Orchestrés par Boris Karloff, LES TROIS VISAGES DE LA PEUR offrent trois récits de terreur dont Michèle Mercier épouvantée par des appels anonymes d'un tueur semblant proche, Jacqueline Pierreux terrorisée par ce qu'elle croit être l'esprit d'une vielle femme et Susy Andersen aux prises avec des morts vivants vampires, les Wurdalaks.
Après une riche carrière de directeur photo et opérateur caméra, Mario Bava se tourne vers la réalisation et enchaîne des classiques comme LE MASQUE DU DEMON, LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP et HERCULE CONTRE LES VAMPIRES. Des oeuvres séminales, au sommet du cinéma populaire en termes qualitatifs et novateurs. Par cette nouvelle co-production italo-française avec la firme Lux, il s'adonne avec I TRE VOLTI DELLA PAURA ( vf : LES TROIS VISAGES DE LA PEUR ou encore BLACK SABBATH pour sa sortie US) au film à sketchs, qui connaissait un petit succès au début des années 60.
Un mélange qui prend une tangente horrifique aux multiples facettes de jalousie, meurtre, vengeance et autres morts vivants suceurs de sang. Plus ou moins inspiré de récits littéraires, Bava va laisser libre cours à son imagination visuelle débordante et à son sens si particulier de la mise en scène du moment d'épouvante et de l'atroce, passant par des geysers de faisceaux rougeoyants et leur contrepartie verte, veloutée et perçante, par le bleu profond et par d'innombrables sources de lumière qui irriguent chaque image emplie d'inquiétude, ponctuant certains moments dramatiques de zooms ou de saturation de couleurs.
De l'importance des lumières qu'il met en scène par un incroyable jeu d'ombres et de sources d'illuminations réparties notamment dans les plans du sketch "Il telefono", avec une Michèle Mercier terrorisée par un maniaque la menaçant de mort par téléphone interposé. Dès la huitième minute, elle court à travers son appartement afin de (presque) tout éteindre. A la 9e minute, seul son visage s'éclaire devant une teinture rouge, ce rouge flamboyant qui attire l'oeil aux moments opportuns. Décors, accessoires, moquette de l'escalier… une symphonie annonciatrice que Bava sait contrebalancer avec le vert attirant de la tenue de Lidia Alfonsi (la couleur complémentaire du rouge). Une véritable logique de mise en scène au service du récit. Une vision d'auteur, doublée d'un sens aigu du suspense, de la progression dramatique et du climax. Un érotisme discret, une violence éruptive, un mystère qui rebondit, des ombres menaçantes : l'annonce de la naissance de 6 FEMMES POUR L'ASSASSIN et des nombreuses règles d'or du Giallo.
De l'importance du sinistre pour "I Wurdalak", ce conte gothique horrifique nimbé de brume inquiétante. Bava reprend les thématiques et le ton du MASQUE DU DEMON, réactualisant l'ensemble avec ses jets de couleurs. Un climat de quasi cavalier sans tête qui trouve son évident prolongement dans SLEEPY HOLLOW, entre autres, et se terminant de manière morbide… peut-être une influence sur SIMETIERRE compte tenu du traitement de l'enfant? Du jeu sur les miroirs (vers la 36ème minute) aux couleurs fascinantes du coucher de soleil à l'arrivée de Mark Damon en passant par des intérieurs oppressants aux teintes sombres… un monde vampirique en mode progressif où s'engouffrent le récit et les acteurs de manière impitoyable. Voir ainsi le spectaculaire travail de Bava et de son directeur photo à la 45e minute : Boris Karloff rôde autour de la maison dans un lent panoramique latéral, passant d'un fond violacé vers une zone d'ombre, puis son visage en pleine lumière avant de replonger dans l‘ombre… un plan d'une complexité technique rare mais illuminé et capturé à l'écran avec un génie affolant. Karloff excelle dans ce rôle de patriarche au regard sombre. Son apparition à la 39e minute, mystérieuse, éclipse sans problème le reste du casting… une Susy Andersen à la carrière météoritique ou un Mark Damon très Cormanien. Il exercera, sans conteste, une influence majeure sur le cycle de cinéma gothique qui parviendra très rarement une telle maestria. A noter qu'une autre variation du récit verra le jour presque 10 ans plus tard avec LA NUIT DES DIABLES de Giorgio Ferroni, sorti récemment en Blu-ray français.
