Giorgio, un riche homme d'affaires, meurt apparemment de cause naturelle. Curieusement, un accident empêche une autopsie approfondie de son cadavre. Son spectre apparaît alors à sa fille Rosy, lui révèle qu'il a été assassiné et la supplie de découvrir le coupable...
Après NIGHTMARE CONCERT, Lucio Fulci tourne un nouveau film d'horreur : VOIX PROFONDES, qui est en fait l'adaptation d'une nouvelle qu'il rédigea pour la "Gazetta di Ferenze", puis qui a de nouveau été publiée dans son recueil de textes "Le lune nere". Il réunit une équipe de comédiens peu connus, même si Duilio Del Prete était assez souvent apparu dans le cinéma populaire italien des années 1970 (LE TÉMOIN A ABATTRE de Castellari, par exemple). Il retrouve l'actrice Karina Huff, qu'il avait dirigée dans le téléfilm LA CASA DEL TEMPO, et, surtout, son fidèle monteur Vincenzo Tomassi, avec lequel il a travaillé plus ou moins régulièrement depuis PERVERSION STORY, notamment pendant toute sa période "classique", de L'ENFER DES ZOMBIES à LA MALEDICTION DU PHARAON (titre vidéo).
Le businessman Giorgio Mainardi meurt subitement, une nuit, des suites d'une hémorragie interne. Mais l'autopsie de son cadavre n'a pas pu être effectuée, à cause d'un mystérieux accident de laboratoire. Toute sa famille se retrouve alors pour l'enterrement : sa fille Rosy, sa jeune épouse Lucy, sa belle-mère Hilda et son beau-frère Mario. D'autres personnes ont été touchées par son décès, comme son très jeune fils Dany, sa maîtresse Rita, ou son vieux père Paolo, entièrement paralysé et muet. Le spectre de Giorgio apparaît alors à sa fille Rosy, et lui apprend qu'il a été victime d'un meurtre. Il lui demande de retrouver son assassin. Mais elle doit faire vite, car, une fois que son cadavre sera décomposé, l'esprit de Giorgio ne pourra plus communiquer avec elle...
Par bien des aspects, VOIX PROFONDES semble renouer avec une certaine idée du thriller surnaturel italien, tel qu'on le concevait dans les années 1970. Enfant mystérieux ; étranges images prémonitoires, dont le spectateur devra décrypter le sens à l'aide d'indices dispersés au cours du métrage ; visions sanglantes ; communication avec l'au-delà ; complot criminel tarabiscoté à souhait... Ce mélange de récit policier compliqué, d'horreur et de fantastique évoque alors des titres comme LES FRISSONS DE L'ANGOISSE d'Argento ou, évidemment, L'EMMURÉE VIVANTE de Fulci.
Partant d'une enquête criminelle classique, Fulci convoque le surnaturel à travers la présence du fantôme de Giorgio qui, tel celui du père de "Hamlet", exige de sa fille qu'elle démasque son assassin. A cette situation de départ, quelques éléments sont rajoutés. Ce spectre participe aux investigations, en explorant les consciences des différents suspects et témoins, au cours de leurs rêves. Surtout, un élément fort original est introduit : l'esprit défunt de Giorgio ne pourra communiquer avec sa fille Rosy que jusqu'à ce que son cadavre devienne trop décomposé pour correspondre au souvenir qu'elle a gardé de son père. La jeune femme devra donc mener son enquête comme une course contre la montre.
Il n'est pas nécessaire d'aller cherche les suspects très loin. Les rapaces tournant autour de la dépouille de Giorgio sont essentiellement des personnes qui devraient, théoriquement, lui témoigner de l'affection : les membres de sa famille. Parmi eux, seuls les enfants et son vieux père paralysé semblent ne rien avoir à se reprocher et éprouver, à son égard, une tendresse désintéressée. En se référant encore à "Hamlet", on pourrait dire qu'il y a indéniablement quelque chose de pourri dans la riche famille Mainardi !
Fulci a souvent affirmé que VOIX PROFONDES était une oeuvre incomprise, à travers laquelle il évoquait les rapports entre les vivants et les morts. Ces derniers survivent au-delà de la perte de leurs corps, au travers du souvenir que gardent d'eux ceux qui les aiment sincèrement. Le réalisateur dépeint aussi la relation attendrie et sincère entre un homme et sa fille, un thème qu'on peut voir comme autobiographique. En effet, dans ses dernières interviews, Fulci insistait sur sa fierté de travailler, dans ses ultimes années, avec sa fille Camilla (alors son assistante). Il exprimait même, alors, son envie de la voir prendre son relais, comme réalisatrice, dans le milieu du cinéma fantastique italien. Par ailleurs, on se souvient que la relation père-fille sous-tend, de manière déchirante, l'intrigue criminelle de L'ÉVENTREUR DE NEW YORK.
Techniquement, c'est un Fulci très en forme qu'on retrouve aux commandes de VOIX PROFONDES : nombreux mouvements élaborés de caméra ; séquences complexes (la messe des funérailles avec ses nombreux flash-backs et ses emplois surprenants de la caméra subjective) ; mise en scène soignée (Rosy a la révélation du coupable après s'être endormie sous un tableau représentant l'annonce faite à Marie par l'archange Gabriel !) ; emploi habile de panoramiques et d'objectifs à courtes focales pour restituer la "zone" onirique où se rencontrent Giorgio et Rosy... Hélas, il faut reconnaître que ces efforts sont un peu gâchés par une photographie trop terne.
Comme dans LA LONGUE NUIT DE L'EXORCISME, Fulci n'hésite pas à rehausser son intrigue policière de passages assez gore, essentiellement dans des scènes oniriques reflétant la culpabilité souterraine des divers personnages. Surtout, les scènes funèbres nous faisant vivre, de l'intérieur, la décomposition de Giorgio, semblent renouer avec le jusqu'au-boutisme macabre de FRAYEURS (difficile de ne pas penser à l'enterrement de Catriona McColl).
