Depuis quelques temps, les dirigeants de l'Opéra de Paris sont soumis à un étrange chantage de la part d'un individu se nommant lui-même le Fantôme. Le mystérieux personnage tente en effet d'extorquer des fonds mais aussi d'«offrir» par la menace un premier rôle à une cantatrice de second plan. Les mots prennent rapidement vie alors que peu à peu, le Fantôme, hideux personnage hantant les sous-sols de l'Opéra, dévoile ses sentiments pour la jeune Christine Daaé…
Fils de parents sourds-muets, Lon Chaney se voit dès son plus jeune âge obligé de communiquer par pantomimes. Une particularité qui, à l'époque du cinéma muet, sera bien entendu un atout de taille et permettra à l'acteur de débuter une impressionnante carrière dès 1913 avec THE WAYS OF FATE. Passé maître dans l'art du déguisement, Chaney devient pour les Studios Universal un acteur aux multiples facettes, capable d'incarner de séduisants jeunes premiers aussi bien que de terribles escrocs. Son interprétation d'un contorsionniste roublard dans LE MIRACLE lui permettra de révéler un nouveau talent : Celui de jouer avec son corps au point de simuler à la perfection toutes sortes d'infirmités. Qu'il soit privé de ses jambes dans SATAN ou de ses bras dans L'INCONNU, Chaney étonne, fascine et effraie. L'homme dispose d'un charisme et de capacités si extraordinaires qu'il deviendra vite un acteur incontournable. Son interprétation de Quasimodo dans LE BOSSU DE NOTRE DAME lui permettra de devenir l'une des grandes vedettes de l'époque. Vient ensuite sa rencontre avec Tod Browning qui, le temps de sept métrages, saura exploiter à merveille les talents physiques et dramatiques de l'acteur… Lon Chaney qui s'exprima toute sa vie avec son corps, son visage et sa gestuelle sera finalement victime d'un cancer de la gorge qui le rendra muet (et aura raison de lui en 1930) alors que le cinéma parlant prend son envolée. LE CLUB DES TROIS sera donc son unique film parlant dans lequel il offre à son personnage ventriloque non pas une, mais cinq voix différentes.
Acteur inévitable du cinéma de genre muet, Chaney sera bien vite relayé par Boris Karloff et Bela Lugosi auquel Tod Browning offrira bien entendu le rôle de DRACULA… Reste que Chaney laisse derrière lui un nombre impressionnant de chefs d'œuvres et une quantité plus importante encore de véritables performances d'artiste. Parmi celles-ci, le personnage de Erik, plus connu bien évidemment comme étant LE FANTOME DE L'OPERA. Adapté fidèlement du roman de l'écrivain français Gaston Leroux, cette histoire reprend les thématiques classiques de l'amour impossible, de l'incompréhension et du rejet. Nous sommes donc là en présence d'un triangle amoureux constitué du fameux Fantôme, de la cantatrice Christine Daaé et de son prétendant le Vicomte Raoul de Chagny. Ce dernier, incarné par l'acteur Norman Kerry, représente bien entendu le parti idéal de par son élégance et sa position sociale. Ses sentiments pour la chanteuse (jouée par la jeune Mary Philbin) nous sont très vite dévoilés et une union semble même envisageable dans un avenir proche. La rudesse du Vicomte en fait cependant un être de prime à bord relativement détestable. Ce sentiment, fort bien amené, n'est en réalité présent que pour contrebalancer la grande sensibilité du troisième larron. En effet, le Fantôme n'est au début qu'une simple voix pour Christine, mais une voix rassurante, aimante et particulièrement agréable, une voix qui s'adresse à elle lorsqu'elle est seule dans sa loge, par on ne sait quel miracle. L'immense gentillesse des propos finit fort logiquement par troubler la demoiselle, donnant ainsi naissance à l'intrigue puis à l'inévitable confrontation entre les deux prétendants.