De l'importance du macabre pour "La goccia d'acqua" (VF : "La goutte d'eau"), conte moral, assis dans un décor très Art Déco, enraciné dans les règles jetées par Bava quelques films auparavant. Une photographie saturant le cadre de contrastes opérant un véritable espace de l'angoisse car, oui, cette histoire de cadavre se vengeant d'une Jacqueline Pierreux (magistrale!) lui ayant dérobé un bijou reste un des sommets de peur cinématographique jamais gravé sur pellicule ou autre extravagance numérique. Rien ne remplacera l'expérience cinéma en grand écran qui écrase le spectateur, ne lui laissant aucune alternative que de subir la pression grandissante de cette terrifiante goutte d'eau. Une scénographie parfaite pour inspirer la terreur. L'odyssée de la suppliciée se transmet immanquablement de l'écran à nos yeux ébahis.
LES TROIS VISAGES DE LA PEUR restera un chef d'oeuvre du gothique horrifique. Du gothique tout court. Du cinéma qui procure le plaisir de l'oeil, l'incitation à l'ailleurs, l'effroi, qui donne un sens aux images, sait provoquer l'insidieux. Certes, les scories du "Téléphone", première sortie en couleurs d'un thriller italien, affaiblissent quelque peu la portée onirique et surréaliste des deux morceaux suivants. Fatal déséquilibre des récits à sketchs. Nonobstant ce maigre bémol, tout amateur d'horreur et d'épouvante se doit de posséder cette œuvre dans sa filmothèque!
De nombreuses éditions HD sont venues garnir les rangs des possibilités d'acquisition du film, notamment Kino Lorber aux USA avec le montage international (mais sans bonus) ou Arrow en Grande-Bretagne. Rien en France. En espérant qu'un éditeur courageux s'y consacre… J'ai porté mon choix sur l'édition italienne.
La firme Sinister Fims, très active dans le domaine du film bis et de genre en Italie, a sorti le grand jeu pour cette édition Blu-ray parue en décembre 2014 : transfert en 1080p, codé région B (donc valide pour nos lecteurs), format 1.85:1 pour une durée complète de 92mn15. La version italienne, démarrant avec la notification de la production de la firme Galatea, s'avère des plus satisfaisantes. Déjà parce qu'il s'agit de la version non tripatouillée par American International, mais aussi pour le soin apporté au visuel de l'ensemble.
Le gros bémol sera bien sûr l'absence d‘options francophones, voire anglophones. Il n'existe que deux pistes italiennes, l'une non compressée (DTS HD MA 2.0) et l'autre oui (Dolby Digital 2.0 Mono). La connaissance de la langue du maestro Bava reste donc une nécessité, hormis pour quelques bonus à tonalité anglophone. Stricto sensu, sur un Blu-ray, il me semble toujours un mystère de proposer une piste en Dolby Digital, plus brute et moins précise, mais bon… Autant se focaliser sur celle en DTS HD MA 2.0 mono d'origine, qui restitue enfin un son digne de ce nom à ces TROIS VISAGES DE LA PEUR. Hormis un générique initial qui sature quelque peu avec le thème musical principal, presqu'aucune aspérité sonore ne vient troubler les dialogues parfaitement audibles, la musique bien mise en valeur ou les effets sonores d'atmosphère. La musique du gramophone s'éteignant graduellement dans "La goccia d'acqua" à partir de la 71e minute en est un bon exemple, le grondement du tonnerre lointain se substituant progressivement aux sons du disque usé. Un souffle presqu'absent et un excellent équilibre entre chaque source de son. Une très bonne expérience sonore… mais sans aucun sous-titre.
Au niveau visuel, on se trouve dans le haut de gamme. Les détails abondent, sans utilisation alarmante de réduction de bruit. Le grain originel reste présent, et certains plans apparaissent spectaculaires! Qu'il s'agisse de la tonalité moderne avec le premier sketch (gros plans des visages, teinture de peau de Michèle Mercier et Lidia Alfonsi), du Gothique contrasté des Wurdalaks ou des éclairages violemment glauques de "La goccia d'acqua", on assiste à une restauration de tout premier ordre. Couleurs chatoyantes, contrastes superbement gérés, contours des personnages et des objets, clarté de la lumière. Embarras du choix qualitatif.
L'accès au programme s'effectue via un menu fixe doté d'un superbe graphisme et d'une musique stéréophonique provenant de la bande originale du film, sans aucun souffle! Accès chapitré, versions du film, bonus avec navigation aisée. A noter que le verso de la jaquette présente une inexactitude, à savoir la durée annoncée du film comme étant de 96 minutes.
Au rayon des bonus, c'est une cascade en tous genres avec des suppléments repris d'éditions DVD de divers films de Mario Bava ou spécialement réalisés pour cette édition : Sinister Films a retrouvé, et entrecoupé d'extraits de films, plusieurs interviews de Mario Bava à la télévision italienne. Principalement celle de 1975 où il fait part, devant la caméra, de divers trucages (dont un réalisé en direct!), avec la participation de Carlo Rambaldi qui élabore également en direct divers trucages mécaniques. Document de près de 39 minutes, en italien non sous-titré et noir et blanc, mais positivement passionnant sur la construction des effets et les jeux de lumière.
