Kurt Wimmer commence à travailler pour le cinéma en tant que scénariste. Sa carrière prend un tournant décisif lorsqu'il écrit, en 1998, SPHÈRE, une onéreuse adaptation d'un roman de Michael Crichton. Puis, il participe à la rédaction de L'AFFAIRE THOMAS CROWN version McTiernan. Dès le milieu des années 1990, il envisage un script de science-fiction, projet qu'il mènera à bien en 1999 avec le scénario d'EQUILIBRIUM. Aidé par le producteur Lucas Foster et Jan de Bont, il parvient à obtenir un financement auprès d'une banque hollandaise, financement complété par le studio américain Dimension. Wimmer, qui avait déjà dirigé un film (GUERRIER D'ÉLITE de 1995 et sorti en vidéo ici), se retrouve alors avec un budget, relativement modeste, de 20 millions de dollars, pour réaliser lui-même EQUILIBRIUM, en automne et hiver 2001. Le tournage se déroule essentiellement à Berlin, bien qu'une semaine de prises de vue supplémentaires ait eu lieu à Rome. Le film bénéficie, en tous cas, de la présence d'un impressionnant casting, dominé par des comédiens britanniques : Christian Bale (LE RÈGNE DU FEU...), Sean Bean (Boromir dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX de Peter Jackson...), Angus MacFayden (BRAVEHEART...), Emily Watson (DRAGON ROUGE...),... et même, dans une petite apparition, David Hemmings (LES FRISSONS DE L'ANGOISSE...).
Après les ravages causés par la troisième guerre mondiale, l'humanité a décidé de tout mettre en oeuvre pour qu'une telle tragédie n'ait plus jamais lieu. Un régime autoritaire, installé dans la cité de Libria et dirigé par le "Père", a donc été instauré, qui proscrit toutes formes d'émotions. Chaque jour, les citoyens s'injectent une drogue, le prozium, qui les empêche de ressentir des émotions violentes. Cette société "parfaite" est protégée par les prêtres du Grammaton, une section de guerriers hyper-entraînés pratiquant l'art martial du Kata armé. Un matin, un de ces prêtres, John Preston, brise, par maladresse, le flacon contenant sa dose quotidienne de prozium. Il commence à ressentir des émotions. Sa vie s'en trouve bouleversée.
La science-fiction pessimiste, qui met en garde contre les dérives des régimes totalitaires et les dangers des utopies (les romans "Le Meilleur des Mondes" d'Aldous Huxley et "1984" de George Orwell viennent évidemment à l'esprit), a déjà donné lieu à plusieurs classiques cinématographiques. Si l'on peut évoquer, à ce sujet, le METROPOLIS de Fritz Lang, c'est surtout au cours des années 1960-1970, décennies de contestation et de remise en cause, qu'elle offrira ses titres les plus représentatifs : ALPHAVILLE de Jean-Luc Godard en 1965, rapidement suivi par FAHRENHEIT 451 que François Truffaut tourne en Grande-Bretagne ; puis viennent des oeuvres américaines, comme THX 1138 de George Lucas, SOLEIL VERT de Richard Fleischer, ou L'ÂGE DE CRISTAL de Michael Anderson. Des films comparables se retrouvent, dans les années 1980, en Grande-Bretagne, avec une adaptation de 1984 (sortie en... 1984 !) et, surtout, BRAZIL de Terry Gilliam.
EQUILIBRIUM brasse des influences provenant directement de ces incunables. Le personnage central, membre d'une section d'élite chargée de lutter contre les rebelles et de brûler les oeuvres d'art, renvoie, de façon patente, au "pompier" du roman de Ray Bradbury "Fahrenheit 451" et de son adaptation cinématographique. Le personnage omniprésent de "Père" évoque, bien sûr, le "Big Brother" de 1984, tandis que l'idée d'une société forçant ses citoyens à se droguer se retrouve dans le livre "Le Meilleur des Mondes" ou le film THX 1138.
