Au XXIIème siècle, les planètes du système
solaire ont été colonisées par les humains. Les
transports de marchandises intergalactiques sont assurés par
les "Space Truckers", les routiers de l'espace. L'un d'eux,
le vieux bourlingueur indépendant John Canyon, accepte de transporter
une mystérieuse cargaison vers la Terre. Les évènements
vont lui faire découvrir qu'il s'agit de redoutables robots de
combat, destinés à intervenir dans un coup d'état
planétaire...
SPACE TRUCKERS est un film de science-fiction, plutôt familial (aux USA, le MPAA ne l'a classé que PG-13) réalisé par Stuart Gordon, connu avant tout pour ses productions horrifiques. Pourtant, sa filmographie n'est pas si bien connue que cela, notamment en France où les sorties de ses films ont été assez irrégulières. Il paraît donc intéressant de revenir rapidement sur sa carrière. Homme de théâtre à Chicago, il y dirigeait une compagnie depuis 1969 avant de passer à la réalisation d'une toute petite production horrifique inspirée d'une nouvelle de Lovecraft, RE-ANIMATOR : Herbert West, un jeune étudiant en médecine, parvient à mettre au point un sérum capable de rendre la vie à des cadavres. Ce script est prétexte à une débauche d'humour très noir et de zombies affamés. Malgré un budget très restreint qui limite tout de même les possibilités du réalisateur, le film connaît un beau succès et devient la mascotte de la presse de cinéma fantastique, notamment en France. Gordon y rencontre déjà nombre des collaborateurs avec lesquels il travaillera plusieurs fois ensuite : les producteurs Brian Yuzna et Charles Band, le scénariste Dennis Paoli, le compositeur Richard Band, les acteurs Jeffrey Combs et Barbara Crampton... Il tourne ensuite DOLLS, toujours pour Band et Yuzna, où il donne la vedette à sa femme Carolyn Purdy-Gordon : des voyageurs égarés arrivent dans une étrange maison où un couple de vieillards inquiétants créent des jouets mystérieux et très dangereux. Mais on attendait surtout FROM BEYOND, seconde adaptation de Lovecraft par Gordon, qui réunit, mais avec des moyens plus conséquents, la même équipe que RE-ANIMATOR. Le docteur Pretorius crée une machine capable de rendre les hommes sensibles à des pans entiers de la réalité jusqu'alors inaccessibles à la compréhension humaine. Ce génial délire érotico-gore, plus original et abouti que RE-ANIMATOR, et bien plus fidèle aux idées spécifiques à Lovecraft, est reçu tièdement par la critique française.
C'est ensuite que cela se gâte vraiment pour Gordon. Il commence à réaliser une onéreuse fresque de science-fiction dans laquelle des pilotes de robots géants s'affrontent en live dans des combats inspirés directement par le jeu de plateau américain BATTLETECH et l'animation japonaise (de GOLDORAK à PATLABOR) . Mais la compagnie productrice Empire, dirigée par Charles Band, fait faillite et le tournage est interrompu. Il ne reprend que trois ans plus tard, avec des moyens de fortune : LES GLADIATEURS DE L'APOCALYPSE (titre vidéo) ne sort donc qu'en 1990 aux USA et en 1994 en France, en vidéo seulement. Toutefois, en 1989, Gordon, avec ses complices Brian Yuzna et Ed Naha, rédige une histoire qui servira de point de départ au film fantastique familial CHÉRIE, J'AI RÉTRÉCI LES GOSSES réalisé par Joe Johnston, énorme succès commercial de Disney et variation enfantine de L'HOMME QUI RÉTRÉCIT de Jack Arnold. Par ailleurs, il sera crédité comme "executive producer" sur sa suite de 1993 (CHÉRIE, J'AI AGRANDI LE BÉBÉ) et il réalisera des épisodes de la série télévisée CHÉRIE, J'AI RÉTRÉCI LES GOSSES à la fin des années 90. Il participe aussi, à la fin des années 80, aux premiers travaux sur SIMETIERRE, d'après Stephen King, qui sera finalement réalisé, avec beaucoup de talent, par Mary Lambert.
