Header Critique : WITCHFINDER GENERAL (LE GRAND INQUISITEUR)

Critique du film et du DVD Zone 0
WITCHFINDER GENERAL 1968

LE GRAND INQUISITEUR 

1968, Grande-Bretagne… Le cinéma anglais, en pleine expansion depuis une décennie, s'impose au reste du monde, que ce soit au travers des superproductions réalisées par David Lean, des aventures de James Bond, des oeuvres militantes du Free Cinéma ou des films d'horreur produits par la Hammer film. Si ce cinéma d'épouvante connaît de confortables succès commerciaux, on finit par lui reprocher de peiner à se renouveler. Les principaux metteurs en scène de ce courant, les Terence Fisher, John Gilling, Freddie Francis et autres Val Guest, sont alors quinquagénaires.

Dans ce paysage, le parcours de Michael Reeves va surprendre par sa rapidité. Né durant la seconde guerre mondiale, il se passionne très tôt pour le cinéma et tourne, avec ses amis, des films amateurs dès le lycée. Enthousiaste, il se rend à Hollywood pour y rencontrer le réalisateur Don Siegel, son idole, et décroche une place d'assistant réalisateur sur LES DRAKKARS, film d'aventures tourné par Jack Cardiff en Yougoslavie.

Son engagement suivant consiste à diriger la seconde équipe du film italien IL CASTELLO DEI MORTI VIVI, une oeuvre d'épouvante interprétée par Christopher Lee. Puis, en 1966, à 23 ans, il met en scène, avec de tout petits moyens, sa première oeuvre : LA SORELLA DI SATANA, dans lequel Barbara Steele se voit possédée par l'esprit d'une horrible sorcière. Michael Reeves persévère et, dès l'année suivante, réalise LA CREATURE INVISIBLE, produit cette fois en Grande-Bretagne par Tony Tenser pour le compte de la compagnie Tigon : Boris Karloff y interprète un savant qui met au point une machine lui permettant de contrôler l'esprit d'autrui et de percevoir ses sensations.

Puis, Michael Reeves s'intéresse à un livre historique de Ronald Bassett, livre retraçant les méfaits d'un réel chasseur de sorcières nommé Matthew Hopkins. Aidé par Tom Baker, scénariste avec lequel il travaille depuis l'adolescence, il écrit un scénario et le soumet à Tony Tenser. Celui-ci constate que le budget d'un tel projet dépasse les moyens de la Tigon et il parvient à obtenir l'aide de la firme américaine indépendante AIP, laquelle a déjà produit des films tournés en Europe (des réalisations de Mario Bava ou de Roger Corman, notamment). Mais cette compagnie exige que le rôle principal soit tenu par Vincent Price, véritable vedette de l'épouvante outre-atlantique et collaborateur régulier de ce studio. Michael Reeves, qui souhaitait engager Donald Pleasence, s'incline. Néanmoins, pour le jeune premier, il engage Ian Ogilvy, un autre de ses amis d'enfance, déjà interprète de ses deux précédentes réalisations.

Au XVIIème siècle, l'Angleterre est ravagée par une guerre civile au cours de laquelle s'affrontent les soldats fidèles au Roi et les troupes de Cromwell. Dans ce contexte chaotique, un juriste nommé Matthew Hopkins se proclame chasseur de sorcières et se rend dans les villages à la demande des maires et des habitants. En échange de coquettes sommes d'argent, il organise l'exécution "légale" de ceux que la populace superstitieuse soupçonne de se livrer à la magie noire. Hopkins participe ainsi à la capture de John Lowes, un prêtre injustement accusé de se livrer à des crimes occultes. Richard Marshall, un jeune soldat épris de la nièce de ce religieux veut se venger…

Matthew Hopkins : un nom qui fait frémir dans les chaumières de la verte Albion ! En 1644, cet avocat se met en tête d'organiser des chasses aux sorcières et traque les présumés magiciens à travers le pays. Si la torture était alors illégale (contrairement à ce que montre le film), cette brute exerce tout de même quelques pressions non négligeables. Il emploie ainsi la privation de sommeil pour extorquer des aveux, ou, comme on le voit faire dans LE GRAND INQUISITEUR, il charge son assistant de pratiquer des piqûres d'aiguilles sur le corps des accusés, soi-disant afin de localiser la "marque du diable" (une zone de la peau des sorciers théoriquement insensibilisée à la douleur et soi-disant apposée à ceux qui ont signé un pacte avec le Malin).

