Avec L'ABOMINABLE DR. PHIBES, le britannique Robert Fuest assure sa renommée dans le domaine du cinéma fantastique, domaine dans lequel il persévère durant toute la première moitié des années soixante-dix. Il dirige ainsi LE RETOUR DE L'ABOMINABLE DR. PHIBES, puis réalise LES DECIMALES DU FUTUR, un film de science-fiction inspiré par les écrits de Michael Moorcock. Enfin, il quitte sa Grande-Bretagne au milieu de la décennie pour aller diriger une œuvre américaine : LA PLUIE DU DIABLE, qui bénéficie d'un casting assez exceptionnel. On y reconnaît ainsi des vétérans hollywoodiens comme Ernest Borgnine (WILLARD…), Eddie Albert (LA MONTAGNE ENSORCELEE…) ou Ida Lupino (PETER IBBETSON, LES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES…). Des comédiens plus jeunes sont aussi présents, tel l'immanquable William Shatner (STAR TREK…), Tom Skerrit (ALIEN…) et, surtout, John Travolta, qui fait ici une toute petite apparition sous les traits démoniaques d'un sectateur zélé ! Au générique, on remarque la présence, en guise de consultant, du sulfureux Anton LaVey, fondateur, aux USA, de l'église de Satan dans les années soixante ; cette personnalité apparaît aussi dans le film en tant que prêtre assistant Ernest Borgnine au cours des rituels maléfiques.
Jonathan Corbis, gourou d'une église satanique, kidnappe monsieur et madame Preston, dont la famille détient, depuis trois siècles, un manuscrit maléfique volé à un puissant sorcier. Mark Preston, le fils du couple, se rend au repère de Corbis pour libérer ses parents, mais il est lui aussi capturé. Tom, le frère de Mark, décide d'aller affronter les adorateurs du démon, en se faisant aider par sa femme Julie, douée de pouvoirs paranormaux, et du docteur Richards, un savant passionné par le surnaturel…
Au cours des années soixante-dix, suite aux succès consécutifs de ROSEMARY'S BABY et de L'EXORCISTE, le Diable devient la star numéro 1 du cinéma d'épouvante américain, et les films le mettant en scène, lui et ses adeptes, se multiplient. Certes, des sectes adorant le démon, on en trouvait déjà auparavant, dans LE CHAT NOIR d'Edgar G. Ulmer, RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR de Jacques Tourneur ou LES VIERGES DE SATAN de Terence Fisher, par exemple. Mais, après 1973, les copies du film de Friedkin se multiplient à une vitesse affolante et surgissent des quatre coins du monde, l'Italie se taillant rapidement la part du lion, avec LE DEMON AUX TRIPES, L'ANTECHRIST, ou LA POSSEDEE (titre vidéo), sans toutefois occulter les efforts méritoires de l'Espagne (EXORCISMO de Juan Bosch), ou de l'Allemagne (MAGDALENA, LA SEXORCISEE), entre autres. Les adorateurs du démon refont donc fatalement surface, sur les traces de ceux qui ont manigancé la naissance du bébé de Rosemary.
Si ces adorateurs du Malin sévissaient dans un building de New York, Corbis et ses sbires se sont installés au fin fond du Far West américain, dans une ville abandonnée au milieu de laquelle se dresse, étrangement, une chapelle dans le plus pur style de la Nouvelle-Angleterre. Porté par une bande sonore plongeant le spectateur dans la plus bizarre des abstractions, LA PLUIE DU DIABLE aligne des décors insolites assez splendides, tel cette ville fantôme, l'intérieur et l'extérieur de la chapelle démoniaque ou le sanctuaire naturel, qui nous rappellent à quel point les films de Fuest se distinguent par la qualité de leur direction artistique hors norme.
Une fois abordées les indéniables qualités visuelles et atmosphériques de LA PLUIE DU DIABLE, il faut, hélas, vite attaquer les points qui fâchent. Le récit donne ainsi une très désagréable impression de confusion. Paraissant démarrer sans aucune explication introductive, il jette le spectateur dans une action dont on a bien du mal à saisir les enjeux. Une scène de flash-back, au beau milieu du métrage, apporte quelques explications, mais sans pour autant être totalement satisfaisante.
L'autre point faible de LA PLUIE DU DIABLE est son casting. Outre la présence d'un William Shatner assez cabotin, la plus grave erreur est sans doute d'avoir confié le rôle de Corbis à Ernest Borgnine. Cet acteur, qu'on a tant admiré chez Aldrich ou Peckinpah, y compris dans des rôles de parfaits méchants (L'EMPEREUR DU NORD, LE CONVOI…), ne parvient pratiquement jamais à rendre son personnage crédible. Les premiers plans où il apparaît, comme un cow-boy inoffensif et pourtant bizarrement menaçant, passent bien. Mais le reste se vautre dans la caricature la plus inefficace. Grimaçant et roulant des yeux machiavéliques, le comédien ne convainc pas dans ce rôle taillé sur mesure pour un Vincent Price ou un Jose Mojica Marins.
Le summum du grotesque est atteint, voire dépassé, quand l'acteur se trouve affublé d'un maquillage d'homme bouc, techniquement soigné, mais visuellement totalement risible. A toutes ses faiblesses viennent s'ajouter un rythme inégal et, surtout, un interminable final que ses auteurs devaient juger spectaculaire, puisqu'ils l'ont fait durer une bonne dizaine de minutes : il s'agit pourtant d'une des séquences d'épouvante les plus laborieuses jamais portées à l'écran.
Soigneusement mis en scène, visuellement travaillé, LA PLUIE DU DIABLE génère souvent une ambiance morbide efficace et propose de belles images fantastiques. Hélas, son scénario et son interprétation accumulent de trop nombreuses maladresses, ce qui gâche une grande partie du plaisir qu'on prend à le visionner. Sorti aux USA dès 1975, il est présenté en France au sixième festival du Film Fantastique de Paris, en 1977, où il recueille tout de même le prix des effets spéciaux. Puis, il est distribué sur nos écrans au cours de l'été de la même année.
Après une édition en Laserdisc chez Image, LA PLUIE DU DIABLE sort en DVD, seulement aux Etats Unis, chez VCI, en 1999 (zone 1, NTSC), sous une jaquette nous annonçant, en gros caractères, une réalisation de Robert "Feust" ! Le film est proposé dans son format 2.35 d'origine, mais sans option 16/9. La copie, assez fatiguée, laisse paraître de fréquents petits parasites, tandis que le télécinéma de départ semble médiocre : définition passable, couleurs légèrement baveuses, séquences trop sombres (dans la chapelle, notamment) et nombreux effets de moirage sont ainsi facilement décelables. La qualité de l'image reste juste acceptable, mais vraiment sans plus.
La bande-son anglaise, dans sa version mono d'origine codée sur deux canaux, trahit, elle aussi, des inconvénients, le moindre n'étant pas un souffle assez envahissant. Ce disque offre quelques petits bonus, à savoir la bande-annonce de LA PLUIE DU DIABLE et une courte galerie de photographies.
Bref, cette édition commence sérieusement à dater, et mériterait une remise à jour, notamment au niveau technique. Néanmoins, il s'agit, pour le moment, du seul DVD disponible pour LA PLUIE DU DIABLE.