Durant la guerre civile en Espagne, le jeune Carlos est placé
dans un orphelinat catholique suite à la mort de son père
républicain. L'établissement est dirigé par Carmen
(Marisa Paredes),
gardienne en secret d'une fortune en lingots d'or, argent de la cause
de son mari défunt que convoite activement le brutal Jacinto
(Eduardo
Noriega), ancien orphelin devenu homme à tout faire. Endurant
la violence quotidienne entre enfants et le manque de nourriture, Carlos
va peu à peu découvrir que l'établissement est
hanté par le fantôme du jeune Santi, un orphelin mystérieusement
disparu le soir où une bombe nationaliste s'est plantée
dans la cour centrale sans même exploser.
Depuis quelque mois, soit depuis la sortie française quasi simultanée de L'ECHINE DU DIABLE et de BLADE II, on n'aura jamais autant parlé de Guillermo del Toro. L'effet de surprise est d'autant plus grand que personne à vrai dire ne s'était véritablement amouraché de ce réalisateur d'origine mexicaine. Et pourtant, avant son entrée à Hollywood avec le maîtrisé mais peu novateur MIMIC, Guillermo del Toro avait réalisé un petit bijou avec CRONOS. Tournant le dos aux poncifs les plus tenaces, del Toro réinventait ici le mythe du vampire au travers de la très touchante histoire entre une petite fille et son grand-père. Du fantastique très personnel qui est malheureusement passé complètement à côté de son public (sauf pour une poignée de curieux comme Marc Caro qui, impressionné par la performance de Ron Perlman, convainc Jeunet d'engager le comédien pour LA CITE DES ENFANTS PERDUS). Jusqu'à présent disponible en zone 2 en édition de supérette, le film devrait espérons-le bénéficier d'une nouvelle jeunesse via une édition collector digne de ce nom.
Situé entre MIMIC et le furieux BLADE II, L'ECHINE DU DIABLE est pour Guillermo del Toro l'occasion d'un retour vers un cinéma plus personnel, dans la même inspiration que CRONOS justement. Trimballant depuis un moment déjà un script aux multiples reflets autobiographiques, del Toro concrétisera son vieux projet loin de Hollywood grâce à la boîte de Pedro Almodovar, El Deseo, et à l'aide du scénario de deux critiques espagnols qu'il fusionnera au sien. Loin des standards US, L'ECHINE DU DIABLE est au final une uvre totalement à part, ne serait-ce que par son traitement totalement adulte allié à une richesse narrative qui n'hésite pas à déborder de son carcan de film de genre dès que nécessaire.
La grossière erreur concernant L'ECHINE DU DIABLE serait de le limiter à un film de fantômes, dans le sens classique du terme. A l'instar de CRONOS et du mythe vampirique, Guillermo del Toro cherche ici à réinventer totalement la figure du spectre afin de la dépasser totalement. Pour del Toro, un fantôme n'est pas un ressort ectoplasmique, mais plus largement la métaphore de ce qui a été perdu ou oublié. Le petit Santi n'est donc pas le seul fantôme du film car à vrai dire, chaque personnage est un fantôme : la courageuse Carmen que la perte de sa jambe a rendue prisonnière de l'orphelinat, le professeur Casares (Federico Luppi) cachant derrière son savoir la peur d'assumer sa responsabilité de résistant, la brute épaisse Jacinto dont on perçoit encore par fraction l'enfant seul et triste qu'il a été. Autant de figures désincarnées évoluant dans un univers fuyant, une Espagne stigmatisée qui n'est plus que l'ombre d'elle-même.
Le spectateur formaté aux rythmes et rebondissements du cinéma de genre moderne risque donc d'être déconcerté par L'ECHINE DU DIABLE et son ambiance dilettante. L'absence d'intrigue principale risque avant tout d'en perdre beaucoup en route. Bien entendu, del Toro se moque totalement de créer plus ou moins artificiellement du suspens avec son histoire. Et si le film flirte à un moment donné avec le "whodunit", le cinéaste lâche vite prise afin de se concentrer toujours un peu plus sur ses personnages et surtout le parcours quasi initiatique du jeune Carlos, pris entre les griffes du fantastique et le drame du film de guerre.