En 1990, on voit sortir LA FILLE DES TÉNÈBRES (titre vidéo), un téléfilm brassant des thèmes vampiriques, tourné en Roumanie, où Anthony Perkins tient un de ses derniers rôles : une jeune américaine se rend en Europe de l'Est pour découvrir la véritable identité de son père. La même année, Gordon adapta Poe pour un film destiné à la vidéo, LE PUITS ET LE PENDULE (titre vidéo), pour Full Moon, la nouvelle compagnie fondée par Charles Band : dans l'Espagne du XVème siècle, le terrible inquisiteur Torquemada (Lance Henriksen) supervise un procès en sorcellerie où les outils de torture les plus extravagants sont employés pour extorquer des aveux. Dans ce film, on croise aussi Jeffrey Combs et Oliver Reed. Puis vient FORTRESS, un très bon mélange d'action et de science-fiction filmé en Australie et mettant en vedette Christophe Lambert. Les incohérences de son script passent sans peine grâce à la saine énergie de la réalisation de Gordon : un homme est emprisonné dans un pénitencier du futur hyper-surveillé ; il envisage néanmoins de s'enfuir. Ce sera un beau succès, notamment en France. En 1995, Gordon revient à Lovecraft (la nouvelle "JE SUIS D'AILLEURS") pour la Full Moon avec son superbe CASTLE FREAK (titre vidéo), tourné en Italie et mettant encore en vedette Combs et Barbara Crampton dans un drame fantastique où se mêlent la mélancolie des films de monstre classiques et une noirceur très Fulcienne. Viennent ensuite SPACE TRUCKERS (que nous étudierons plus loin) et THE WONDERFUL ICE CREAM SUIT d'après Ray Bradbury (dans un quartier populaire de Los Angeles, plusieurs hommes convoitent un costume porte-bonheur) : aucun des deux films ne sortira en France à ma connaissance. Enfin, Gordon tourne en Espagne DAGON (titre vidéo) pour la firme Fantastic Factory de Brian Yuzna, une excellente adaptation du classique de Lovecraft "LE CAUCHEMAR D'INNSMOUTH" : des plaisanciers américains naufragés cherchent de l'aide à Imboca, un sinistre village de pêcheurs dont les habitants se comportent étrangement.
SPACE TRUCKERS, qui nous intéresse ici, est un film de science-fiction tourné par notre réalisateur globe-trotter en Irlande (les effets spéciaux numériques étant traités en Grande-Bretagne) pour un budget relativement confortable (pour une production indépendante en tout cas) de 25 millions de dollars. C'est vraisemblablement la plus grosse somme dont Gordon ait jamais disposé pour tourner un film. Il met en vedette Dennis Hopper (qu'on ne présente plus !) , Stephen Dorff (mémorable CECIL B. DEMENTED), Debi Mazar (surtout connue aux USA pour ses rôles dans des séries télévisées) et Charles Dance (ALIEN 3, LAST ACTION HERO...).
Ce space-opera étonnant a la particularité de mêler,
avec beaucoup d'humour, une science-fiction relativement réaliste
(on se situe dans notre système solaire, les effets de l'apesanteur
se font souvent sentir) aux films de routiers américains des
années 70, dans le style de COURS APRÈS MOI SHÉRIF
avec Burt Reynolds,
LA ROUTE DE LA VIOLENCE ou encore LE CONVOI de Sam
Peckinpah. Bref, il fallait l'oser : Stuart
Gordon l'a fait ! Dennis
Hopper y interprète un vieux camionneur de l'espace, un des
derniers indépendants, bref une légende respectée
par tous ses confrères, mais pas forcément par ses employeurs
qui tentent fréquemment de le rouler dans la farine. Il est contraint
par les circonstances d'accepter une course risquée : le convoi
d'une cargaison mystérieuse vers la Terre. Il ignore qu'il s'agit
d'une armée de bio-robots de combat hyperpuissants destinés
à aider à asseoir une régime dictatorial.
Le plus étonnant dans SPACE TRUCKERS reste l'approche très particulière de la direction artistique. Au lieu de nous servir les traditionnels et assez austères vaisseaux qui sillonnent les cieux de notre futur cinématographique depuis 2001, L'ODYSSÉES DE L'ESPACE ou LA GUERRE DES ÉTOILES, on nous présente des engins spatiaux inspirés de diverses formes d'Arts populaires américains (personnalisation de camions, juke-box, flipper, affichages publicitaires...) volant sur fond de musique country. La station spatiale est ainsi une étonnante accumulation de couleurs rutilantes et bigarrées. On parle dans les truck stop cosmiques avec des accents du sud des USA (une bonne maîtrise de l'anglais est d'ailleurs recommandée pour s'y retrouver dans les accents des personnages, ainsi que dans leurs expressions argotiques). Les vaisseaux ont des looks hétéroclites et anachroniques, souvent assez peu fonctionnels, qui ont fait qu'on a parfois rapproché le travail graphique de SPACE TRUCKERS des extravagances du CINQUIÈME ÉLÉMENT de Luc Besson, sorti la même année. On repère aussi, de ci de là, des influences venues des dessins animés japonais : le camion de Canyon, avec ses multiples remorques, évoque le train de GALAXY EXPRESS 1999, tandis que le vaisseau pirate rappelle fortement le mythique Atlantis d'ALBATOR. Tout cela est très réussi, délirant et original.
