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Critique du film
BAD TASTE 1987

 

En Nouvelle-Zélande, un commando des services secrets enquête sur des événements se déroulant dans une ville côtière. Une colonie d'extra-terrestres mangeurs d'hommes s'y est installée...

Peter Jackson naît en 1961 dans une petite ville de Nouvelle-Zélande. Très tôt, il se met à la caméra super 8 et réalise avec ses amis des petits films de guerre. Il s'intéresse aux trucages, et se passionne pour les créatures animées image par image de Ray Harryhausen (LE SEPTIÈME VOYAGE DE SINBAD, JASON ET LES ARGONAUTES).

Plus tard, il se consacre à un film de vampires, inachevé, tourné en super 8 avec un objectif cinémascope. Il trouve un travail pour un journal local, dans le domaine de la photogravure. A 21 ans, il acquiert une caméra 16 mm et commence à tourner un court-métrage les week-ends, avec l'aide de collègues et d'amis. Il conçoit les effets spéciaux et interprète deux rôles. Finalement le tournage se prolonge sur trois ans.

Grâce à l'aide de New Zealand Film Commission, il peaufine son film avec des professionnels. Après encore une année de post-production, BAD TASTE est montré au marché du film de Cannes où il est aussitôt remarqué.

BAD TASTE appartient à cette catégorie d’œuvres d'épouvante bricolées avec très peu de moyens par des cinéastes amateurs ou semi-amateurs, généralement dans des recoins perdus du monde civilisé. Leur œuvre monopolise alors leur temps libre ainsi que celui de leurs amis et famille qu'ils entraînent dans leur aventure artistique.

Déjà, LA NUIT DES MORTS-VIVANTS de George Romero, produit à compte d'auteur et interprété par des amateurs, ouvre cette voie dans le domaine de l'horreur, en alliant qualité cinématographique et originalité dans le traitement du sujet fantastique, en connaissant un succès commercial certain. Mais Romero bénéficiait tout de même de l'infrastructure technique de se petite compagnie déjà spécialisée dans le tournage de publicités.

De même, au début des années soixante-dix, LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE de Wes Craven et MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE de Tobe Hooper nous montrent des cinéastes peu fortunés tournant dans leur coin des œuvres fortes, innovantes et capables d'atteindre le grand public.

La décennie suivante, EVIL DEAD de Sam Raimi, tourné par une troupe entièrement non-professionnelle, inspiré par Romero et Hooper, rejoint les avant-gardistes du bricolage. Ce film ajoute une saisissante virtuosité technique et des effets spéciaux impeccables. Et pourtant, il s'agit d'un film tourné les week-ends, par une équipe de bénévoles menée par un passionné.

BAD TASTE, dont le tournage commence vers 1983, s'inscrit dans cette tradition. Mais son petit plus est un sens de l'humour très développé, avec une manière de traiter la violence et le gore sur un ton nettement burlesque, prolongeant ainsi le travail amorcé par George Romero (ZOMBIE), Sam Raimi (EVIL DEAD), Dan O'Bannon (LE RETOUR DES MORTS-VIVANTS) ou Stuart Gordon (RE-ANIMATOR).

Le récit de BAD TASTE parodie allègrement les films de science-fiction américains des années cinquante dans le style des SOUCOUPES VOLANTES ATTAQUENT. Des extra-terrestres attaquent un village néo-zélandais et en tuent tous les habitants afin de vendre leur viande dans des fast-foods intergalactiques.

Cet argument culinaire rappelle un sketch fameux de la série télévisée «LA QUATRIÈME DIMENSION», mettant en scène des extra-terrestres apparemment bien intentionnés. En fait, ils enlevaient des humains pour les cuisiner selon des recettes contenues dans un ouvrage - dont le titre est un savoureux double-sens : « Comment servir l'homme » !

Dans BAD TASTE, le gouvernement néo-zélandais envoie un commando sauver le monde. Ce sont en fait quatre psychopathes inexpérimentés et ballots. Ils affrontent une armée d'ouvriers extra-terrestres de troisième classe, passablement abrutis. Il existe en effet des cloisonnements sociaux stricts chez les Martiens entre cols bleus et cols blancs !

