La firme H.O.P.E détient une usine en Nouvelle-Guinée d’où s’échappe un dangereux virus transformant quiconque est touché en cannibale. Ou en mort-vivant. Ou en zombie. En fait, on sait pas très bien, mais une journaliste (Margrit Evelyn Newton) et son caméraman vont sur place. Non sans rencontrer une intervention militaire dont les moyens surpassent l’armée du centre-ville d’Andorre. Next step : carnage.
Braver les interdits fait partie de l’expérience cinématographique propre à tout adolescent et à tout cinéaste. VIRUS CANNIBALE, connu aussi sous le titre de L'ENFER DES MORTS-VIVANTS ou encore APOCALYPSE CANNIBALE ou d’autres titres tous aussi folkloriques, arrive sur le marché juste après ZOMBIE et L'ENFER DES ZOMBIES. Les producteurs italiens toujours à l’affût d‘un nouveau filon à traire ont donc le goût du mort-vivant en bouche et dans le porte-monnaie. Coincé entre L'AVION DE L'APOCALYPSE, ZOMBI HOLOCAUST ou encore l’abomiffreux LE MANOIR DE LA TERREUR, VIRUS CANNIBALE arrive sur les écrans français dès le 10 novembre 1982. Il cumulera au final 62 740 curieux sur 7 années d’exploitation, sa dernière diffusion en salle remontant à Paris fin 1989 - car seuls 20 697 fans perdus se rendirent au cinéma sur sa première saison.
Votre serviteur a eu le plaisir non dissimulé de le découvrir dans feu le cinéma Lumina à Audincourt (25) lors d'une séance de minuit surchauffée. A 15 ans (oui, la sortie de secours c’était aussi une entrée pour les films interdits aux moins de 18 ans), c’était le plus grand film du monde. A la revoyure, je me disais qu’on allait être là jusqu’à ce que Shelley Winters meure d’anorexie. La troisième fois, j’en étais sûr : c’était un chef-d’oeuvre méconnu pour toutes les mauvaises raisons du monde.
On va être clair dès le départ : le film réalisé par Bruno Mattei représente le Zénith du trash à la transalpine. Affublé d’une absurdité à toute épreuve, de bifurcations scénaristiques ahurissantes, il entre dans la panthéon jalousement gardé des vrais bons mauvais films. Zénith ? Osons aussi Valhalla d’erreurs de continuité en tous genres, à tous les étages. On ne parlera pas ici de « nanar », un terme prisé par certains mais qui représente à mes yeux un gentil mépris de bon aloi pour des films qui ne méritent pas le traitement de soirée potes-bière-pizza et ce qui s’ensuit. Car à comparer avec d’autres perles du même acabit, Mattei s’en sort haut la main car il possède une arme redoutable. On ne s’y ennuie JAMAIS, malgré une durée avoisinant les 100 minutes - élément relativement rare pour le film de genre.
Smart-zombie, slow-zombie, fast-zombie, le film ne choisira jamais. Et surtout en ces temps de pandémie-Coronavirus, le film trouve une résonance particulière à nos préoccupations - de l’incapacité à gérer la diffusion d’une maladie/virus - comme une matrice de RESIDENT EVIL, au fond. Génial, donc - mais cela annonce le début de moultes gâteries. Dès le générique de début, le film pointe fièrement un enregistrement en Dolby Stereo (insérer « MOUHAHAHAHA » ici) - un élément d’ailleurs curieusement absent du master utilisé par Anchor Bay aux USA lors de sa première sortie DVD. Cette notion fantaisiste de Dolby Stereo (tout pour appâter le chaland, décidément…) indique de ce fait des sources différentes. A noter que le film sortit en Grande-Bretagne sous le titre ZOMBIE CREEPING FLESH en 1982 et fut hardiment censuré de presque 14 minutes pour sa première sortie VHS. Ceci expliquant cela ?