Le ton du métrage est très nettement décontracté. Gordon n'oublie pas de nous rappeler son goût pour les situations absurdes à connotations érotiques. Il invente ainsi une scène prétexte (une panne de climatisation) pour faire se promener Debi Mazar en sous-vêtements au cours des trois quarts du métrage. Il ne peut s'empêcher d'exploiter l'imaginaire fantasmatique entourant l'apesanteur et le sexe spatial. Le gag le plus hilarant du film reste tout de même le pénis cybernétique de Nabel : il n'y a vraiment que chez Stuart Gordon qu'on voit de telles choses ! A travers la science-fiction, Gordon se permet aussi de décocher quelques traits incisifs sur nos sociétés actuelles et leur avenir. Les puissances des multinationales entraînent une privatisation quasi-totale de la vie publique (on se rappelle au passage la prison privée de FORTRESS), les manipulations génétiques mènent à des aberrations (les très drôles cochons cubiques), la cryogénisation permet même une apparition-surprise de Barbara Crampton... !
Toutefois, si l'univers dans lequel évoluent nos SPACE TRUCKERS est indéniablement amusant, le scénario censé les faire vivre est plus discutable. Certaines séquences isolées fonctionnent très bien, mais le récit principal, avec ses robots guerriers, n'est guère passionnant. Il en résulte un certain manque d'homogénéité et un petit manque de rythme, ce qui est tout de même surprenant pour un film de Gordon.
L'image de ce DVD n'est certes
pas la plus belle qu'on ait vu. La luminosité est très
correcte et les couleurs sont vives, tandis que la copie est indéniablement
en excellent état. Mais la colorimétrie a tendance à
laisser paraître des dominantes vertes ou bleues dans les scènes
sombres, tandis que les teints de peaux ne sont pas toujours très
naturels. La compression laisse souvent paraître un (très)
léger fourmillement dans les fonds. Soyons, honnête, c'est
tout de même très correct. Mais ça aurait pu être
mieux.
Au niveau de la bande-son,
il faut se contenter d'une piste stéréo surround en anglais.
Elle est dynamique et très vivante, bien que les timbres sonnent
parfois légèrement pincés. Pas vraiment de quoi
se plaindre néanmoins. Le seul sous-titrage proposé est
hélas en espagnol.
On navigue parmi les bonus grâce à des menus animés très sympas illustrés de chansons venant de la musique du film. On a le droit à un commentaire audio de Stuart Gordon, assez riche en infos, notamment en ce qui concerne les effets spéciaux et les changements dans le scénario (on a échappé à des lesbiennes pirates et castratrices navigant dans un vaisseau rose !). On regrette un peu que Gordon ait une certaine tendance à parler assez bas, voire parfois à marmonner dans sa barbe, ce qui ne rend pas ses propos toujours très intelligibles. Une autre option intéressante nous propose de revoir le film avec, incrusté au bas de l'écran, tout son story-board. On peut aussi trouver des bios et des filmographies complètes de Stuart Gordon et de plusieurs des acteurs de SPACE TRUCKERS, ainsi qu'une bande-annonce. Le DVD contient aussi un making of et un jeu censé contenir des bonus surprises : hélas ses deux options ont fait planté tous les lecteurs sur lesquels nous avons essayé le disque ! Dommage !
Ce serait mentir d'affirmer
que SPACE TRUCKERS me semble être le meilleur film de Stuart
Gordon. Il n'en reste pas moins un film très sympathique
et très amusant. Si je peux me permettre un peu d'exégèse,
je pense qu'à travers le portrait touchant de John Canyon, dernier
des indépendants, routard intègre qui a tracé sa
route en refusant les compromis, il est permis de reconnaître
notre bon vieux Stuart
Gordon, resté fidèles aux sujets fantastiques et au
bon esprit de la série B depuis maintenant plus de quinze années
!