En 1988, après AENIGMA, Fulci se rend aux Philippines pour y tourner ZOMBI 3. Il aurait du s'agir d'un prolongement de L'ENFER DES ZOMBIES et d'un retour au cinéma d'épouvante du début des années 1980, qui avait valu à ce réalisateur ses plus gros succès. Mais l'expérience tourne mal, et il se dispute avec la production. Le film est terminé par Bruno Mattei et Claudio Fragasso.
Fulci accepte ensuite de faire une série de petits films d'horreur pour la compagnie Alpha Cinematografica. Il en réalise donc deux (LES FANTOMES DE SODOME et SOUPCONS DE MORT, sortis directement en vidéo en France et en Italie), puis son nom est accolé, pour des raisons publicitaires, à des oeuvres de la même compagnie : LA PORTE DELL'INFERNO d'Umberto Lenzi ; MASSACRE d'Andrea Bianchi ; BLOODY PYSCHO, LO SPECCHIO de Leandro Lucchetti ; HANSEL E GRETEL de Giovanni Simonelli ; FUGA DALLA MORTE d'Enzo Milioni et NON AVER PAURA DELLA ZIA MARTA de Mario Bianchi.
A la même période, le réalisateur tourne deux téléfilms d'épouvante, en fait deux volets de la mini-série en quatre épisodes LE CASE DEL TERRORE. Fulci dirige LA DOLCE CASA DEGLI ORRORI et LA CASA DEL TEMPO, tandis que Lenzi fait les épisodes LA CASA DEL SORTILEGIO et LA CASA DELLE ANIME ERRANTI. Enfin, Lucio réalise DEMONIA, un film gore à petit budget mettant en scène des archéologues explorant les ruines d'une crypte où des nonnes ont été assassinées au XVIème siècle.
Tournage inachevé, téléfilms, parrainages vaseux d'œuvres destinées au marché de la vidéo... La carrière du maestro commence à sentir le roussi ! A la demande de ses producteurs d'Alpha Cinematografica, Fulci se met au travail sur un nouveau projet : NIGHTMARE CONCERT. Le film se fait avec très peu de moyens : tourné en 16mm, il va, en plus, réemployer des séquences venant d'autres oeuvres. Lucio Fulci va lui-même tenir le rôle principal : celui, justement, du réalisateur Lucio Fulci ! A ses côtés, on trouve des comédiens mineurs, n'ayant, pour la plupart, rien fait d'autre, à la notable exception de Malisa Longo (star du Eurociné HELGA, LA LOUVE DE SPILBERG (!)...). On remarque le retour du compositeur Fabio Frizzi, qui n'avait plus travaillé pour Fulci depuis MANHATTAN BABY où il s'agissait du recyclage de sa musique de L'AU-DELA.
NIGHTMARE CONCERT nous raconte les mésaventures horrifiques de Lucio Fulci, grand réalisateur de cinéma d'épouvante. Alors qu'il tourne LES FANTOMES DE SODOME et SOUPCONS DE MORT à CineCitta, il commence à être victime de malaises et de crises. Il consulte un thérapeute, le docteur Egon Schwarz, qui accepte de l'aider. Mais, l'épouse de Schwarz est une mégère invivable, qui fait tourner son mari en bourrique, tant et si bien que ce dernier finit par concevoir une haine générale pour toutes les femmes. Le thérapeute élabore alors un plan démoniaque : après avoir hypnotisé Lucio Fulci, sous un prétexte médical, il lui donne des instructions particulières : le réalisateur sera désormais harcelé par des visions macabres. Schwarz prévoit que Fulci finira par se croire coupable des meurtres de femmes commis dans la région, et se livrera à la police. Mais en fait, ce sera Schwarz lui-même qui commettra les meurtres, assouvissant ainsi, sans risque d'être capturé, ses penchants démoniaques...
NIGHTMARE CONCERT s'appuie sur une idée assez amusante : un réalisateur de films d'épouvante, hanté par les visions de violence qu'il met en scène, voit la réalité contaminée par ses oeuvres de fiction. Comme dans celles-ci, des jeunes femmes sont assassinées par un sadique, tandis que le metteur en scène ne parvient plus vraiment à reconnaître ce qui est fictif et ce qui ne l'est pas sur ses plateaux de tournage. Fulci propose donc sa version gore de LA NUIT AMÉRICAINE ou de HUIT ET DEMI, en poussant encore plus loin l'audace que Fellini et Truffaut, puisqu'il se met lui-même en scène, sous son propre nom ! Le début du film donne lieu à des séquences assez cocasses, proches de la comédie : Fulci, après avoir tourné une scène de cannibalisme, se voit proposer, dans un restaurant, un steak tartare bien rouge, qu'il refuse, dégoûté ; ou bien, sous l'emprise des images d'orgies nazies qu'il vient de filmer pour LES FANTOMES DE SODOME, il violente sa productrice allemande... qui le félicite ensuite de sa performance ! Sous l'ironie, le réalisateur trahit aussi une certaine angoisse liée à son métier, tout de même particulier, d'inventeur d'horreurs. Il se décrit en proie à un état de crise, illustré par une astucieuse métaphore macabre : tandis qu'il couche sur le papier de nouvelles idées sanglantes à mettre en scène, un chat, enfermé dans son crâne, lui lacère et lui dévore les méninges.
