La peur est au centre de trois histoires. Dans la première, une jeune femme est persécutée au téléphone par un homme qui menace de venir la tuer. Dans la seconde, un jeune homme rencontre une famille terrifiée par la légende du «Wurdalak», créature morte-vivante assoiffée de sang. Enfin, dans la troisième, une infirmière vénale va regretter amèrement le vol d'un bijou sur une vieille femme décédée…
Durant les années 60, le cinéma italien va se mettre à produire des films à sketches hors des sentiers du Fantastique. Dans le même temps, l'AIP va produire L'EMPIRE DE LA TERREUR narrant trois histoires inspirées des écrits d'Edgar Allan Poe. Galatea Film va alors coproduire aussi son film à sketches horrifiques financé par l'Italie, la France et les Etats-Unis. C'est tout naturellement à Mario Bava que l'on fait appelle puisque Galatea Film a produit peu auparavant un film à suspense réalisé par le cinéaste italien. D'ailleurs, certains éléments des histoires «Le Téléphone» ou «La Goutte d'eau» rappellent LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP. De façon à s'assurer une affiche internationale, Boris Karloff, oeuvrant à la télévision à ce moment là, sera engagé pour tourner dans l'un des sketches mais aussi en tant que maître de cérémonie. C'est ainsi l'acteur qui ouvre le film avec un petit monologue avant de laisser la place aux trois histoires.
LES TROIS VISAGES DE LA PEUR va donc raconter trois histoires sans aucun véritable lien les unes avec les autres. Il n'y a pas non plus de vague intrigue reliant chacun des segments du film. Cela va d'ailleurs faciliter la tâche des distributeurs qui, en fonction des pays, vont prendre le parti de modifier l'ordre original. Par exemple, aux Etats-Unis, l'AIP va modifier complètement l'ordre en enfilant «La Goutte d'eau», «Le Téléphone» et «Les Wurdalaks» sans oublier de changer le montage du sketch mettant en scène Michèle Mercier ou encore de supprimer totalement l'ironique épilogue final. En France, le distributeur sera moins facétieux et les trois histoires vont conserver leur ordre original mais la toute dernière séquence avec Boris Karloff sera tout de même volontairement oubliée. Reste que c'est dans ce montage original que horreur et qualité vont crescendo.
«Le Téléphone» n'est pas une adaptation de Maupassant comme le laisse suggérer le générique du film. En fait, l'histoire serait inspirée de F.G. Snyder et se focalise sur un nombre pour le moins restreint de personnages. La première partie de l'histoire va surtout mettre en scène Michèle Mercier. Seule dans son intérieur confortable, la peur va s'insinuer par le seul biais du téléphone. Un mystérieux interlocuteur semble connaître ses faits et gestes tout en lui promettant de venir l'assassiner. Les plus jeunes trouveront ici l'évidente source des premières minutes de SCREAM. Les plus anciens se souviendront plutôt de TERREUR SUR LA LIGNE où, dans les années 1980, une jeune femme était, elle aussi, persécutée par téléphone interposé. Plus giallo que film d'horreur, ce premier segment rappelle LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP. L'étrange ambiance du récit tout comme les décors de l'appartement du personnage de Leticia Roman sont très proches. Fait peu banal pour l'époque, cette courte histoire évoque à demi mot une relation amoureuse entre deux femmes. Le récit s'avère, lui, des plus simplistes même s'il réserve quelques malicieuses surprises dans son dénouement.
Avec «Les Wurdalaks», le décor ainsi que l'époque change complètement. Cette fois, on nous propose une adaptation de «La Famille du Vourdalak» d'Aleksei Tolstoy. Dans le passé, en Russie, un jeune aristocrate en voyage découvre le cadavre d'un homme mutilé. Il l'amène à la maison la plus proche où il va découvrir une famille qui vit dans la peur du «Wurdalak». Histoire de vampires, ce segment va s'ancrer dans un folklore rural assez éloigné des histoires conventionnelles du genre. Avec le recul, on pourra s'amuser à tisser des liens avec un film qui n'a pourtant strictement rien à voir. En effet, la paranoïa galopante (qui est un «Wurdalak» ?) ainsi que certaines situations font un peu penser fortuitement à THE THING de John Carpenter. «Les Wurdalaks» donne l'occasion à Mario Bava de déployer tout son art dans une histoire gothique magnifiquement mise en image. En plus de Boris Karloff, cette histoire met en scène Mark Damon.
