Comme nous vous l'avions déjà expliqué dans diverses chroniques dédiées au cinéma asiatique, c'est en 1988 qu'est mis en place à Hong Kong le système de classification des films en fonction de l'âge minimum requis pour les visionner en salles. La classification la plus élevée est alors la Catégorie III (interdiction stricte au moins de 18 ans). Auparavant, il n'y avait aucun classement de ce style. Mais cela n'empêchait en rien l'existence d'une censure beaucoup plus arbitraire (interdiction de films, de séquences). Tout devrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, artistes, pouvoirs publics et spectateurs ayant trouvé un terrain d'entente conciliant liberté d'expression et protection des mineurs.
Pourtant, nous sommes déjà deux années après la fermeture du puissant studio Shaw Bros, signe avant-coureur d'une grave crise du cinéma de Hong Kong. Cette crise devint critique au début des années 90 et, depuis, ce cinéma ne s'en est toujours pas remis. L'explosion de la vidéo et du piratage rongent la base du cinéma de Hong Kong. Les films à costumes et à effets spéciaux visuellement ambitieux, lancés par Tsui Hark sous l'influence du cinéma hollywoodien et de l'esthétique des vidéo-clips, deviennent trop coûteux pour une production nationale en pleine débandade. La sortie du fastueux JIANG-HU de Ronny Yu, en 1993, nous parait aujourd'hui le chant du cygne de tout un cinéma des années 80... La même année, l'Asie est secouée par une très grave crise économique qui donne le coup de grâce à ce cinéma, dont l'avenir paraît encore assombri par la perspective de la rétrocession de Hong Kong à la Chine continentale, en 1997. Les financements deviennent difficiles à trouver et les films se font de plus au plus au rabais.
Pour faire rentrer un maximum de liquidités en un minimum de temps, certains se rabattent sur le sexe et la violence. Afin d'attirer en masse les spectateurs dans les salles, des longs métrages sont tournés vite et pour très peu d'argent, en profitant de la liberté permise par la «Category III» dans l'excès. Parmi ces films, nous trouvons, en 1993, THE UNTOLD STORY, une histoire de serial killer cannibale inspirée par le succès du SILENCE DES AGNEAUX ainsi que par des rumeurs de cannibalisme ayant entouré les activités d'un véritable tueur en série à Hong Kong dans les années 70 : selon la presse de l'époque, le tueur aurait vendu la chair de ses victimes sous forme de boulettes de viande dans un restaurant ! THE UNTOLD STORY, réalisé par Herman Yau et mettant en vedette Anthony Wong, connaît un gros succès public et critique à Hong Kong.
Il était inévitable que ces deux complices de l'atroce se réunissent pour un nouveau film, qui sera EBOLA SYNDROME. A nouveau, Anthony Wong joue un sociopathe semant la mort et la violence sur son passage. Afin de trouver des financements pour cet EBOLA SYNDROME, Herman Yau l'annonce comme une espèce de suite de THE UNTOLD STORY, quand bien même nous ne suivons pas le même personnage. On introduit parmi les forfaits du tueur une pratique du cannibalisme rappelant THE UNTOLD STORY. Le «héros» de EBOLA SYNDROME donne à manger dans un restaurant des boulettes de viande composées de la chair de ses victimes humaines. EBOLA SYNDROME a aussi du bénéficier de moyens relativement confortables pour un film "Category III", puisqu'une bonne partie de son action a été tournée en Afrique du Sud. Ce n'était pas une première pour le cinéma d'horreur de Hong Kong, puisqu'un titre du même genre, CRAZY SAFARI, avait été tourné là-bas par Billy Chan. Il mettait en scène la confrontation entre des vampires chinois et le Bushman N!Xau, vedette mémorable de LES DIEUX SONT TOMBES SUR LA TETE !
A Hong Kong, Kai est surpris par son patron en train de coucher avec l'épouse de celui-ci. Le cocu mécontent menace de castrer Kai, qui ne se laisse pas faire et, armé d'un sécateur, il trucide tous les occupants de la pièce. Il prend alors la fuite vers l'Afrique du Sud où il trouve du travail dans un restaurant, auprès d'un employeur peu regardant... Ensemble, ils se rendent dans un village zoulou afin d'acheter de la viande de porc à vil prix. Kai profite de l'excursion pour abuser d'une jeune villageoise plongée dans l'inconscience. Il ignore que celle-ci se trouve dans cet état car elle est victime du redoutable syndrome d'Ebola. Kai, dont l'hygiène est douteuse, transmet le virus à un peu tout le monde, en Afrique du Sud et à Hong Kong...