Tourné à Barcelone et aux alentours de Rome pour une somme qu’on imagine ridicule, VIRUS CANNIBALE avance tambour battant malgré la somme impressionnante d’erreurs factuelles et autres inanités cinématographiques. On y croise même la jeep des héros à la plaque d’immatriculation parisienne : ce qui laisse supposer soit un soin tout particulier au sens du détail, soit un véhicule qui se trouvait là par hasard ou alors un tournage de certains plans en France. Film patchwork, il réintègre nombre d’emprunts à diverses sources dont la principale s’avère être le documentaire NUOVA GUINEA: L’ISOLA DEI CANNIBALI, tourné en 1974 - et qu’on retrouvera plus tard en 1979 dans un autre documentaire : DES MORTS. Les auteurs insèrent bon gré mal gré des plans d’animaux sauvages - dont certains ne sont pas sur le continent où l’action se déroule. Mais ce n’est pas tout. Mattei et ses acolytes vont mettre la main sur le catalogue de musique des Goblin, dont le réalisateur était un grand fan. De ce fait, nous aurons droit non seulement à deux-trois morceaux provenant (tiens, pratique) de ZOMBIE, mais aussi principalement de CONTAMINATION, d'un peu de BLUE HOLOCAUST… tout en y intégrant également en générique de début une composition de Luis Bacalov pour DIAMANTI SPORCHI DI SANGUE de 1977. Le film franchit l’infranchissable, y compris dans sa manière de filmer/raconter une histoire, diriger les acteurs… tout y passe pour surfer sur les modes existantes ou les copies-carbones pour faire plus « riche ». Le pire étant que ça marche (au 36e degré).
Le tout emballé avec un sérieux quasi papal… quoique certaines scènes fassent douter du bien-fondé de l’ensemble avec un second degré qui pointe le bout de son nez. La fameuse scène du militaire enfilant un tutu pour entonner « Singin In the Rain » et quelques pas de danse. On penchera plus pour le film de potes tourné à la va-vite avec apport d’idées-minute de la part de tout le monde.
En fait, VIRUS CANNIBALE use (et abuse) de références populaires du cinéma bis qui se vendait à l’époque. Les zombies, les cannibales, le mondo, l’érotisme, la menace écologique, le monde (en fin de vie en 1979 quand il a été filmé dans les terrains vagues romains pour tenter de ressembler à la Nouvelle-Guinée), le journalisme choc « le poids des mots le choc des photos » - ce que fit CANNIBAL HOLOCAUST. Le visa de censure italien de VIRUS CANNIBALE datant du 10 décembre 1980, celui du film de Deodato du 21 janvier 1980, il devient aisé de savoir qui inspira quoi !
Tout ce qui peut paraître inoffensif (enfant-zombie, prêtre, vieillard...) ne l’est plus. On y mêle aussi le terrorisme (ici écologique) recyclant les peurs type Brigades Rouges et les films de violences adolescentes alors très en vogue à la fin des années 70. Un film-shaker risible mais hardi dans sa volonté de couvrir une sociologie de l’horreur dont il n’avait très probablement pas conscience du tout. Juste faire primer la tentative d’efficacité par tous les moyens. Y compris des gags slapsticks d‘un autre temps. Des élans de poésie macabre dans ce fatras d’exotisme de pacotille - secoué d’un montage au chaos permanent et permanenté. Un discours quasi anti-raciste pointant la responsabilité du monde occidental. Entre tout cela : Margrit crie beaucoup, et bien. Au rayon standard 80’s, on est en plein dedans.
Pour ses premiers pas en HD en France, Rimini lance un combo Blu Ray (toutes zones) et DVD, avec un livret de 20 pages, le tout dans un fourreau.
Pour la durée du film, elle arrive exactement à 99mn31 sur le Blu ray et 95mn35 sur le DVD. Ce qui amène d’ailleurs à une réflexion sur les durées disponibles des différentes éditions. Le DVD Anchor Bay de 2003 (en double édition avec LES RATS DE MANHATTAN) émarge à 100mn 38. On pourra pointer les différences de défilement image d’un système à l’autre, mais il y a autre chose. La durée demeure moindre également sur le Blu Ray Blue Underground de 2014.
Apparemment, la raison vient du master fourni par les ayant-droits italiens. Quelques images du film manquent à l’appel, du fait de l’état du négatif original qui a nécessité certaines coupes pratiquement indécelables à l’œil nu. A noter que l’édition sortie au Royaume Uni chez 88 Films arrive à 98mn50. Même au niveau des éditions DVD ou Blu Ray, il y a à boire et à manger. Le destin du film, en somme !
Dès la galette enfournée, la magie opère. La musique du film a remplacé le générique audio de l’éditeur qui a joué la carte du culte construit patiemment autour du film depuis plus de 30 ans. Un menu fixe, permettant l’accès au film, aux versions française et italienne, les 10 chapitres - merci Rimini pour ce faire - et la section suppléments.
