Francesco Cenci, un noble romain, ne supporte pas le choix de sa fille d'entrer au couvent. Il la séquestre dans un donjon et entretient des relations incestueuses avec elle tout en exerçant sa domination sur sa famille à l'aide d'une cruauté rare. Béatrice, sa fille, se laisse séduire par Olimpio, un domestique, et elle le persuadera de l'aider à assassiner son père.
Cette sublime fresque historique est basée sur un fait divers bien réel qui bouleversa l'Italie durant la Renaissance en 1595. Malgré les injonctions du peuple, le Pape Clément VIII refusa la grâce aux membres de la famille Cenci qui avait participé au meurtre et ils finirent sur l'échafaud. Comme de nombreux autres faits historiques, celui-ci a donné lieu à plusieurs adaptations cinématographiques, dont une très belle réalisée en 1956 par Riccardo Freda et intitulée LE CHATEAU DES AMANTS MAUDITS. Pour cette adaptation datant de 1969, c'est un de ses compatriotes tout aussi connu, Lucio Fulci, qui la réalise avec maestria.
Portant bien son titre français, LIENS D'AMOUR ET DE SANG, l'histoire se concentre sur les relations complexes entre membres d'une famille dirigée par un tyran pervers, sans aucune forme de compassion, qui ne réalise pas l'étendue de la souffrance qu'il inflige à ses proches. Leur terrible vengeance n'est que justice mais, finalement, la cruauté va dans les deux sens tant ils ne sont pas regardants sur leurs propres actes. Il est toutefois intéressant de voir que malgré la haine profonde qui les tenaille, le meurtre est perpétré seulement par Olimpio et un bandit du nom de Catalano tandis que Béatrice et Lucrezia, sa belle-mère, se placent en observatrices d'une situation extrêmement complexe. Là où certains ne pardonneront jamais et vont jusqu'à couper tout contact sans état d'âme ou, à l'extrême, assassiner, d'autres sont capables de fermer les yeux jusqu'à nier farouchement toute forme d'abus. Ce déni se reflète dans l'attitude de Lucrezia qui n'a de cesse de pleurer et se lamenter alors qu'elle sait pertinemment de quoi était capable son mari. A l'encontre de sa belle-mère, Béatrice, ayant directement souffert de l'attitude inacceptable de son père, n'exprime aucun remord en regardant froidement son père souffrir atrocement avant de mourir. Elle ne peut pas s'en réjouir, seulement se sentir soulagée mais est-ce suffisant pour alléger ses propres souffrances ?
BEATRICE CENCI est un film maîtrisé de bout en bout par un réalisateur que l'on dirait touché par la grâce. Bien que Fulci ne lésine pas sur la cruauté, elle n'est ici pas gratuite ni prolongée comme ce sera le cas plus tard dans certaines de ses œuvres horrifiques, mais sert l'histoire tout en approfondissant les personnages (voir l'attaque des chiens supervisée par Francesco Cenci qui ordonne à son domestique d'achever la victime à l'agonie parce qu'il n'est pas «aussi cruel qu'on le dit»). A ce titre, la scène des tortures que subit Olimpio en est un autre bel exemple d'autant plus que les bourreaux ne se gêneront pas pour se servir de Béatrice pour lui faire avouer sa participation à l'assassinat. Cela donne lieu à l'une des scènes les plus poignantes du film où Béatrice tourne le dos à son amant agonisant qui, lui, restera fidèle jusqu'à la mort tout en sachant qu'elle l'a sacrifié sans même se retourner.
Difficile cependant de ne pas ressentir de l'empathie pour la jeune femme abusée par celui qui aurait dû la choyer et la protéger. Elle n'en devient que plus humaine du fait de ne pas être représentée uniquement comme une victime. En prenant son destin en main, elle n'hésite pas à manipuler les autres à sa guise en enrôlant Olimpio qu'elle trahira sans sourciller alors que même sous la torture, elle cherchera à protéger son frère et sa belle-mère en prenant tout sur elle. Peut-être est-ce sa façon à elle d'expier ses fautes, devenues trop lourdes à porter.