EQUILIBRIUM raconte l'histoire de Preston, petit soldat idéal du Grammaton qui, suite à un concours de circonstances, va prendre conscience des défauts du régime qu'il sert. Renouant accidentellement avec ses émotions, il commence à réfléchir par lui-même aux conséquences des actions qu'il commet au nom de l'Etat et à remettre ce dernier en question. Il porte, pour la première fois de sa vie, un regard critique sur son obéissance inconditionnelle à cette dictature, obéissance qui lui a toujours été présentée comme indispensable à la survie de l'humanité. Tout cela va entraîner d'importants changements chez ce personnage, dont l'évolution va structurer entièrement la progression du film. Dès lors, la qualité de l'interprétation de Christian Bale, d'un bon niveau, est un élément à mettre au crédit de ce long-métrage.
La civilisation dans laquelle se déroule EQUILIBRIUM a été imposée, comme on l'a vu, suite à un conflit mondial qui faillit être fatal à l'espèce humaine. Pour éviter que les hommes ne provoquent encore une catastrophe, un nouvelle société a été mise en place, afin de les protéger contre eux-mêmes, ou, plutôt, contre leurs émotions les plus impulsives (violence, haine, jalousie, dépression, euphorie...). Désormais, chacun est tenu de consommer quotidiennement sa dose de prozium, une drogue apaisante. Toute réaction aléatoire, dûe à un sentiment fort, doit être évitée.
L'imprévision est bannie, et chacun est tenu de mener une existence sans histoire. Libria vit alors dans la peur et la paranoïa. La surveillance des individus est perpétuelle, et l'on s'espionne, pour le bien du régime, entre membres d'une même famille. Quant aux rebelles capturés, on préfère les abattre sans sommation que de les emprisonner ou de les interroger, car leur seule existence est un "risque" à éliminer le plus vite possible.
S'inspirant de plusieurs régimes totalitaires, fictifs ou historiques, pour dépeindre l'univers de Libria, EQUILIBRIUM a cherché ses sources visuelles dans certains monuments du XXème siècle liés à de tels systèmes politiques. Tourné à Berlin, il exploite ainsi de nombreux bâtiments nazis, qui écrasent, par leurs présences massives, les spectateurs et les personnages. Afin d'apporter une touche technologique et futuriste, des sites berlinois construits récemment ont aussi été mis à contribution. Le mélange des deux univers aboutit à un résultat cohérent et spectaculaire, créant, à relativement peu de frais, un univers imposant, qu'il aurait été beaucoup plus coûteux de réaliser aux USA, uniquement à partir de décors construits ou d'effets spéciaux (certains plans d'ensemble de Libria, entre autres, sont toutefois des trucages numériques).
Toujours dans le domaine de la direction artistique, EQUILIBRIUM marque des points en soignant particulièrement ses costumes et accessoires, notamment en recyclant astucieusement des objets contemporains ou anciens (casques de moto, téléphones...). Il propose ainsi un univers composite, mélangeant avancées futuristes et régressions technologiques, tout à fait admissibles sachant que la civilisation a dû se reconstruire après sa quasi-annihilation.
Pourtant, EQUILIBRIUM ne réussit pas totalement son pari. Ainsi, il abuse de certaines naïvetés (le tableau de la Joconde, par exemple) ou souligne avec lourdeur des moments de pathos. Si la mort de Partridge, dans l'église désaffectée, ou bien la découverte du disque de Beethoven, sont mis en scène avec subtilité, on ne peut pas en dire autant d'autres passages plus discutables, comme l'épisode du chiot, d'une mièvrerie franchement déplacée dans une oeuvre se voulant "grave". Toujours en ce qui concerne des ruptures de ton discutables, EQUILIBRIUM a une déconcertante manière de nous proposer un héros ému par la dignité des résistants ou par le regard plein de tendresse d'un petit animal, qui, en l'espace d'un plan, se met à fracasser crânes, tibias et avant-bras dans des explosions de violence peu en phase avec le propos humaniste du récit !
Signalons toutefois que les dites scènes d'action sont spectaculaires et, surtout, assez originales. Refusant de reprendre à l'identique des formules du cinéma de Honk Kong, EQUILIBRIUM propose un art de combat assez inattendu, remarquablement mis en valeur par la réalisation et, surtout, exécuté par un Christian Bale tout à fait convaincant dans ces moments. L'influence du cinéma d'action asiatique est néanmoins évidente (combats au sabre, attaque d'un hangar sortie tout droit de A TOUTE ÉPREUVE...). Et cela renvoie à l'un des reproches les plus fréquemment formulés à l'encontre d'EQUILIBRIUM : il s'agirait d'un clone opportuniste du premier MATRIX.