Hélas, NIGHTMARE CONCERT dégénère vite. A partir des premiers meurtres commis par Schwarz, ce film part en effet complètement en sucette. Sous prétexte qu'on assiste aux tournages des FANTOMES DE SODOME et de SOUPCONS DE MORT, le métrage nous avait déjà resservi de longs extraits de ces oeuvres. Mais voilà que NIGHTMARE CONCERT se transforme en une série discontinue de scènes de meurtres... venant pratiquement toutes d'autres oeuvres ! Alternent alors, dans le plus grand désordre, des plans d'un Fulci hagard, haussant les sourcils pour mimer l'effroi ; des images de Schwarz grimaçant, une arme à la main ; et des séquences d'épouvante venues de MASSACRE, SOUPCONS DE MORT, LA PORTE DELL'INFERNO... En fait, tout le catalogue des producteurs semble y passer, dans un ahurissant festival de faux-raccords (lumières, décors...) ! On est bien triste de voir Fulci se commettre dans une pareille escroquerie...
Partant d'une idée intéressante (Fulci affirmera que Craven s'en est sans doute inspiré pour FREDDY SORT DE LA NUIT), NIGHTMARE CONCERT s'avère, en fin de compte une grosse déception. La quantité impressionnante de scènes gore ne suffit pas à faire oublier qu'elles proviennent, pour la plupart, d'autres films. L'ensemble s'avère aussi confus que laid, et ,en fin de compte, totalement indigne du brillant technicien de LA MAISON PRÈS DU CIMETIÈRE ou de l'habile scénariste de L'EMMURÉE VIVANTE.
Sorti dans les cinémas italiens en août 1990, NIGHTMARE CONCERT eut encore l'"honneur" douteux de se voir totalement interdit en Angleterre, comme, auparavant, L'ÉVENTREUR DE NEW YORK ! Il a été distribué en laserdisc en Amérique, puis en DVD dans diverses éditions, notamment aux USA, en Allemagne et même en Grande-Bretagne, après que le BBFC a fini par lever l'interdiction pesant sur ce long-métrage.
Le voici donc qui arrive en France, ce qui constitue un évènement en soi, puisqu'il y était jusqu'ici inédit. Il est d'ailleurs proposé avec sa fin intégrale, alors que, lors de sa distribution italienne, les producteurs l'avaient raccourcie. Toutefois, cette fin n'est pas une exclusivité de ce DVD, contrairement à ce qui est affirmé dans l'interactivité, puisqu'elle était déjà disponible ailleurs, au moins sur le DVD allemand. L'image est proposée en 16/9, dans un cadrage panoramique 1.66, son format original, avec une qualité très correcte. Si on veut bien se rappeler que NIGHTMARE CONCERT alterne stock-shots et 16mm, il est même permis de trouver le résultat franchement satisfaisant, le travail numérique passant globalement inaperçu (à part quelques curieux petits défauts dans la scène du hangar à bateaux).
Seule la bande-son italienne, en mono d'origine, est proposée, ce qui n'est pas anormal, le film n'ayant jamais été doublé en français. Cette piste sonne de façon satisfaisante, même si on regrette d'étranges effets de pleurage sur la musique. Le sous-tirage français est amovible à volonté.
Le principal bonus, "Morceaux choisis", consiste en un assemblage d'une vingtaine de minutes de scènes provenant de NIGHTMARE CONCERT, commenté par une voix off apportant de nombreuses informations sur la production et les divers extraits incorporés au film. Celui-ci étant loin d'être le mieux documenté de son auteur, on ne peut qu'applaudir ce travail très riche en anecdotes de toutes sortes, bien qu'on note quelques petites imprécisions (où y a t-il une BMW blanche dans la poursuite du vagabond ?).
On peut aussi consulter les bande-annonces originales italiennes (sous-titrées en français) de NIGHTMARE CONCERT et de VOIX PROFONDES, ainsi qu'une filmographie et une biographie de Fulci : cette dernière est assez soignée, bien que trop courte, et un peu approximative (personne n'est tué à coups de fouet dans LE TEMPS DU MASSACRE).
On a encore accès à des bandes-annonces récentes d'autres DVD publiés chez One plus One (collections Mario Bava et Roger Corman). Enfin, cet éditeur a la bonne idée de proposer le court-métrage, AH, LES FEMMES de Nicolas Hourès, un épisode de comédie noire, entre Tarantino et C'EST ARRIVE PRÈS DE CHEZ VOUS, mettant en scène un misogyne détraqué assez proche du docteur Schwarz !
Les fans francophones du maestro soucieux de compléter leur collection peuvent sans problème se tourner vers cette édition très correcte de NIGHTMARE CONCERT, la première, à notre connaissance, à proposer un sous-titrage dans notre langue.