, la partie de poker qui fonde l'incipit du film exploite avec subtilité le procédé de “l'ironie tragique”. Apparemment anodines, certaines affirmations préfigurent la suite de l'histoire afin d'en signaler le caractère inéluctable. L'un des joueurs se moque de Callum Chance (Christopher Lee) en l'appelant “clown blanc”, façon d'anticiper l'apparition du Fou tueur. Dans une optique équivalente, l'objet des dits sarcasmes réplique à sa future victime qu'il est “un funny man quoiqu'il en connaisse de plus drôles!”. Après être monté dans le camion, le travesti n'imagine pas la pertinence de ses paroles: “je vais en en enfer!”. L'ambiguité du langage fonde une grille de lecture à deux niveaux chargée de signaler le décalage entre ce qu'éprouvent et pensent les personnages et leur réelle position ; celle de pantins aux prises du Destin. Ce dernier agence également une réflexion sur l'importance et la fonction de l'intertexte au sein du genre fantastique.
Nourrie par divers codes dont il parait fort périlleux de s'éloigner, l'Épouvante cinématographique accorde au pacte de lecture un rôle primordial. Telle Fortune, le réalisateur manipulera ses protagonistes afin de les placer dans des situations d'emblée connues, voire attendues, par le public. Ce dernier sait pertinemment que les hommes et femmes présentés au début du métrage subiront l'assaut d'une Présence diabolique. Fort de ce principe, Sprackling survalorise l'assise référentielle de l'oeuvre en multipliant les parodies. Excessivement caractérisés, les héros supportent les clichés du genre. Le producteur (Benny Young) évidemment dépravé, sa femme nymphomane (Ingrid Lacey), l'enfant omniscient (Jamie Heard), le macho (Chris Walker), le travesti (Greg Morton), l'intellectuelle (Pauline Black) rappellent nombre de leurs prédécesseurs dont la célèbre bande de Scooby-Doo. Comment ne pas assimiler cette petite femme, la coupe au bol, dotée de grosses lunettes et d'un affreux pull rouge à la Verra animée ? Parallèlement, FUNNY MAN propose maintes séquences qui ne manquent pas de faire appel à la mémoire du cinéphile. Western avec son lot de face à faces, conte de fées via des maisonnettes typiques, film noir avec son inévitable chanteuse de cabaret, drames sentimentaux (adultère) et familiaux (trahison) ; FUNNY MAN convoque la culture du spectateur qui, amusé, observera un “clown alien” surgir du corps d'une victime ou comprendra certaines allusions telle la réplique: “Brûle, sorcière brûle!”.
De manière générale, l'oeuvre de Sprackling dépasse son simple statut de comédie gentiment gore pour se livrer à l'exercice certes convenu, de parodie du genre. Une réussite incontestable!
D'excellente facture, le DVD mis à notre disposition par Néo publishing offre une image en 16/9 et au format 1.77 de qualité convenable, dotée d'un encodage correct ainsi que d'un bon “piqué”. Le son "Dolby SR" d'origine (pas de 5.1 dans la mesure où le métrage date juste de la période “charnière”) en version originale sous-titrée et version française bien pêchu, pourvu d'une bonne spatialisation sur toutes les voies, reste très agréable et efficace quant à transcrire l'ambiance du film. Point de bonus ici si ce nest une galerie photos (quinze images assez hideuses et très mal mises en valeur par le menu), une fiche technique et la filmographie du réalisateur ainsi que des acteurs Tim James, Christopher Lee (succincte), Benny Young et Matthew Devitt. Aux Etats-Unis, une édition très fournies était sortie précédemment (commentaire audio, interviews...). Mais l'absence de véritable interactivité ne dessert pourtant pas vraiment cette édition qui possède le mérite de permettre à ses clients de visionner FUNNY MAN dans des conditions optimales. Ce n'est pas si fréquent que cela!