Dans les bas-fonds de l'Opéra de Londres vit un individu masqué que l'on nomme «le fantôme». Insaisissable, il sème la terreur et la mort lors d'une représentation de la pièce «Jeanne D'arc» dans le but de privilégier la carrière d'une jeune cantatrice : Christine. Amoureux de cette dernière, le directeur artistique Harry Hunter tentera de percer le mystère du fantôme et, par là même, de stopper ses lugubres agissements.
Après avoir revitalisé pour le compte de la Hammer les monstres mythiques que sont Dracula, la créature de Frankenstein, la momie ou encore Mister Hyde, Terence Fisher s'attaque au Fantôme de l'Opéra. Issu de l'imagination du romancier français Gaston Leroux, cet énigmatique personnage fût porté à l'écran à de multiples reprises. Chaque nouvelle adaptation fût l'occasion pour les scénaristes de revisiter le mythe en modifiant plus ou moins les origines et motivations du monstre. Pour cette version de 1962, c'est Anthony Hinds qui se chargera de la rédaction du script. L'homme, fils de Will Hammer (co-fondateur de la célèbre maison de production), œuvrera ici sous le pseudonyme de John Elder, préférant garder son véritable nom pour ses activités de producteur. Hinds nous narre donc les aventures d'un monstrueux individu vivant terré dans les égouts de l'Opéra de Londres. Par la menace, celui qui se fait surnommer «le Fantôme» tente de porter aux nues une jeune cantatrice jusqu'alors inconnue… Un schéma que nous connaissons fort bien mais qui prend bien vite une tournure toute autre. Hinds s'approprie en effet son sujet au point de le transfigurer. Ce qui naquit sous la forme d'une romance impossible en 1910 devient ici une sombre histoire de vengeance. Bien qu'elle présente un intérêt certain, une telle variation n'est pas sans incidence. Le fantôme de l'Opéra ne fait donc plus partie du classique triangle amoureux de l'œuvre d'origine et la folie qui légitime ses actes en devient malheureusement moins «belle». A la grande surprise des spectateurs, les motivations du monstre trouveront par ailleurs leurs racines dans son passé qui nous sera ici dévoilé… Cette version Hammer du mythe prend donc ses distances avec le matériau d'origine, rendant ainsi toute comparaison impossible et par-dessus tout, totalement vaine.
Bien que cette variation puisse s'avérer déroutante à plus d'un titre, il est toutefois important de juger l'œuvre sans a priori pour en goûter les indéniables qualités. Parmi celles-ci, nous aborderons tout d'abord le grand soin apporté à la mise en scène. Fisher oblige, nous avons là un film réfléchi dans lequel chaque plan a un sens «plastique». Le jeu des plongées et contre-plongées est à ce titre impressionnant car présent sur la quasi-totalité du métrage. Ainsi, en de nombreuses reprises, les acteurs nous seront montrés vus de haut, dialoguant dans des décors d'apparence «factices». Ce n'est en rien le fait du hasard et Fisher met par ce biais le spectateur dans une loge surélevée depuis laquelle il assiste à une véritable représentation théâtrale. L'Opéra n'est donc plus le lieu d'une enquête menée par Hunter mais un cadre dans lequel se mêlent réalité et artifice, acteurs du film et artistes de théâtre. Terence Fisher met donc en scène une pièce dans laquelle le Fantôme est le protagoniste. Ce dernier apparaît du reste grimé/masqué et sa mort correspond à la fois au final du métrage et à celui de la pièce…