Une intrigue relativement conventionnelle donc qui se trouve cependant magnifiée ici par le talent hypnotique de Lon Chaney et une mise en scène tout simplement incroyable. Ainsi, dès les premières minutes, l'identité et la nature même du Fantôme sont au cœur de toutes les discussions. Qui est-il ? Qu'est-il ? Est-il réellement dangereux ? Tant de questions qui hantent les lieux et donnent naissance à un véritable mythe craint de tous. Pari réussi donc pour Erik qui souhaite arriver à ses fins par la menace… Le premier tiers du métrage nous permet d'admirer le remarquable travail d'éclairage ainsi que l'aisance avec laquelle Lon Chaney se meut, créant ainsi une silhouette mystérieuse et bien entendu effrayante. Le Fantôme devient «concret» pour le spectateur à l'instant même où il le devient pour la jeune cantatrice Christine Daaé. Cette première apparition continue d'alimenter le mystère puisque notre homme apparaît masqué. Cependant, ses bonnes manières et ses bons mots suffisent à en faire un homme que l'on a envie de suivre, ce que fait bien entendu Christine.
Le troisième tiers s'avère pour sa part très différent. Le clash intervient évidemment lorsque le masque du Fantôme tombe et révèle son incroyable laideur. Une laideur physique qui s'associe très vite à un comportement bien moins «respectable». Blessé par la réaction terrifiée de Christine, le Fantôme se fait bien plus dur et cassant dans ses propos. Pire, il en vient à menacer sa vie ainsi que celle des autres. Le masque tombe donc littéralement, révèlant un être fragilisé ayant vécu en marge de la société et étant par là même incapable de vivre avec elle. Sa colère s'avère donc à la limite du puéril, égale à celle d'un enfant capricieux qui n'obtiendrait pas satisfaction… Les conséquences de cette colère sont en revanche bien plus graves et mettent en péril la vie de nombreuses personnes.
Lon Chaney nous livre donc une incroyable interprétation en trois temps, toute en finesse grâce à une vraie compréhension du personnage. Bien entendu Erik est encore une fois l'occasion pour «l'acteur aux mille visages» de se grimer et d'étonner. Dans ce but, l'acteur conservera son maquillage totalement secret et ce jusqu'à la fameuse révélation. L'équipe du métrage aura donc goutté à l'horreur de ce faciès difforme de la même manière que le fera le public quelques mois plus tard… Nous noterons cependant que le Fantôme dispose d'un maquillage plus «subtil» et moins «fou» que ceux des autres individus joués par Chaney. L'homme minimise ainsi le déguisement (qui reste très impressionnant) pour accentuer l'aspect «humain» de son personnage. Un choix judicieux qui permet de «jouer» avec les sentiments du spectateurs, partagé dès lors entre le dégoût et une profonde pitié…
Mais outre la prestation de Lon Chaney (qui éclipse quelque peu les autres), ce sont aussi les magnifiques décors du film qui étonnent et émerveillent. Les sous-sols de l'Opéra Garnier s'avèrent à ce titre particulièrement envoûtants. A une succession interminable d'escaliers succèdent d'immenses soubassements voûtés dans lesquels le Fantôme évolue de manière fort poétique à cheval ou à l'aide d'une barque. Le trajet menant Erik et sa douce Christine au cœur de la fameuse antre relève dès lors de la balade romantique, évoquant par instant les gondoliers vénitiens… L'opéra lui-même, fort de son architecture aussi démesurée que tortueuse, s'impose comme un véritable élément clef du métrage, un cadre oscillant là encore entre le merveilleux et le mystérieux. La composition de certains plans relève par ailleurs sans aucun doute du grand art. Nous citerons pour l'exemple l'utilisation judicieuse du clair/obscur, la fameuse scène de bal (en couleur !) et la séquence nous montrant le Fantôme, perché sur une statue et drapé d'une immense cape, assister à la trahison de sa douce Christine…