VIRUS CANNIBALE éclate au format 1.85:1 et sur un BD 50 (le DVD est sur un DVD-9) avec un débit quelque peu irrégulier. Jamais le film ne sera aussi beau à voir - toutes les versions 4K ou 8K du monde n’apporteront pas grand chose. On se rend compte à ce titre que malgré un budget miséreux, le film tient plutôt bien la route en matière technique. Bien sûr, les différences de grains entre les morceaux de films se décèlent encore plus facilement (notamment provenant du documentaire cité ci-avant). Mais la HD fait aisément oublier toutes les autres éditions DVD (on mentionnera hâtivement les VHS pénibles…). Couleurs resplendissantes, netteté des détails, des contrastes réussis, belle balance des blancs. Y compris dans les séquences extérieures, le film revêt soudainement un aspect qualitatif inespéré. Franchement, c’est du tout bon.
Pour les nostalgiques d’un autre temps, la VF croustillante est toujours présente. Et apparaît désormais de bonne qualité ! Un souffle quasi inexistant, des dialogues clairs et en mono (DTS HD MA sur deux canaux) qui n’amoindrit en rien les moments d’action ou lorsque les musiques prennent le relais. Même si certains raccords sonores sont brutaux (par exemple les sauts de la scène centrale à celle de la prise d’otage, désagréables). On préférera malgré tout la version originale italienne : plus précise pour l’ensemble des éléments audiophiles. mais surtout dotée d’un environnement de bruitages et éléments d’atmosphère que la piste française a éradiqué - par exemple dans les premières séquences de la centrale, entre autres. Au diapason du film, les sous-titres français optionnels deviennent également eux aussi pris de folie par instants, avec des traductions parfois curieuses.
Au rayon supplément, Rimini a réquisitionné le journaliste Christophe Lemaire : grand Bisseux devant l’éternel, avec un goût immodéré du genre. Toujours fun à suivre, avec quelques inexactitudes ; mais sur presque 30 minutes, la conversation tourne un peu à vide… Dommage de survoler (et parfois de manière hésitante) la carrière du cinéaste. Pas mal de redites dans l’interview si bien qu’en fait… on n'apprend pas grand chose. Ça reste dans les anecdotes, toujours amusantes et témoins d’un passé cinéphile riche, entre Starfix et Cannes, mais hélas … anecdotiques.
Il faut pour cela se reporter sur le documentaire BONDED BY BLOOD, absent sur cette édition, produit par Blue Underground et disponible sur leur Blu ray sorti il y a quelques années. Qui apporte en ce sens nombre de réponses aux questions posées lors de l’intervention du journaliste - même s’il faut prendre les allégations de Claudio Fragasso avec quelques pincettes.
On peut également se tourner vers l’interview de Bruno Mattei présente sur l’édition DVD Anchor Bay en 2002. Il y précise justement sa volonté de faire du film plus une bande dessinée qu’autre chose - et qu’il retournerait tous ses films, n’étant pas très heureux du résultat final. Ce fut le choix de la production de faire un rip-off de ZOMBIE, et deux scenarii existaient - celui retenu par la production n’intéressait pas Mattei plus que cela, mais il s’agit bien de celui qui a été tourné. Il confirme nombre d’improvisations pendant le tournage (dont la scène du tutu et celle de Franco Garofalo se jetant littéralement dans les dents des zombies). 5 semaines pour tourner l’ensemble, principalement dans la banlieue de Barcelone. Et un surplus de gore (donc de boyaux de porc ici) afin de satisfaire à la demande du marché japonais, très friand de baquets de sang.
On pourra également se laisser tenter par le livret accompagnant ce combo. Une interview plus enrichissante de David Didelot, auteur d’un livre éclairant sur Bruno Mattei, qui était parue sur le site à-voir-à-lire en 2016.
En conclusion, VIRUS CANNIBALE = indispensable. Pour notre culture cinématographique, pour son tournage commando, son goût du n’importe quoi assumé. Au Mattei-o-mètre, une échelle bissarde allant de 1 à 100, on essuie un 292 bien tassé malgré toutes les tares (in)volontaires du film.
Même si les bonus existants propres au film brillent par leur absence (vus les tarifs pratiqués par les ayant-droits, cela se comprend aisément), la beauté du Blu Ray français et le soin apporté à l’emballage commandent l’achat. Devildead approved !