Les bonus comprennent également, en italien non sous-titré, un entretien entre Lamberto Bava et Luigi Cozzi sur les origines du film puis, véritable morceau de choix, leur commentaire audio sur le film lui-même. Suivant la narration du film, Bava égrène les souvenirs de tournage, ses rencontres avec Michèle Mercier et Boris Karloff, des commentaires sur la reconstitution des décors, les techniques utilisées… on y apprend notamment que le récit du sketch "Il telefono" est en fait de Franco Lucentini. Que Mario Bava, grand lecteur de récits de SF et de Gialli, s'avèrera en avance sur son temps, trouvant le ton juste à apporter au récit de thriller qui deviendra un genre à part entière. On découvrira des apports sur la technique utilisée par le réalisateur, les mouvements de caméras, la photographie… le monteur Mario Serandrei y trouve également sa place. Ce commentaire audio présente un vrai décorticage des éléments narratifs et techniques, animé par un indéniable amour de l'auteur et de son travail. Un dialogue captivant… des détails inattendus.
Changement de langue avec un entretien avec l'acteur Mark Damon, produit par Anchor Bay en 2007, qui revient sur sa carrière et brièvement sur LES TROIS VISAGES DE LA PEUR. On poursuit avec une interview de Cameron Mitchell par le journaliste David Del Valle (en anglais avec sous-titres italiens) qui intervient sur son travail avec Mario Bava - avec beaucoup d'entrain, de respect et d'amour pour le réalisateur, tout en révélant quelques trucages utilisés. Idem pour le court entretien avec Mary Arden, exaltée par le travail du maestro!
Un autre moment important : l'entretien (en italien) avec le compositeur Carlo Rustichelli. Son rapport à Mario Bava, leurs rapports à quatre mains, leurs influences mutuelles… qu'il s'agisse de 6 FEMMES POUR L'ASSASSIN ou OPERATION PEUR. Les choix orchestraux, les thématiques… En parlant musique, la composition originale de Roberto Nicolosi prend toute sa dimension sinistre et inquiétante sur ce Blu-ray : les 29mn49 sont en effet restituées de manière chronologique sur 16 morceaux. En stéréophonie d'origine, sans aucune aspérité ni souffle quelconque : un vrai bonheur audiophile!
On poursuit le chemin cinéphile à travers une galerie de 83 photographies, dossiers de presse, affichettes, photos d'exploitation, photos de tournages avec trucages à la clé pendant 8mn16, un voyage hors du temps et qui sait replacer au coeur du film l'importance du pris sur le vif. Servant des fins publicitaires ou à vocation purement historique, certaines photos sont rarissimes.
Sinister Films n'a en outre pas oublié de porter à la connaissance du public italien la version américanisée du film, titrée BLACK SABBATH. Un titre qui a d'ailleurs été repris par un groupe de métal éponyme! Beaucoup a déjà été dit sur le sujet : des nouvelles scènes tournées par Mario Bava spécialement avec Boris Karloff, la partition musicale (plutôt laide) exécutée par le compositeur maison de chez AIP, Les Baxter, remplaçant celle de Roberto Nicolosi. Puis l'ordre des sketchs inversé pour des raisons encore totalement incongrues… ou encore le montage du sketch du "Téléphone" altéré et la scène finale de chevauchée de Karloff, démythifiant ainsi le fantastique induit des Wurdalak. La durée complète est de 95mn36, en 1080p, version anglaise DTS HD MA 2.0 mono avec des sous-titres italiens optionnels et d'une qualité nettement moindre que la version transalpine, à la définition bien moins précise, aux couleurs et contrastes quelque peu faiblards. Il est d'ailleurs amusant de constater qu'en Europe, le tirage fut exécuté en Technicolor et qu'aux USA, pour la version AIP, il fut effectué par Pathécolor. Ceci expliquant aussi peut-être cela?
Pour appuyer le tout, Sinister Films a isolé les différentes altérations et modifications, les scènes retournées ex-nihilo par Bava. Ceci via des panneaux explicatifs, pour mieux comprendre les différences entre les versions US et italiennes. En 9 scènes et sur 16mn41, ceci concernant principalement le sketch du Téléphone, mais également les nouvelles présentations de chaque sketch par un Karloff baigné de lumières baroques et visiblement très amusé (en anglais avec sous-titres italiens). Enfin, l'édition se pare de films annonces dont l'américain(2mn23) et l'italien (3mn26). Si le tout italien n'est pas un obstacle pour vous, cette édition de I TRE VOLTI DELLA PAURA est chaudement recommandée!