Autant dire que LE FANTOME DE L'OPERA version Rupert Julian s'impose sans mal comme la meilleur adaptation du roman de Gaston Leroux. Nombreux sont pourtant les réalisateurs ayant tenté leur chance… Citer toutes les adaptations serait bien entendu laborieux et sans intérêt. C'est pourquoi nous nous contenterons d'évoquer tout d'abord une version antérieure datant de 1916 et réalisée par Ernst Matray. Passons ensuite à la très honorable version de 1943, réalisée par un Arthur Lubin inspiré. Cette version offre en outre la particularité d'avoir réutilisé un certain nombre de décors créés pour le film de Rupert Julian… Un bond d'une petite vingtaine d'année nous mène à la célèbre adaptation (très libre par ailleurs) de Terence Fisher oeuvrant alors pour le compte de la Hammer. Plus libres encore seront les versions signées par De Palma - l'opéra-rock PHANTOM OF THE PARADISE - et Dario Argento. L'occasion pour ce dernier de réaliser ce qui restera sans doute comme l'un de ses plus mauvais métrages… Joel Schumacher quant à lui proposera en 2004 une version chantante qui s'avère être l'adaptation d'un spectacle à grand succès de Broadway. Il est intéressant, au regard de toutes ces versions et d'autres non évoquées, d'ajouter que le métrage de 1925 s'avère être le plus fidèle au roman d'origine et à sa poésie gothique. Par ailleurs, alors qu'une grande majorité de métrages impute la monstrueuse apparence du Fantôme à un jet d'acide ou une terrible brûlure, le film de Julian respecte les lignes de Leroux en faisant de son monstre un être difforme de naissance dont les traits sont ceux d'un squelette vivant, dormant du reste dans un cercueil…
Il existe grâce au monde du DVD de nombreuses manières de découvrir ce chef d'œuvre du cinéma muet. Les éditions pullulent et ce essentiellement car le film est entièrement libre de droits. Ce statut rime malheureusement bien souvent avec édition bâclée et réalisée sans le sou. C'est bien évidemment le cas avec cette édition Aventi et ce même si, reconnaissons le, le métrage est présenté dans une copie globalement correcte. L'image respecte le format plein cadre d'origine et propose un noir et blanc très contrasté. Les tâches, griffures et autres défauts ne se comptent plus mais n'oublions pas que nous avons à faire là à un film âgé de plus de 85 ans… Il faudra donc se montrer indulgent pour profiter du spectacle. Nous le serons moins en revanche avec la fameuse scène du bal, tournée en couleur et faisant apparaître un Fantôme déguisé en «mort rouge». A l'évidence, cette courte portion de métrage est recadrée (via un zoom) et nous est proposée dans une copie totalement délavée et à la définition très faible… Le spectateur pourra donc se déclarer très déçu du peu de respect accordé à cette séquence pourtant essentielle et particulièrement graphique…
Sur le plan sonore, nous n'aurons bien entendu pas le choix puisque le film est muet ! L'accompagnement sonore et donc présenté dans un mono relativement clair épaulant les images de manière honnête. La copie présentée dispose par ailleurs d'un sous-titrage français imposé lorsque apparaissent à l'écran les lettres manuscrites envoyées par le Fantôme. Les panneaux affichant les dialogues sont quant à eux entièrement en français et ce contrairement à d'autres éditions disponibles en France.
Sur le plan éditorial, Aventi n'a fait aucun effort et le menu d'accueil s'avère donc désespérément vide, ne proposant qu'un maigre chapitrage en huit parties. Notons pour finir que le film est présenté dans son montage définitif de 1925. Pour en savoir plus sur les différents montages et remontages du film, nous vous invitons à consulter la chronique du disque KVP. Globalement, si cette édition n'est pas celle que nous sommes en droit d'espérer, reconnaissons toutefois qu'elle constitue une alternative au rapport qualité/prix intéressant puisqu'elle peut être dégottée pour moins d'un euro sur Internet… Les passionnés se tourneront en revanche vers l'édition Zone 1 parue chez Image et disposant en sus du montage de 1929 et d'une interactivité pertinente.