Surtout, LE GRAND INQUISITEUR reprend une ordalie réellement mise en oeuvre par Matthew Hopkins et devenue fameuse par son absurdité. Il plongeait des suspects tous ligotés dans l'eau, estimant que, si ceux-ci avaient signé un contrat avec le Diable, ils seraient rejetés par le courant (sous prétexte qu'ils ont renié leur baptême) et flotteraient à la surface. Bref, les innocents se noient tandis que les survivants sont forcément coupables et exécutés pour sorcellerie ! Matthew Hopkins périra bien en 1647, mais ce sera de maladie, contrairement à ce que montre Michael Reeves

Souvent considéré comme un film d'horreur, en partie à cause de la renommée dans ce domaines de son réalisateur et de ses compagnies de production, LE GRAND INQUISITEUR constitue en fait un film d'aventures historiques. Il n'y est guère question de fantastique et, si les scènes de cruauté sont nombreuses et intenses, elles s'inscrivent dans un contexte réaliste, pratiquement documentaire. Il n'est guère question de sorcellerie que dans l'imagination peureuse de quelques villageois superstitieux. Matthew Hopkins lui-même ne croit pas réellement à ces histoires surnaturelles. Il a surtout trouvé une combine pour faire rapidement fortune en profitant du climat tendu de la guerre civile. On aurait pu s'attendre à ce que Vincent Price reprenne sa composition de bourreau illuminé de LA CHAMBRE DES TORTURES. Pourtant il joue ici avec une froideur et un cynisme l'éloignant de ses habituels emplois d'hypersensibles fiévreux. En effet, Matthew Hopkins n'est pas un fou . C'est avant tout un parfait salaud !

LE GRAND INQUISITEUR raconte une histoire de vengeance, celle d'un jeune soldat nommé Richard Marshall qui va poursuivre Matthew Hopkins et John Stearne, l'homme des basses oeuvres du juge, afin de leur faire payer leurs crimes. Dans ce récit se mêlent poursuites, reconstitutions historiques, coups de feu, action et violence. Il pourrait en fait s'agir de l'intrigue d'un Western, et, au vu de son sadisme et de son goût pour les séquences de brutalité d'un Western italien !

Autre point commun avec le Western, LE GRAND INQUISITEUR donne un rôle proéminent aux paysages. Si les classiques du cinéma d'horreur anglais d'alors sont souvent confinés dans des studios, cette réalisation sort au grand air et se voit tournée en décor naturel. La campagne anglaise, ses épaisses forêts, ses vertes prairies et ses imposants châteaux, servent alors de toile de fond à de nombreuses poursuites et chevauchées, lesquelles impriment une énergie fougueuse au métrage.

Par ailleurs, LE GRAND INQUISITEUR se distingue aussi par la noirceur de son ambiance et de son propos. La même année, la Hammer sort LES VIERGES DE SATAN de Terence Fisher, lequel décrit un affrontement entre les forces du mal et du bien, chacun des camps étant incarné par un expert en occultisme (Christopher Lee du côté de la magie blanche, Charles Gray au service des ténèbres). Cette dichotomie, classique dans le fantastique gothique, Michael Reeves la récuse. Pour lui, la frontière entre le bien et le mal est ambiguë. Le final du film nous montre ainsi que le preux héros peut lui aussi se comporter à la manière d'un monstre.

Ce jeune metteur en scène apporte donc une touche novatrice et personnelle au cinéma d'épouvante britannique. Pourtant, cela ne signifie pas qu'il signe un film parfait. Certains de ses personnages s'avèrent falots (Richard Marshall) ou inutiles (l'apparition de Cromwell semble gratuite), tandis que la situation historique nous semble imprécise. Quant à la mise en scène, si elle fait preuve d'une belle énergie, elle ne paraît pas toujours bien assurée, notamment au cours du dénouement.

A sa sortie, LE GRAND INQUISITEUR suscite de nombreux commentaires quant à la brutalité de certaines de ses séquences. Pourtant, en le revoyant aujourd'hui, il paraîtrait excessif de la qualifier de "gore" tant sa violence graphique ne correspond plus guère à nos critères actuels en la matière. D'ailleurs, même pour un film de cette période, il est permis de le trouver moins impressionnant qu'une réalisation de H.G. Lewis et à peine plus sanglant qu'un Hammer film tel que DRACULA PRINCE DES TENEBRES ou DRACULA ET LES FEMMES. Néanmoins, le réalisme et le sadisme des situations renforcent nettement la cruauté et l'impact des exécutions et des tortures qu'il met en scène.

En France et en Angleterre, la censure retire quelques secondes dans les séquences les plus dures. Aux USA, le film est modifié, mais d'une toute autre façon. Désireuse de rattacher ce film à son cycle d'adaptations d'Edgar Alan Poe, commencée avec LA CHUTE DE LA MAISON USHER et ayant connu de beaux succès commerciaux, l'AIP rebaptise le film THE CONQUEROR WORM (titre anglophone du poème de Poe "Le ver vainqueur") et rajoute une voix de narrateur récitant cette oeuvre littéraire à quelques endroits du film.

