Top modèle très demandée, Allison Parker (Christina Raines) emménage dans un appartement au cœur de New York. Détail curieux, un prêtre aveugle habitant au tout dernier étage passe l'intégralité de son temps posté à la fenêtre. Au fur et à mesure qu'Allison va faire connaissance avec ses nouveaux (et parfois très étranges) voisins, le quotidien va commencer à se dérégler. La jeune femme souffre de migraines de plus en plus prenantes, et ses cauchemars la confrontent à ses traumatismes les plus profonds : une figure paternelle autoritaire et perverse, qui la poussa autrefois à une tentative de suicide ratée.
Tourné en 1977, LA SENTINELLE DES MAUDITS est bien entendu un film issu de la vague d'horreur démoniaque initiée par ROSEMARY'S BABY de Roman Polanski en 1968, et qui connu son apogée avec le traumatisant L'EXORCISTE de William Friedkin en 1973. Cette production Universal suit donc la «recette» de ses modèles : adaptation d'un roman à succès (ici signé par Jeffrey Konvitz), casting de luxe qui fait cohabiter vétérans (entre autres John Carradine, Ava Gardner, Eli Wallach, Arthur Kennedy) et jeunes premiers (Chris Sarandon, Jeff Goldblum, Christopher Walken, Tom Berenger), et metteur en scène d'expérience (d'abord pressenti, Don Siegel laisse sa place à Michael Winner, qui vient de remporter un solide succès avec UN JUSTICIER DANS LA VILLE). LA SENTINELLE DES MAUDITS renvoie aussi clairement à ses modèles notamment lors d'un prologue dans un pays exotique (l'Italie remplaçant ici l'Irak de l'introduction de L'EXORCISTE) ou encore lorsqu'il décrit la vie quotidienne de l'immeuble de l'héroïne au fort arrière-goût du film de Polanski.
L'EXORCISTE ayant placé la barre de la provocation particulièrement haut, LA SENTINELLE DES MAUDITS va jouer la surenchère en proposant une épouvante frontale et froide sur la dégénérescence du corps humain (en montrant volontier de la nudité «disgracieuse»), tout en commandant des effets particulièrement gores au maquilleur de L'EXORCISTE à savoir Dick Smith (qui désapprouvera d'ailleurs le film suite à ces embardées sanglantes). Cerise sur le gâteau, de véritables «monstres» de foire seront engagés pour la figuration du final. Cette dernière initiative, que l'on n'avait pas rencontré de manière si ostensible depuis le FREAKS de Todd Browning, sera cause d'interdiction dans de nombreux pays, compromettant ainsi sévèrement la carrière du film.
Encore à ce jour, LA SENTINELLE DES MAUDITS est un titre plutôt confidentiel rapporté à ses aînés. Il n'en reste pas moins une très intéressante surprise. Souvent cité parmi les innombrables classements «des films les plus terrifiants», le film est en réalité plus dérangeant qu'effrayant. Dérangeant car il va placer une jolie top modèle, issue du monde du glamour, dans un univers malsain et maladif. Comme lorsque l'une de ses voisines, pendant une anodine invitation à boire le thé, va se mettre à se masturber frénétiquement face à elle. Quant aux apparitions du père décédé de l'héroïne, elles sont sans aucun doute les séquences les plus traumatisantes du film. Le malaise est autant pesant lors des orgies du vieil homme avec des femmes obèses que lorsqu'Allison lui lacère le visage avec un couteau de cuisine jusqu'à en faire jaillir l'œil hors de son orbite. Cet effet marquera d'ailleurs la carrière de Dick Smith, bien que ce dernier le déteste suite à sa «gratuité».
Comme nous le détaillons dans notre chronique de premier DVD américain, LA SENTINELLE DES MAUDITS est un film thématiquement très riche. Malheureusement, et c'est le bémol du film, son sujet est moins «visuel» que ces aînés, c'est-à-dire moins adapté pour le cinéma. Hormis les quelques scènes chocs, l'intrigue du film ne progresse que par les dialogues des différents (et très nombreux) protagonistes. L'ensemble se suit sans ennui, mais ne se hisse pas pour autant au niveau de ses modèles. Loin d'être définitif, le film n'en reste pas moins une bonne surprise, à la facture élégante, à découvrir ou redécouvrir. A noter que l'auteur du roman original écrira une suite littéraire deux ans après le film, The Guardian, parfois retitrée The Sentinel 2.
L'édition américaine que nous avions chroniqué auparavant présentait une image de qualité médiocre et, de surcroit, en plein cadre. Ce nouveau disque (issu d'un éditeur anglais) vient nous offrir une copie du film de bien meilleure facture respectant le format original du film en 1.85. Qui plus est, l'image est anamorphosée pour la diffusion en 16/9. La piste sonore unique est un mono au rendu très correct malgré le poids des années. Toutefois, il faut mentionner l'existence d'une édition américaine parue plus récemment que celle que nous avions critiquée précédemment. Celle-ci a l'avantage de proposer le film avec un transfert 16/9 mais aussi un sous-titrage français. Cette édition, parue chez Universal aux Etats-Unis, devrait donc intéresser les non-anglophones. Car le DVD britannique dont nous parlons ici ne comporte, lui, aucun sous-titrage d'aucune sorte.
S'il n'a pas d'option francophone, cette édition anglaise de LA SENTINELLE DES MAUDITS a tout de même un gros atout absent de tous les autres DVD sortis à travers le monde. En effet, la très bonne surprise vient de la section bonus. Outre la bande-annonce et une copieuse liste de biographies, le disque à la bonne idée d'inviter Michael Winner pour une petite introduction (très anecdotique) et surtout un commentaire audio. Particulièrement débonnaire, le metteur en scène disserte à foison sur son film, ravi de cette expérience dans le domaine de l'horreur. Très sympathique, le commentaire n'est cependant pas très informatif, et se contente d'accumuler les vieilles anecdotes (comme l'épisode sur les doutes de la comédienne avant la scène de masturbation). Les vieilles rancunes semblent oubliées (Winner gloussant devant des effets gores que Dick Smith avait violemment critiqué non sans charger le réalisateur au passage), et les justifications sur les quelques polémiques du film (comme la «monstrueuse» parade finale) sont balayées en quelques mots. Ce commentaire est donc un espace de récréation pour Michael Winner, ce qui ne passionnera pas toujours l'auditeur. Qu'importe, cette édition de LA SENTINELLE DES MAUDITS est sans aucun doute la meilleure édition d'un point de vue éditoriale pour revoir le film actuellement. Néanmoins, comme nous l'avons déjà dit, ceux qui ne comprennent pas l'anglais pourront toujours se tourner vers le disque américain en Zone 1 (à condition d'avoir un lecteur multi-zone).