La troisième et dernière histoire, «La Goutte d'eau», est une adaptation d'Ivan Chekhov. Sans conteste le plus réussi des segments, c'est aussi celui qui fonctionne le mieux au niveau de la peur. Encore une fois, on trouvera un lien avec LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP, réalisé un an auparavant, où une courte scène inquiétante nous montrait une vieille femme morte sur son lit. Cette fois, le centre du récit va justement s'articuler autour d'une vieille femme morte d'une crise cardiaque et reposant sur son lit. Appelée en urgence, son infirmière se voit confier la mission d'apprêter le corps de la vieille femme en lui mettant une robe plus appropriée. L'ambiance mortifère de l'histoire est une nouvelle fois mise en valeur par la mise en scène très inspirée de Mario Bava. S'alourdissant au fur et à mesure que le récit se déroule, l'étouffante atmosphère se clôt par un dénouement stressant et ambiguë.
Souvent coupée, la dernière scène des TROIS VISAGES DE LA PEUR est un véritable pied de nez de Mario Bava. Après trois histoires horrifiques, il brise littéralement l'ambiance de peur avec une conclusion très ironique. Boris Karloff, habillé comme dans «Les Wurdalaks» y fait un dernier monologue avant que la caméra ne recule pour révéler l'aspect complètement factice du cinéma d'horreur et de l'industrie cinématographique tout court ! L'ironie de Mario Bava se révélera d'ailleurs très souvent dans la plupart des films qu'il tournera par la suite… Ambiance gothique, éclairages très travaillés, atmosphère morbide et ironie, LES TROIS VISAGES DE LA PEUR fait incontestablement partie des meilleurs films pour découvrir Mario Bava !
Après s'être fait longuement attendre, comme d'autres Bava, LES TROIS VISAGES DE LA PEUR sort donc en France chez Les Editions Montparnasse. Malheureusement, l'attente n'est pas synonyme d'une édition très fournie. Car la visite du DVD français se fera très vite. L'interactivité se résume d'ailleurs à une seule et unique page de menu. Celle-ci ne donne pas d'autre choix que de lancer le film en version originale, version originale sous-titrée ou avec son doublage français. Aucun supplément et ce n'est pas la jaquette qui viendra donner un côté prestigieux à l'ensemble puisqu'elle s'avère fort rebutante pour le spectateur qui n'a aucune idée de ce que contient l'emballage !
Reste le film ! Et on nous propose une copie qui est théoriquement italienne si l'on en croit le générique du film qui s'affiche dans cette langue tout comme les titrages de chacun des segments. Par contre, on pourra être surpris de s'apercevoir que la lettre que lit Michèle Mercier est en français tout comme l'article de journal qu'elle reçoit dans une enveloppe. Ce serait donc une copie française du film ? Difficile à dire surtout que l'épilogue avec Boris Karloff est bel et bien présent alors qu'il n'apparaissait pas à l'origine lors de son exploitation française dans les salles. L'image est, en tout cas, proposée dans son format cinéma (ou approchant) avec un transfert 16/9. Le piqué de l'image est de qualité mais la compression un peu lourde ne lui rend pas justice. Les à-plats noirs s'affichent souvent avec des formes rectangulaires ce qui n'est pas du plus bel effet !
La version originale est une piste italienne en mono. Les voix des personnages sont chuintantes et donnent l'impression d'être plus éloignées que l'écran. Un sous-titrage français permettra aux spectateurs ne comprenant pas l'italien de suivre l'histoire dans le cas où il voudrait regarder le film dans cette langue. Le doublage français ne souffre quant à lui pas de problème particulier. Le son mono est clair mais relativement plat. Notons qu'un panneau nous prévient au lancement du film en version française que l'éditeur n'a pas retrouvé le doublage francophone de la dernière scène avec Boris Karloff. Cela n'est pas surprenant puisque à notre connaissance, cette scène n'a jamais été doublée en français. Elle est donc invariablement présentée en version italienne sous-titrée en français.