Quoi qu'il en soit, LE GRAND INQUISITEUR connaît un grand succès et engendre rapidement des imitations en Europe (LE TRONE DE FEU sorti en vidéo ici, LA MARQUE DU DIABLE…). Michael Reeves travaille ensuite sur la préparation du CERCUEIL VIVANT, un film d'épouvante gothique vaguement inspiré par une nouvelle d'Edgar Poe et qu'AIP compte produire en Grande-Bretagne. Mais, à 25 ans, le jeune réalisateur, alors considéré comme un des talents les plus prometteurs du cinéma britannique, meurt d'une overdose d'antidépresseurs. LE CERCUEIL VIVANT sera finalement mis en scène par Gordon Hessler.

En DVD, la principale édition disponible pour LE GRAND INQUISITEUR est le disque anglais sorti chez Métrodome (multizone, PAL). Celui-ci a la particularité de proposer deux versions du film. D'une part, nous disposons de la version "Director's Cut", c'est-à-dire le montage du long métrage conçu pour le marché anglais tel qu'il avait été assemblé avant que la censure britannique ne s'en mêle.

D'autre part, nous disposons aussi de la version "export", plus croustillante et destinée au marché européen. Elle rajoute quelques plans dans les séquences de torture (l'ordalie de la noyade, le grand bûcher) et propose un passage dans une taverne au cours duquel de jeunes fêtardes s'avèrent moins chaudement vêtues que dans la version britannique ! Dans les deux cas, ce sont bien des versions uncut qui sont proposées sur ce disque, le BBFC ayant récemment renoncé à toutes les coupes précédemment pratiquées dans LE GRAND INQUISITEUR.

Dans les deux cas, la qualité d'image s'avère inégale. Entendons-nous bien : durant quatre-vingts quinze pour cent du métrage, elle est de très bonne facture, bien qu'on remarque quelques petites saletés. Toutefois, les scènes de nuit posent parfois des problèmes, certaines d'entre elles s'avérant exagérément obscures. De plus, pour réparer les coupes commises par la censure, des extraits provenant d'une source vidéo de qualité nettement inférieure au reste du métrage ont été insérés. Bref, bien qu'il s'agisse actuellement de la seule opportunité de visionner ce film dans son intégralité, le résultat s'avère perfectible.

La bande-son, en anglais, est diffusée en mono d'origine pressée sur deux canaux. Cette piste sonne un peu dure, et la musique paraît par moment trop forte par rapport au reste de la bande-son. L'ensemble reste d'une qualité acceptable. Aucun sous-titrage n'est disponible.

Cette édition propose, en plus, une belle section de suppléments. Nous trouvons ainsi une large sélection de matériel promotionnel d'époque : bande-annonce de LA CREATURE INVISIBLE et du GRAND INQUISITEUR, copieuses galeries débordant d'affiches, de pressbooks et de photos d'exploitation en provenance de Grande-Bretagne, des USA, d'Italie, de France, etc…. Puis, on peut consulter de nombreuses filmographies d'acteurs et de techniciens ayant oeuvré sur le film ainsi que des photographies de plateau et de tournage de cette production.

Le supplément le plus passionnant s'avère sans aucun doute le passionnant documentaire "Blood Beast, the Films of Michael Reeves" : concocté par l'équipe de Mondo Macabro, il retrace, au travers de nombreux témoignages de ses proches et de ses collaborateurs, la courte carrière du metteur en scène britannique. En cadeau, on trouve le clip vidéo de "Hopkins (Witchfinder General)", une chanson du groupe Heavy Metal britannique Cathedral, lequel évoque une sympathique imitation du Black Sabbath originel. Amusant, mais pas indispensable !

Certes imparfait, peut-être parfois surestimé, LE GRAND INQUISITEUR reste un titre à part, un film très personnel dans la cinématographie horrifique britannique. Cette édition permet de le découvrir dans des conditions perfectibles, certes, mais globalement acceptables.

Précisons enfin qu'un DVD totalement identique du GRAND INQUISITEUR (qualité technique et suppléments…) est disponible au sein du coffret "The Tigon Collection" (coffret en forme de cercueil) publié par Anchor Bay au Royaume-Uni ; en plus de ce film, on y trouve d'autres productions de la Tigon : THE BODY STEALERS, ABOMINATOR (titre vidéo), LE MONSTRE DES OUBLIETTES (titre vidéo), LA NUIT DES MALEFICES (titre vidéo) et SORCIERE VIERGE (titre vidéo).

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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L'édition vidéo
WITCHFINDER GENERAL DVD Zone 0 (Angleterre)
Editeur
Metrodome
Support
DVD (Double couche)
Origine
Angleterre (Zone 0)
Date de Sortie
Durée
1h23
Image
1.78 (16/9)
Audio
English Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Aucun
  • Supplements
    • Blood Beast : The Films of Michael Reeves (22mn34)
    • Notes de production
      • Bandes-annonces
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