Alors : VOIX PROFONDES est-il un chef-d'œuvre incompris et mal aimé de la filmographie de Fulci ? Hélas, il n'est pas possible de s'avancer autant. Le récit policier, riche et soigné, souffre pourtant d'une mise en place peut-être trop lente et trop longue. L'interprétation manque gravement d'entrain et de charisme, ce qui rend l'histoire bien moins captivante et émouvante qu'elle pourrait l'être. Enfin, les éclairages fades et la direction artistique ne sont pas vraiment à la hauteur des ambitions de Fulci, et ils donnent à l'œuvre un cachet de téléfilm, en contradiction avec le travail brillant effectué au niveau de la mise en scène.
VOIX PROFONDES est donc une oeuvre vraiment intéressante et, en tout cas, indéniablement sincère et ambitieuse. Toutefois, il ne sortit sur les écrans italiens qu'en 1994, plus de trois ans après la fin de son tournage. En France, il a été distribué en vidéo uniquement, dès 1991, sous le titre VOIX PROFONDES.
Ensuite, Lucio Fulci se rend aux USA, plus précisément en Louisiane (où il avait déjà filmé des extérieurs pour L'AU-DELA), afin d'y tourner LE PORTE DEL SILENCIO, produit par Joe D'Amato. Mais ce film ne sort pas au cinéma en Italie. Ensuite, la carrière de Fulci s'est retrouvée au point mort. Finalement, Dario Argento lui propose de mettre en scène une nouvelle version de L'HOMME AU MASQUE DE CIRE (ce genre de remake était alors fort à la mode à Hollywood, suite au succès du DRACULA de Coppola). Toutefois, le réalisateur meurt avant le commencement du tournage, et LE MASQUE DE CIRE (titre vidéo) sera finalement réalisé par Sergio Stivaletti, sur un scénario signé Dario Argento, Daniele Stroppa et Lucio Fulci.
One plus One nous propose donc une nouvelle édition DVD de VOIX PROFONDES, déjà sorti auparavant : aux USA (Image ; NTSC, zone 1) ; en Allemagne (Astro ; PAL, zone 2) ; et aux Pays-Bas (EC ; PAL, multizone), cette dernière édition ayant déjà été testée sur DeVil Dead.
Le film est ici proposé dans un cadrage 1.77, avec option 16/9, comme pour les DVD hollandais et américain. Toutefois, la vidéo française de 1991 proposait le film dans un format légèrement moins large (1.66). L'image est assez terne et propose une définition plutôt en retrait (sans doute à cause de l'usage fréquent de filtres). De même, la compression des scènes sombres n'est pas toujours parfaite. Le résultat reste globalement acceptable.
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On notera que le disque français présente un copie italienne du film contrairement à celle internationale utilisée sur le DVD hollandais. En comparant plus avant, on s'aperçoit que le disque français arbore une image aux couleurs plus naturelles mais plus ternes alors que le disque hollandais exagérait la saturation des teintes chaudes. Enfin, la définition s'avère meilleure sur le disque français qui propose un peu plus d'image en haut et sur la gauche.
La bande-son est proposée dans sa version italienne originale, avec sous-titres français amovibles. Elle est sans doute le point le plus faible du DVD : assez sourde, elle trahit des petits problèmes de pleurage et de souffle. La musique, souvent mixée très bas, est à peine audible. Ce DVD ne propose pas de doublage français, alors qu'il y en avait bien eu un enregistré et publié pour la sortie vidéo en France.
One plus One offre une interactivité assez variée. Certains des bonus se retrouvent déjà sur NIGHTMARE CONCERT et ont donc déjà été présentés dans ce test : les bandes-annonces, la filmographie et la biographie de Fulci.
En plus, un nouveau petit documentaire de 15 minutes, "Voyage au pays de l'horreur", présente l'œuvre de Fulci à travers les avis de certains de ses admirateurs. Saluons la production d'un tel bonus exclusif par One plus One, qui relève presque du miracle dans notre pays où l'interactivité accompagnant les DVD de cinéma populaire italien se résume, neuf fois sur dix, à très peu de choses. Ce document donne toutefois une image de Fulci semblant se limiter au "fou de gore" du début des années 1980, étalant des scènes sanglantes à la queue leu leu sur des scénarios rachitiques. Cela ne rend pas totalement justice à sa filmographie, tout de même assez variée. Néanmoins, on comprend que ce raccourci ait pu être imposé par la durée ramassée de ce bonus.
On signale aussi une petite imprécision, ce document et certains de ses intervenants présentent VOIX PROFONDES comme le "dernier" film de Fulci, ce qui n'est pas tout à fait exact. En effet, il a été tourné, comme on l'a vu, début 1991, avant LE PORTE DEL SILENCIO. La date de 1994, parfois utilisée par certaines sources, correspond en fait à la sortie, tardive, de VOIX PROFONDES dans les salles italiennes. LE PORTE DEL SILENCIO n'ayant jamais eu de sortie au cinéma dans son pays d'origine, la date de son tournage, 1991, est toujours utilisée. Pourtant, dans l'ordre des tournages, il est bien le dernier film réalisé par Fulci. Enfin, le DVD One plus One propose, en complément de programme, le court-métrage CARTE POSTALE, réalisé par Patrick Chamane.
VOIX PROFONDES sort donc dans une édition correcte. En tout cas, il s'agit de la plus fastueuse jamais proposée pour ce titre. Ce DVD permet ainsi de redonner sa chance à ce film, dont la sortie vidéo s'était faite dans une certaine indifférence.