Dans le rôle de Béatrice, nous trouvons la toute jeune et très belle Adrienne Larussa dont c'était seulement le troisième film. Fulci ne l'aimait pas beaucoup, estimant que c'était une très mauvaise actrice mais elle s'en sort plutôt bien avec ce personnage tourmenté. A ses côtés, Tomas Milian incarne Olimpio, le domestique amoureux de la belle Béatrice. L'acteur reviendra chez Fulci dans LES QUATRE DE L'APOCALYPSE et mènera une carrière riche en Italie où il a incarné toutes sortes de personnages dans des genres très différents. Quant à Francesco Cenci, le rôle incombe à l'acteur français Georges Wilson qui retrouvera également Fulci quelques années plus tard avec LA LONGUE NUIT DE L'EXORCISME. Wilson incarne le tyran domestique avec une froideur palpable, ne laissant à aucun moment transparaître la moindre once d'humanité.
Comme souvent chez Néo Publishing, l'éditeur n'utilise pas le titre français du film. Il est donc choisi de placer le titre original, BEATRICE CENCI, sur la jaquette plutôt que LIENS D'AMOUR ET DE SANG. Sur le DVD, le film est présentée dans son format 1.85 d'origine avec un transfert 16/9. Dans les premières minutes, l'image paraît grise et très granuleuse alors que dans le générique, certains noms frôlent le bord de l'image. Malgré ce bémol, la qualité s'améliore nettement par la suite bien que nous déplorons un certain manque d'inspiration au niveau de la direction photo. Les couleurs s'avèrent un peu ternes et à dominante ocre mais cela n'est pas très gênant et renforce l'aspect "Renaissance" du film.
Les pistes sonores sont au nombre de deux, le doublage français et la version italienne sous-titrée. Bien que les deux soient très correctes, nous conseillons la version originale qui contient plus de profondeur et de détails. La composition musicale n'est pas inoubliable comme le seront plus tard celles de FRAYEURS ou L'ENFER DES ZOMBIES mais se contente de souligner discrètement les passages marquants.
Du côté des suppléments, nous avons d'abord une interview inédite de Fulci, enregistrée en 1988 à partir des questions de Gaetano Mistretta. Cet entretien fut publié en partie dans le magazine Dark Star n° 2 puis dans le livre Spaghetti Nightmares de Luca M. Palmerini et Mistretta. S'agissant uniquement d'une interview audio, elle nous est présentée sur des images de différents films du réalisateur ce qui peut s'avérer distrayant. Fulci parle d'une voix calme et posée - à l'opposé de son débit de paroles incroyable sur l'entretien audio qui figure sur le disque de SOUPCONS DE MORT – et il évoque ici ses débuts, son intérêt pour le fantastique qui a débuté avec la littérature de Poe ou Lovecraft et nous fait part de ses pensées sur Dario Argento. Il livre également une explication différente pour la fin de FRAYEURS, revient sur sa séparation professionnelle d'avec Dardano Sachetti et parle un peu de ZOMBIE 3 («Comme son nom l'indique, Fragasso fait du fracas sans aboutir à rien»).
L'interview suivante est filmée cette fois par Marcello Garofalo et Antonietta De Lillo. Le réalisateur est en fauteuil roulant à cause de sa maladie l'ayant beaucoup affaibli physiquement mais pour le reste, il est en très grande forme. Il parle sans équivoque des rumeurs de misogynie à son égard alors qu'il a grandi parmi des femmes et les respecte beaucoup. Il dit s'être inscrit dans une école de cinéma le jour où il s'est fait plaquer par une fille très riche alors qu'il était lui-même sans le sou mais qu'il avait toujours été fasciné par le septième art. Il livre aussi quelques anecdotes sur ses débuts aux côtés de Steno. Le ton de sa voix change nettement lorsqu'il évoque le suicide de sa femme suite à un erreur de diagnostic médical et il avoue sans peine que cela fut un tournant dramatique dans sa vie au niveau de sa façon de ressentir et de voir le monde extérieur. Certaines décisions de montage sont à la limite de l'incompréhensible comme par exemple de baisser le son à certains moments et couper la fin de la réponse ou zoomer en gros plan sur le crâne dégarni ou la barbe du réalisateur.
Les suppléments s'achèvent sur la fiche technique et les filmographies de Fulci, Adrienne Larussa, Tomas Milian et Georges Wilson. Pour certains, ce contenu sera un peu maigre en comparaison du prix un peu plus élevé qu'à l'accoutumée pour un disque Néo. D'autant plus que pour les récentes sorties d'autres Fulci, on avait droit à un commentaire audio et/ou une analyse du film spécialement réalisée pour l'occasion. Mais pour la simple valeur émotionnelle et plastique du film ou encore entendre s'exprimer Fulci lui-même, cette édition DVD mérite une place de choix dans votre collection du réalisateur.