BAD TASTE est avant tout une comédie, parodiant le cinéma d'épouvante et le film de guerre. A travers le personnage irresponsable d'Ozzy, le film se moque de la vague des films avec Chuck Norris (PORTÉS DISPARUS) et autres Stallone reaganiens (RAMBO II).

L'humour est grinçant, les institutions les plus respectables sont brocardées. Armée, Reine d'Angleterre, animaux (la mythique explosion d'un mouton)... Tout le monde en prend pour son grade. Peter Jackson avoue l'influence des Monty Python sur son œuvre. Dans BAD TASTE, les personnages se découpent à la tronçonneuse, un alien vomit des litres de liquide vert dont se régalent ses compagnons, les boîtes crâniennes explosent, les rafales de mitrailleuses arrachent des bras.

Face à cette accumulation de gags gore, il est en effet difficile de ne pas penser à certains sketchs provocateurs des comiques anglais. Notamment l'explosion du trop gourmand Mr. Créosote dans MONTY PYTHON : LE SENS DE LA VIE.

Vu les conditions "non-professionnelles" du tournage de BAD TASTE, nous ne nous étonnons pas de constater certains raccords heurtés et des approximations techniques. En cela, il est un peu en retrait comparé à la finition d'un EVIL DEAD.

Pourtant, Peter Jackson fait aussi preuve d'un grand talent de bricoleur, en se confectionnant une Steadicam à l'aide de matériel de récupération ou en assemblant une grue de fortune. Son travail sur les effets spéciaux est extrêmement soigné et spectaculaire, particulièrement les multiples effets gore, avec prothèses et jets de sang, les déguisement des extra-terrestres, ou l'envol du "vaisseau spatial".

Le tout est dynamisé par un montage serré (la caméra portable Bollex utilisée durant une partie du tournage ne pouvait pas filmer plus de 30 secondes à la suite). L'enchaînement de gags et de péripéties énergiques s'avère ininterrompu et inventif.

Ce qui séduit le plus dans BAD TASTE, c'est la liberté de son ton et de sa réalisation. Son titre ("mauvais goût") est à lui seul tout un programme, que Peter Jackson s'applique à suivre durant quatre-vingt dix minutes. Sans scénario pré-écrit, le film se construit au cours de trois ans d'inventions, d'improvisations et de trouvailles.

Si les conditions financières ne sont pas évidentes, aucune pression artistique ou morale ne pèse sur Jackson et sa bande. Toutes les folies sont permises, toutes les grossièretés, les impertinences et les provocations sont admises - tant qu'elles sont drôles.

Il émane de BAD TASTE une vraie liberté, la légèreté d'un film fait entre amis pendant des vacances, le tout étant transcendé par la débrouillardise et la maîtrise technique du metteur en scène. BAD TASTE est un film drôle, qui reste, longtemps après sa sortie, irrémédiablement sympathique.

BAD TASTE est d'abord montré au Marché du Film de Cannes, puis au Festival du Film Fantastique de Paris où il fait un tabac. Il est finalement distribué en salles : quelques copies sont lâchées sur Paris en 1988 avec une affiche hors-sujet. Le public n'est pas présent et en à peine 15 jours, la carrière parisienne de BAD TASTE est terminée.

Pourtant, BAD TASTE fait le tour du monde et sa sortie en vidéo dans notre pays (avec, enfin, la vraie affiche : celle avec l'Alien faisant un doigt d'honneur !) achève d'asseoir la popularité de Peter Jackson en France.

Le futur réalisateur du SEIGNEUR DES ANNEAUX : LA COMMUNAUTE DE L'ANNEAU envisage ensuite un BAD TASTE 2, puis hésite entre un film de zombies et une œuvre mêlant aventures et Heroic Fantasy. Mais il ne parvient pas à obtenir des budgets suffisants, et il se replie sur LES FEEBLES de 1989, film de marionnettes trash parodiant le «MUPPET SHOW». Un peu moins réussi que BAD TASTE, il sort néanmoins en salle en France, mais c'est à nouveau un bide. Enfin, Peter Jackson parvient à rassembler un budget suffisant pour monter son film de zombies : BRAINDEAD.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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