Dans le même ordre d'idée, nous aborderons les plans souterrains nous menant jusqu'à l'antre du Fantôme. Filmées au ras du niveau de l'eau, ces séquences nous mettent dans la peau d'un rat surnageant ou, quelques années plus tôt, du fantôme lui-même. Le parallèle rat/Fantôme revient du reste à plusieurs reprises dans le métrage ce qui conforte l'idée que, tous comme les nuisibles rongeurs, le Fantôme est omniprésent dans les lieux. Il voit tout, entend tout et se trouve partout à chaque instant. Indélogeable, l'homme hante les lieux pour assouvir ses pulsions. Son antre même nous est présentée comme rebutante, à l'image d'une décharge contrastant incroyablement avec le faste du repaire de Erik, le Fantôme de la version de 1925…
Nous l'avons déjà évoqué, le «Fantôme» de la version Fisher est donc très différent de celui décrit par Gaston Leroux. Il n'est en rien difforme de naissance et a déjà un vécu en société, ce qui lui confère un tempérament très original et différent. L'Amour ne lui est pas étranger et c'est davantage l'amour de l'art qui prime pour lui. Christine, la cantatrice n'est plus source de sa passion mais l'objet qui lui permettra de transcender l'une de ses œuvres. Lorsque l'œuvre sera consacrée, le Fantôme, déjà mort-vivant, pourra disparaître et laisser place à l'Art par lequel il sera immortel. La vision de Hinds et Fisher s'impose donc comme une alternative intéressante au récit d'origine. D'autant plus que sous les traits du Fantôme se cache l'éblouissant Herbert Lom, un acteur au talent indiscutable personnifiant à merveille le monstre. Une tâche particulièrement ardue puisqu'il apparaît bien évidemment masqué à l'écran. Ce masque blanc, totalement dénué de relief et donc d'humanité, ne laisse en réalité apparaître qu'un seul œil. Une partie infime de l'être qui s'avère cependant bien suffisante pour un acteur au regard aussi intense que Herbert Lom. Fisher ne s'y trompe pas et consacre du reste son générique d'introduction à cet œil unique, fixe et terrifiant. Une telle performance aurait-elle pu être possible avec Cary Grant dans le rôle titre ? Nous ne le saurons jamais et ce bien que l'acteur Hollywoodien, désireux de jouer dans un film d'horreur, fût très fortement lié à ce rôle en amont de la production. A l'époque, il était même question de faire du nain (joué par Ian Wilson), l'instrument du Fantôme. Ainsi, le mystérieux personnage n'aurait pas tué de ses propres mains et l'acteur Cary Grant aurait conservé une image respectable… Le nom de Grant sur l'affiche aurait par ailleurs pu faire du film l'un des plus gros succès de la Hammer. Il n'en fût malheureusement rien et, à l'inverse, LE FANTOME DE L'OPERA fût un véritable gouffre financier pour la firme…
Evoquons rapidement le reste du casting avec celle qui prête ses traits à Christine : Heather Sears. Le choix de cette actrice n'est, encore une fois, pas anodin. Alors que les autres adaptations du Fantôme de l'Opéra nous proposaient de superbes actrices dans ce rôle clef, celle de Fisher se contentera d'une cantatrice au charme discret. Un moyen comme un autre d'appuyer encore une fois le fait que le Fantôme n'est nullement amoureux de la Femme (en tant que personne) mais plutôt du parfait outil de vengeance qu'elle représente à ses yeux. Rassurez-vous, l'actrice n'est bien évidemment pas horrible puisqu'elle se voit par ailleurs convoitée par Harry Hunter, le directeur artistique de l'Opéra, et Lord Ambrose, le compositeur usurpateur. Le premier prendra ici les traits de l'acteur Edward De Souza alors débutant et le second se verra interprété par un antipathique Michael Gough. Cet individu, véritable «méchant» de l'histoire, se verra bien entendu puni car définitivement déchu : La représentation de «Jeanne d'Arc» aura bien lieu, mais sans lui. Cet incroyable final est l'occasion pour le spectateur de basculer définitivement de l'autre côté du rideau. Fisher met en effet en images sur un temps très réduit un opéra «crédible» de fort bonne facture, rendant ainsi justice à son Fantôme et consacrant par là même sa «création» (Christine).