Mélange de science-fiction pessimiste et de séquences d'action ; individu prenant conscience d'être piégé au sein d'un système aliénant ; influences asiatiques ; scènes très proches du film des Wachowski (l'entraînement au shinai, la traversée finale du hall menant au bureau de Dupont...) : EQUILIBRIUM prête effectivement le flanc à cette critique. Néanmoins, son propos n'est pas réellement semblable, pas plus que son univers visuel (ici, un néo-classicisme totalitaire, assez anachronique et peu technologique). L'informatique ne tient pratiquement aucune place dans le récit et les trucages numériques ne sont jamais ostentatoires. Enfin, les scènes de combats adoptent des parti-pris différents : le côté spectaculaire vient de l'extrême rapidité des mouvements, alors que MATRIX ralentit l'action afin de la décomposer.
Il est facile d'énumérer des reproches à l'encontre d'EQUILIBRIUM : sujet moyennement original, traitement inabouti, incohérences scénaristiques, ton hésitant... Il s'agit néanmoins d'un film ambitieux, proposant une restitution intéressante d'un univers totalitaire. Il est, de plus, défendu par des comédiens non seulement brillants, mais en plus crédibles dans les séquences physiques.
Toutefois, la sortie d'EQUILIBRIUM se fera dans une certaine confusion. Dimension semble s'en désintéresser et ne l'exploite, aux USA, qu'à partir du 4 décembre 2002 (le début décembre étant considéré comme une période très défavorable aux sorties). Il est distribué dans un circuit de 301 salles seulement : pour comparaison, le même studio a sorti HALLOWEEN RESURRECTION, dont le budget est inférieur à celui de EQUILIBRIUM, dans plus de 1900 cinémas ! En France, il arrive en plein cœur de l'été 2003, et passe plutôt inaperçu. Depuis, Kurt Wimmer et Lucas Foster se sont remis au travail sur un nouveau film fantastique : ULTRAVIOLET, actuellement en tournage.
En DVD, EQUILIBRIUM n'est pas gâté non plus. Aux USA (zone 1, NTSC), Buena Vista le distribue dans un disque à l'interactivité limitée. Seuls deux commentaires audios ont ainsi été produits pour cette sortie : un par le réalisateur Kurt Wimmer ; l'autre par Wimmer et son producteur Lucas Foster. Le reste des bonus se limite à une indigente featurette promotionnelle de cinq minutes et à quelques bandes-annonces Buena Vista.
En France, ce titre est pris en charge par TF1 video. Cette édition propose le film dans son format scope (2.35 avec option 16/9) d'origine, dans un excellent télécinéma, comme on pouvait s'y attendre pour un film aussi récent. Tout juste constate-t'on la présence de petites traces de compression (scènes sombres assez fourmillantes), mais le résultat d'ensemble est parfaitement satisfaisant.
C'est certainement au niveau des bandes-son, explosives, que l'édition française marque le plus de points. Si le DVD américain n'offrait que la piste anglaise en Dolby Digital 5.1, TF1 propose les options française et anglaise en DD 5.1 OU en DTS, dans les deux cas ! Le choix d'une piste anglophone impose la présence d'un sous-titrage français.
Fatalement, la présence de deux pistes DTS entraîne une section bonus maigrichonne (mais entièrement sous-titrée en français). On retrouve ainsi la featurette peu passionnante du DVD Buena Vista, agrémentée, en plus, d'une petite galerie de photos de plateau et de la bande-annonce française. Seul un des deux commentaires audios (celui de Wimmer et Foster) est présent ; le commentaire du réalisateur seul s'est donc perdu en route, ce qui est regrettable. Néanmoins, la piste présente, amusante et informative, compense en partie l'absence d'autres suppléments.
Techniquement très réussi, ce DVD français d'EQUILIBRIUM reste une solution incontournable pour les cinéphiles francophones, d'autant plus qu'il propose une piste sonore anglaise DTS, absente du DVD américain ! La disparition d'un des deux commentaires audio est tout de même regrettable. Les anglophones pourront néanmoins en trouver une transcription sur cet excellent site de fan.