Trois ans après avoir donné naissance à SAW, James Wan décide de se repositionner sur l'échiquier des réalisateurs du genre en revenant à ses premières amours, celles inhérentes au fantastique traditionnel entre autres cristallisé par les classiques de la Universal, Hammer ou “bis” italien. Pour ce, l'artiste s'entoure d'abord d'esthètes tel le talentueux directeur de la photographie, John R. Leonetti (THE WOODS). Issus de séries télé ou bien de la saga dédiée au diabolique Jigsaw, les comédiens Ryan Kwanten (HOME AND AWAY, SUMMERLAND), Amber Valletta (LE TRANSPORTER 2) et Donnie Wahlberg (SAW 2, SAW) pourront ainsi se fondre au sein d'une atmosphère laquelle bénéficie de leur (certes relatif) anonymat. Également initiateur des SAW, Leigh Whannell permet une fois de plus à son complice d'agencer une trame rigoureuse dont les principaux thèmes correspondront au postulat honorifique de DEAD SILENCE.
Soupçonnant une marionnette d'avoir parti lié avec le meurtre de sa femme, un jeune homme (Ryan Kwanten) revient dans son village natal afin d'élucider le mystérieux rapport qu'il est possible d'établir entre le drame et la sanglante légende de Mary Shaw (Judith Roberts), la ventriloque.
Récurrent dans les littérature et cinéma d'épouvante, le motif de la poupée vivante a inspiré maintes fictions qui de E.T.A. Hoffmann (“Les automates”, 1814) à Cavalcanti (“Le mannequin ventriloque”, AU COEUR DE LA NUIT, 1945), métaphorisent diverses psychoses ou obsessions. En dépit de significations apparemment bien différentes, le personnage suscite une crainte métaphysique, conditionnée par sa portée blasphématoire. En parodiant l'Oeuvre divine, les concepteurs de marionnettes octroient une dimension maligne aux créations dès lors chargées de refléter la monstruosité cachée des imités. Caricature des sociétés contemporaines, l'exubérant Chucky (CHILD'S PLAY de Tom Holland) illustre toute la violence d'un égoisme exacerbé par la modernité. Outre l'allégorie, le thème évoque implicitement les conséquences néfastes de cette substitution au Créateur. Conscient de la situation, James Wan expose d'emblée l'enjeu de son métrage au sein du générique en vue d'inscrire ladite figure dans une optique diachronique. Les pages d'un manuscrit dédié à l'élaboration d'une poupée dont l'étymologie est précisée, défilent sous l'oeil d'un spectateur par conséquent au fait du caractère occulte attribué au phénomène. Souvent considérée comme surnaturelle, la performance des prestidigitateurs qui fascinèrent nos ancêtres (notamment le célèbre Turc joueur d'échecs, de Wolfgang von Kempelen, au XVIIIème siècle), alimente donc un certain nombre de fantasmes judicieusement utilisés par DEAD SILENCE.
La diabolique animation d'une machine soudainement pourvue d'autonomie constituera le principal ressort de “séquences chocs” et en cela conformes à l'intertexte. Des yeux qui bougent, têtes qui pivotent, de brusques apparitions ou même disparitions, détermineront les manifestations d'un automate directement apparenté à ses prédécesseurs. Parallèlement, le réalisateur n'hésite pas à exploiter le potentiel, certes connu, d'une profondeur de champ capable de conférer à l'omniscience du public — nous voyons la chose se mouvoir dans le dos du protagoniste — une charge émotionnelle à l'origine de délicieux sursauts. Faisant appel à nos terreurs “primitives”, DEAD SILENCE emprunte son esthétique à celle vulgarisée par les chefs-d'oeuvre matriciels du genre. Bâtisses gothiques, parcs et cimetières embrumés, gargouilles, orages, ville fantôme, portes grinçantes et théâtres désaffectés renvoient à l'Épouvante d'antan, celle profondément mélancolique (Universal), baroque (Hammer), parfois “maniérée” (“La Goutte d'eau” dans LES TROIS VISAGES DE LA PEUR, la sorcière de SUSPIRIA...) qui consacrèrent certaines des plus belles fuites du septième art dans les contrées toutes à la fois lointaines et familières de notre psyché. Vu sous cet angle, le développement linéaire de l'intrigue ne gêne pas mais au contraire conforte le bien-fondé d'un parti pris artistique lequel, très efficace, rappelle l'extrême richesse des productions passées. À ce propos, le prodigieux travail effectué par John R. Leonetti sur la photo du film mérite d'être salué même si cette désaturation à dominante bleue en excédera plus d'un. En effet, le traitement auquel reste soumise l'image exprime les objectifs — peut-être trop ambitieux — du cinéaste. Ce dernier souhaite doter l'hommage d'un sens particulier, lié à la problématique induite par l'histoire. Aussi le sentiment d'irréalité produit par cette désaturation dès l'incipit renseigne-t-il sur la nature d'un Mal antéprédicatif, voire ancestral (malédiction). Le choix du bleu correspondrait à la pétrification glacée qui définit l'horreur telle qu'elle demeure mise en abyme ici.