Quatrième métrage issu de l'accord entre Universal et la Hammer, ce FANTOME DE L'OPERA s'avère donc étonnant et déroutant à plus d'un titre. Le mythe est réinventé et remodelé pour devenir un authentique film de Terence Fisher dans lequel la forme a un sens, celui de servir le fond. Reste que malgré ses nombreuses qualités, cette version de 1962 ne parvient aucunement à supplanter celle, vibrante, de 1925. Ce constat est sans doute dû en partie à l'architecture même du lieu de l'action puisque nous passons de l'Opéra de Paris à celui de Londres. L'immensité, la majesté et la mythologie de l'Opéra Garnier (avec notamment son lac souterrain) sont donc oubliées au profit d'un lieu certes enchanteur mais de moindre envergure, généralement soumis à un cadrage serré. En découle un métrage sombre mais manquant cruellement d'envergure, à l'image de son héros-titre aux motivations bien moins «nobles». LE FANTOME DE L'OPERA de Fisher demeure cependant une excellente adaptation/appropriation, l'une des meilleures, qu'il vous faut bien évidemment (re)découvrir en DVD…
Grâce à Bach Films, lequel a acquis les droits de quelques titres de la Universal, une édition DVD française est donc à présent disponible. Bien connu des DVDPhiles, l'éditeur français a l'avantage de proposer ses disques pour une somme modique. Mais ne nous faisons pas d'illusion car il y aura tout de même un prix à payer, celui d'une insatisfaisante qualité chronique. Ainsi, Bach Films met un point d'honneur à ne jamais proposer de 16/9ème sur les films nécessitant pourtant cette option. De fait, nous déplorons systématiquement une perte de définition par rapport à d'autres éditions compatibles 16/9ème…
Pas de surprise, c'est encore le cas ici et, bien que le format d'origine 2.00 soit respecté, l'image n'est encodée qu'en 4/3. L'édition américaine du film, vendue dans un excellent coffret Hammer de huit métrages indispensables, disposait pourtant d'un encodage 16/9ème de qualité. Pourquoi avoir dans ce cas délibérément dégradé l'image probablement mise à disposition ? Voilà qui restera un mystère… Outre cela, reconnaissons que l'image proposée est propre et dispose de couleurs vives rendants justice au travail de photographie de Arthur Grant ; homme qui prendra au début des années 60 la succession de celui qui fût le collaborateur talentueux de Terence Fisher dix films durant : Jack Asher.
Concernant les pistes sonores, le disque Bach Films sort en revanche grandie de sa comparaison avec l'édition américaine. A savoir qu'en plus de la version originale sous-titrée, nous trouvons ici le doublage français d'origine. Dans les deux cas, nous avons à faire à des pistes mono encodées sur deux canaux. Ces deux options sonores sont soignées et délivrent des dialogues clairs et très audibles. Quant à la partition de Edwin Astley, elle se trouve elle aussi fort bien retranscrite. Nous ne noterons qu'un seul petit bémol : Le doublage français fait preuve d'un très léger asynchronisme durant une partie du métrage. Rien de bien pénalisant toutefois. Evoquons rapidement le cas des sous-titres présentés de manière très lisibles et notons qu'ils sont situés suffisamment haut pour permettre aux possesseurs d'écran 16/9ème un zoom en plein écran.
Abordons enfin l'unique bonus présent sur le disque. Il s'agit d'un documentaire vidéo dans lequel une voix-off nous parle, sur une durée d'environ 28 minutes, du cinéma d'horreur en général. L'historique complet du genre nous est récité en français alors que de courtes séquences des films nommés viennent s'insérer en version originale anglaise sous-titrée dans notre langue. Soyons honnête, ce document n'a que peu d'intérêt pour le fantasticophile qui n'entendra sans doute rien qu'il ne sache déjà... Reste que ce reportage a le mérite d'exister même s'il nous est proposé dans une bien piètre qualité.
Nous avons donc là une édition «correcte» qui pèche cependant par le manque de définition du film et l'absence totale de bonus directement liés au FANTOME DE L'OPERA version Fisher…