Cette polyphonie d'ambiances et d'inspirations fait donc toute la richesse
narrative de L'ECHINE DU DIABLE. Richesse parfaitement soutenue
par une mise en scène époustouflante. On savait del
Toro obsédé par la composition du cadre, il nous le
prouve à chaque plan du film. Ses images, associées à
la très belle photo de Guillermo
Navarro (un habitué des films de Robert
Rodriguez), sont travaillées à l'extrême, fourmillant
de détails pourtant discrets. Un luxe visuel comme le genre n'en
bénéficie que trop rarement. Le cinéaste n'en oublie
pas pour autant ses acteurs, qu'il dirige là encore de façon
admirable. Les trois acteurs principaux adultes rivalisent de nuances
afin de donner vie à leurs personnages (l'impuissance au propre
comme au figuré de Casares, Jacinto est constamment montré
en position de consommation alors que les enfants sont travaillés
par la faim), tandis que les jeunes comédiens se montrent très
crédibles dans des rôles pourtant difficiles car multidimensionnels
(voir l'évolution des relations entre Jaime et Carlos, passant
d'ennemis jurés à amis intimes). L'ECHINE DU DIABLE
est donc une grande réussite, hors norme et hors mode, à
n'en point douter l'un des films les plus inspirés que le genre
nous ait offerts.
L'édition Zone 2 française du film est une très bonne surprise. Techniquement, il n'y a rien à redire. L'image est irréprochable, et rend parfaitement justice à la beauté formelle du titre. Selon votre installation sonore, vous pourrez profiter du film en stéréo surround ou en 5.1 aussi bien en version originale (à privilégier) qu'en version française. A noter que la teneur introspective de L'ECHINE DU DIABLE n'impose pas non plus de déluges multicanaux, ne vous attendez donc pas à des effets sonores tonitruants.
Question bonus, l'édition française améliore le contenu de l'édition espagnole (l'édition jusqu'à présent la plus complète), notamment grâce à la participation de l'équipe de Mad Movies. La pièce de choix des suppléments se trouve être évidemment le commentaire audio de Guillermo del Toro et du directeur de la photo Guillermo Navarro (sa présence n'étant pas spécifiée sur la jaquette). Les deux hommes reviennent donc en profondeur sur chaque image du film, avec moult décorticages techniques et surtout sémantiques. Passionnant mais très spécialisé, bien que del Toro détende régulièrement l'atmosphère en évoquant ses débuts tâtonnants (pour mémoire, le cinéaste débuta sa carrière comme spécialiste des effets spéciaux au Mexique).
Le reste des bonus, bien que plus classique, se montre très intéressant. Le making of, d'une durée moyenne, est très riche en images de tournage et en propos des différents intervenants. Dommage que les minutes passent si vite. Une section interview regroupe des entretiens avec Guillermo del Toro, Eduardo Noriega et Marisa Paredes. D'une durée plus confortable, ces conversations (menées par l'admirable Rafik Djoumi) se révèlent passionnantes et complémentaires. Les lecteurs de Mad Movies ne pourront s'empêcher cependant d'éprouver une sensation de déjà-vu, l'entretien de Noriega et de Del Toro ayant été retranscrit plus ou moins intégralement dans le magazine à l'occasion de la sortie nationale du film.
Alors que le disque espagnol nous proposait de visionner des séquences d'effets spéciaux en achèvement, l'édition française a l'initiative d'accompagner ces images du commentaire audio très éclairé de Julien Dupuy, journaliste et spécialiste des effets visuels. L'idéal pour s'aider à décrypter les procédures parfois complexes des trucages infographiques. Identique par contre au disque espagnol, un comparatif film / story board nous permet d'apprécier le degré de préparation atteint sur le film (ce comparatif étant incroyablement proche du papier à l'écran). Pour finir ce tour d'horizon des bonus, nous trouvons une galerie de photo (des clichés d'exploitation du titre), les différentes bandes-annonces (en version originale ou doublée), des filmographies, ainsi qu'un petit livret sur le film labellisé là encore Mad Movies.
Avec L'ECHINE DU DIABLE, Guillermo del Toro s'impose discrètement comme l'un des cinéastes les plus talentueux du genre. Déguisé en film de fantômes traditionnel, son film est en fait un témoignage introspectif sur une nature humaine sacrifiée. Un film rare et parfaitement maîtrisé, dont la richesse narrative n'a d'égale que sa beauté formelle. A ne louper sous aucun prétexte, d'autant que l'édition française du titre se montre plus généreuse question bonus que son homologue espagnole.