L'humanisation de Bobby opère un renversement de situation inédit. L'inanimé prend vie et le vivant se statufie. Les victimes de la poupée arborent littéralement un masque de terreur. Influencées par les représentations de la Méduse mythologique, ces “fixations” du fameux “cris silencieux” expliquent le soubassement métaphorique de l'oeuvre. Celle-ci revient sur la spécificité du fantastique “moderne” dont SAW s'érige en héritier ultime. Contrairement aux récits de type victorien qui reposaient sur la possibilité d'offrir à l'événement une double explication (surnaturelle / maladie mentale), les épigones de Lovecraft relient la peur à la présence intransitive car bien réelle, de l'Incroyable. Le Mal se concrétise via des séquences extrêmement démonstratives. L'ambiguité disparaît pour l'évidence afin de rendre caduque la moindre tentative de justification. Par conséquent invalidée, la parole expire symboliquement lorsque l'horrible sorcière extirpe la langue de ses proies. Ces quelques scènes confèrent aux références et allusions un sens précis qui associe DEAD SILENCE à une déclaration d'amour adressée aux géniteurs d'un genre dont les récentes orientations, voire même dérives sanglantes, se trouvent explicitées sans pour autant intervenir dans la fiction. Au final, de très beaux tableaux, quelques frissons, une trame rondement menée ainsi qu'une réflexion pertinente contenteront ainsi pleinement le spectateur.
Estampillé Universal, le DVD français de DEAD SILENCE permet de visionner le métrage dans d'excellentes conditions. En 2.35 et 16/9 ème, l'image bénéficie d'une bonne compression, sans artefact, comme en témoignent les scènes jouant sur l'omniprésence du brouillard, a priori plus difficiles à encoder. À cela s'ajoute la mise en valeur de couleurs volontairement désaturées dont seul le rouge ressort, couleur souvent difficile à retranscrire de façon impeccable lors de son passage en vidéo.
En Dolby Digital 5.1 pour la version originale comme son équivalente française, le son présente une dynamique correcte. Axée sur les aigus, la deuxième se trouve pourvue d'un volume sonore légérement inférieur à celui d'une version originale sous-titrée davantage portée sur les médiums et basses.
Calqué sur son homologue américain, le DVD français propose une interactivité très instructive mais faisant, ce qui est surprenant, l'impasse sur un clip musical présent sur l'édition parue aux Etats-Unis. Un début et une fin alternatives permettent d'apprécier la volonté manifestée par James Wan quant à opter pour une mise en scène traditionnelle, quitte à évacuer des digressions psychologiques et des retournements par trop démonstratifs. Ces derniers alimentaient d'ailleurs un certain nombre de séquences non retenues lors du montage final (“Les scènes inédites”). Deux Making Of (“Le making of de DEAD SILENCE” et “Les secrets de Mary Shaw”) complémentaires reviennent sur un tournage apparemment fort agréable. Entrecoupées par de nombreux extraits, les interventions du cinéaste, producteur (Mark Burg), scénariste, comédiens, chef décoratrice (Julie Berghoff) et autres techniciens (maquilleurs, effets spéciaux) mettent en exergue l'immense travail induit par la réalisation d'un film explicitement affilié aux grands classiques du genre. Des dessins préparatoires, la fabrication des décors, la création du brouillard et d'intensives séances de maquillage demeurent nécessaires à la bonne marche du tournage. L'importance accordée par John R. Leonetti au caractère métaphorique d'une lumière ici assimilée au silence consacre le classicisme d'un métrage usant du numérique avec parcimonie. De fait, “l'évolution d'un effet visuel” souhaite nous montrer la progression des effets spéciaux entre les différentes étapes de la production via une scène particulière. La simulation des prises de vue en 3D suivie de celles du décor tournées effectivement, l'évolution des acteurs sur un fond vert, leur inscription dans la version finale illustrent toute la communauté d'inspirations et de talents qui présidèrent à l'indéniable réussite de DEAD SILENCE.