Un prêtre, qui étudie
depuis 25 ans l'Apocalypse selon Saint-Jean, découvre enfin le
message sous-entendu dans ces textes sacrés. Il sait à
présent que l'Antéchrist naîtra en cette nuit du
25 décembre 1995, à Madrid. Il lui faut alors coute que
coute rencontrer le diable avant minuit...
La menace de l'apocalypse par la naissance de l'Antéchrist est un thème cher à de nombreux cinéastes, qui se font un plaisir de l'accomoder à leur sauce, pour des résultats plus ou moins réussis. De LA MALEDICTION à LA FIN DES TEMPS en passant par l'excellent ROSEMARY'S BABY.
LE JOUR DE LA BETE, malgré des moyens modestes, si l'on en juge par le documentaire présenté sur ce disque, est une production décapante qui se laisse regarder avec un plaisir évident. Les personnages sont décalés, leurs relations sont incohérentes, inimaginable dans la vie : un prêtre s'acoquine avec un métalleux tatoué, piercé et forme une équipe de choc contre le démon. Pour ce combat contre les forces du mal, le prêtre, plutôt que se tourner vers l'Eglise, demande l'aide d'un charlatan des sciences occultes qui présente un show télévisé. La mère du hardeux est une véritable furie, tandis que le grand-père se promène tout nu dans la maison. Une bande de terroristes au look BCBG sème la terreur en tuant, brulant, saccageant... Bref, tout est délicieusement délirant.
Alex
de La Iglesia dresse un portrait au vitriol de notre société.
A commencer par la télévision, dont il se fait un plaisir
de démonter les rouages grossiers pour en dénoncer toute
l'immoralité. Le show télévisé, présenté
par Cavan, permet notammment aux spectateurs de se faire prédire
leur avenir en direct. Le but : faire du sensationnel à tout
prix, et faire exploser l'audimat. Dans les foyers, dans les bars, les
postes sont branchés à l'heure du show, et le public est
pendu aux lèvres de ce charlatan. Vision on ne peut plus réaliste
du quotidien de millions de téléspectateurs qui semblent
attendre une quelconque révélation du petit écran,
fascinés par sa luminescence, hypnotisés par son pouvoir
de persuasion, mais aussi désespérés par leur condition,
d'où leur attirance pour ce show en particulier. On pourra constater
d'ailleurs que ce public se détourne ouvertement de l'Eglise,
dont le message est aux antipodes de celui transmis via le tube cathodique.
Le prêtre lui-même s'en va demander l'aide du présentateur
vedette, alors que l'on sait qu'un homme d'Eglise n'admet qu'un seul
pouvoir, celui de son Dieu, qu'il dit volontiers tout-puissant... C'est
d'autant plus drôle, lorsqu'on pense à la relation que
l'Espagne a entretenue avec l'Eglise, au temps des conquistadors et
de l'inquisition et qu'elle entretient encore aujourd'hui.
Le prêtre lui-même se laisse prendre au piège du terrible pouvoir de persuasion de ce média. Découvrant la télé pour la première fois, il vit comme une révélation les élucubrations pseudo surnaturelles de Cavan pendant son show, sûr que ce dernier est en relation directe avec le Malin. Il va lui demander son aide pour entrer en contact avec Satan. Cavan aura beau lui expliquer que son show est une arnaque, destinée à berner les millions de gogos qui le suivent chaque jour, le Père crédule n'en démordra pas. Pour le convaincre, Cavan ira jusqu'à s'adresser en direct à son public, avouant que son show est une supercherie. Il en profite au passage pour lancer des insultes à ce peuple lobotomisé par le tube cathodique. On pourrait croire qu'il signe ainsi la mort de l'émission.... Que nenni, quelques mois plus tard, le show renaît de ses cendres (selon l'expression du nouveau présentateur qui s'est fait le même look que son prédecesseur). Le public a oublié qu'il s'est fait berner, insulter. Il est de nouveau fidèle au rendez-vous. On sourit à l'idée que cette pratique est courante dans la musique, notamment. Par exemple, on a tous su que certains Boys Band (ou girls) avaient fait l'objet de changements de membres sans que personne ne s'en formalise vraiment. Tant que l'image est là, peu importe qui la véhicule. On n'est plus en présence d'artistes à part entière mais de pièces interchangeables.
Alex de La Iglesia semble se faire plaisir en mettant en concurrence Dieu et le personnage médiatique. Dans ce film on pourrait dire : Eglise et télévision, même combat. Celui de la manipulation, de l'argent, du pouvoir. La télé comme nouveau lieu sacré, le présentateur comme nouveau Messie. La différence ici est que ce dernier avoue sa supercherie, las d'abuser de la crédulité de ses ouailles. Pour enfoncer le clou, le pouvoir de persuasion de l'image est également représenté par la musique du film, dont le thème est le hard-rock. Nombreux sont ceux qui croient que les métalleux sont satanistes ! Le prêtre innocent en sera si convaincu qu'il n'aura de cesse de chercher, dans ce qui n'est qu'une image, ceux qui par leur musique "incantent les forces du mal". Encore une fois, on s'aperçoit que le réalisateur condamne allègrement tous les gens qui se laissent persuader qu'il n'y a qu'une vérité. Ceux qui par ignorance associent des idées reçues et en font leur crédo. L'intolérance, la peur de la différence, de l'inconnu sont montrés du doigt accusateur de Alex de La Iglesia. Au final, la matérialisation du Diable se fait au travers de l'extrème droite...
Une satire croustillante, donc, où tous les acteurs de notre quotidien sont caricaturés à outrance, mais un regard lucide sur l'évolution de notre société. Un film hilarant, acide et terriblement actuel.