Critique du film
et du DVD Zone 2
UNA FARFALLA CON LE ALI INSANGUINATE
1971
Un an après son policier crépusculaire LA MORTE RISALE A IERI SERA, Duccio Tessari (réalisateur de LES TITANS, BIG GUNS, ZORRO…) enchaîne sur un giallo d'une trempe moins élégiaque que ses congénères de l'époque et donne UNA FARFALLA CON LE ALI INSANGUINATE (UN PAPILLON AUX AILES ENSANGLANTEES).
Une jeune étudiante française (Carole André) est assassinée dans un parc. Tous les éléments pointent vers un suspect, le notable Marchi (Giancarlo Sbragia) et l'issue du procès semble inéluctable. Mais la rigueur du travail de la police se voit battue en brèche par l'avocat de la défense, le témoignage du petit ami de la victime (Helmut Berger)... et bientôt un second meurtre.
Le ton est donné dès la présentation des personnages : presque chirurgicalement, Tessari décrit un à un tous les protagonistes de l'histoire. Mario Bava avait déjà utilisé le même procédé dans 6 FEMMES POUR L'ASSASSIN mais c'est le réalisme qui prime avant tout ici : une véritable rupture avec le Giallo gothique et jouant ouvertement sur le visuel du film. Seul le titre fait référence à la série de films à tonalité animalière (sans doute une obligation des producteurs) qui était en vogue dans les années 70, mais il réside plutôt dans une symbolique d'innocence perdue.
Le ton de la mise en scène demeure à l'avenant : il fait appel aux connaissances de la police scientifique et développe une ambiance semi-documentaire lors des séquences d'enquête. Un mot d'ordre de minutie est donné à l'ensemble tant Tessari entend ne rien laisser au hasard. Ainsi le procès de l'accusé se déroule d'une manière précise, ordonnée et qui fait appel au sens de la, mémoire de chaque spectateur. La présentation supposée anodine des protagonistes au début du film appelle en réalité aux faits et gestes qu'ils ont chacun commis, ce fameux vendredi 26 octobre, juste avant le meurtre. La construction repose à la fois sur une cohérence dans le récit des personnages tout comme celle du récit cinématographique et la rigueur de la mise en scène. Le cadre de l'image met en avant le détail : richesse des intérieurs, angles de vues multiples lors du procès, création de la profondeur de champ dans les scènes de dialogue. D'ailleurs le format anamorphique permet la variété du regard. Le premier plan étant valable pour l'évidence, l'arrière plan pour le détail et un regard complice du détail révélateur. Du Techniscope comme support du trompe l'œil...
Le film se caractérise aussi par un montage audacieux, mélangeant images du passé, présent et futur pour donner vie aux pensées de ses protagonistes. Courts moments de vie rythmés de quelques mesures de musique pour un retour brutal à la réalité présente. Ce mélange temporel revient d'ailleurs en leitmotiv, appuyé par la phrase de présentation du film : ni le passé (déjà effectué) ni le futur (pas encore présent) n'existent que par le présent qui est leur point de rencontre. Cette énigme est le point de départ du puzzle visuel et narratif que Duccio Tessari mène à son bien jusqu'à la scène finale se déroulant dans un immeuble désaffecté, point de concordance et de résolution de l'énigme. Mais également un point de non-retour d'un temps de l'innocence révolu et tombé en ruine.
Modernisation du suspense, version adulte et moins exploitative du giallo ? Il y a de ça et ceci dès les premières notes de musique du film. Le concerto n°1 de Tchaïkovski qui, dès le premier mouvement, voit sa mélodie rattrapée par un autre son aux accents jazzy : une basse, un piano aux notes moins syncopées. Le concerto perd de sa mélodie par instants au profit final d'un autre air plus en phase avec 1971. Gianni Ferrio, avec sa partition impeccable, demeure en phase avec Tessari dans sa voie de modernisation du sujet, d'apporter plus de sérieux tout en conservant un côté immanquablement désenchanté. Pas d'effets faciles pour indiquer une action spécifique, les thèmes composés dégagent plus l'attente, le regard plutôt que d'accompagner l'action et les sentiments.
Carole André, étoile hélas trop filante du cinéma des années 70, est la parfaite incarnation de la beauté souillée. Belle, sensible, légère, fragile, elle apporte la grâce nécessaire à son rôle. Helmut Berger, pas encore perclus de tics nerveux, demeure étrangement sobre et offre le temps d'une scène d'amour des instants de folie contenue d'une rare intensité. Duccio Tessari a cependant accordé à chacun de ses acteurs une direction très précise sans céder à la caricature : De l'inspecteur de Police porté sur le café (voire les seules scènes de comédie du film entre lui et son second) à la bourgeoise déphasée (Evelyn Stewart, radieuse) jusqu'à la famille peu en prise avec la réalité, distante et aristocratique d'Helmut Berger. Une collection de personnages plus respectueux de leur statut social que des individus.
Un transfert 16/9eme de toute beauté rend hommage au soin tout particulier apporté à la photographie du film : claire, lumineuse, précise et aucune trace de griffure ou saut d'image pour une superbe netteté. Côté bande sonore, seule la piste mono d'origine est présente (Ce qui n'est pas plus mal, certains éditeurs ayant la manie du tout-remixage en 5.1 qui n'apporte pas grand chose au film lui-même). Peu de souffle, des voix claires et une musique équilibrée dans les scènes de dialogue qui offre une belle harmonie.
Si le papillon possède des ailes ensanglantées, les bonus ont eux les ailes absentes... Il n'y a rien à se mettre sous la dent hormis une liste des rôles et de l'équipe technique du film puis de la société d'authoring… autrement dit du remplissage inutile.
Malheureusement, cette très belle édition n'offre qu'une version italienne sous-titrée en italien, ce qui en limitera hélas sa vision. Néanmoins, ceux qui se laisseront porter découvriront une œuvre à part dans le cycle des Gialli qui ont déferlé sur l'Italie, plus adulte dans sa mécanique de suspense et dans son approche visuelle.