Le virus Ebola, découvert en Afrique dans les années 70, avait déjà donné lieu à un film l'année précédente : ALERTE ! de Wolfgang Petersen, dans lequel la maladie était rebaptisée "Motaba". Mais l'allusion était transparente, le film faisant référence à des cas réels s'étant déroulés aux Etats Unis à la fin des années 80. De son côté, EBOLA SYNDROME s'appuie aussi sur les rumeurs liées au début du SIDA, voulant que le virus aurait été rapporté en occident par une personne ayant eu des rapports sexuels avec des indigènes africains...
Toujours est-il qu'EBOLA SYNDROME n'aborde pas le sujet de l'épidémie sur le ton sérieux d'un film-catastrophe hollywoodien. Ici, le sujet est exploité avec le pire goût possible. Tout ce qui est lié à la maladie n'étant que prétexte à susciter le dégoût et le malaise. Corps horriblement mutilés, agonies aussi atroces que spectaculaires, modes de transmission des fluides vitaux rarement ragoûtants (crachat et saignement, voire pire, dans la nourriture d'un restaurant !…). Herman Yau et Anthony Wong ne respectent rien et nous le font savoir. Il ne s'agit pas ici de s'émouvoir de l'avenir de l'humanité, mais bien de proposer le spectacle le plus déplaisant et la comédie la plus noire possible !
Commençons par Kai, le héros d'EBOLA SYNDROME. Psychopathe notoire, inculte, libidineux, sale, il est porté par des pulsions de violence qu'il ne se donne même pas le mal de contrôler. Tueur et violeur notoire, il s'avère aussi un personnage exploité par des employeurs abusant de lui, allant jusqu'à le menacer physiquement. La femme de son premier patron lui fait injustement porter toute la responsabilité de l'adultère. Le propriétaire d'un restaurant profite de sa situation de fuyard pour le payer le moins possible. A chaque fois que Kai se montre réellement violent et dangereux, il s'agira en fait de punir ceux qui ont abusé de lui. Kai nous le répète suffisamment pendant tout le film : il ne faut pas l'emmerder !
Car si Kai est abject, le monde qui l'entoure n'est guère meilleur. Tous les personnages sont motivés par les trois mêmes éléments extrêmement basiques : la survie, l'argent et le sexe. Ce qui rend d'ailleurs leurs réactions d'une logique et d'une cohérence toujours imparable. La méchanceté et la bêtise règnent en maître. Le blanc déteste le jaune qui méprise le noir tandis que le métis Kai dégoute tout le monde. La haine et la mesquinerie sont donc présents à tous les étages dans cet film très noir, digne de l'esprit anarchisant de Hara Kiri ou, comme l'avait très justement remarqué Nadia lors de notre précédente chronique de ce titre, de l'univers désespérément drôle de Vuillemin !
Dès lors, dans ce monde où il n'y a rien à sauver, Kai n'a qu'une solution pour régler ses problèmes : tout casser, devenir un véritable microbe destructeur semant le chaos et la terreur, crachant sa haine et ses microbes sur les passants et la police. EBOLA SYNDROME, c'est un peu ça, un film très en colère, craché à la figure du spectateur contre la mesquinerie et la médiocrité (présumées !) du genre humain en général...
Maintenant, ne nous trompons pas sur la marchandise. EBOLA SYNDROME reste un petit film tourné vite, avec d'évidentes limites techniques et financières. La mise en scène fait parfois bâclée, la photographie n'est guère enthousiasmante et, si Herman Yau choisit par moment l'ellipse ou le hors-champs pour décrire certaines atrocités, il est possible que ce soit faute des moyens nécessaires à la création de certains effets spéciaux Gore... Bref, EBOLA SYNDROME, ce n'est pas du grand cinéma...
Néanmoins, EBOLA SYNDROME, quelque part, cela reste du bon cinéma, un film agressif, personnel, sans tabou, assez unique en son genre et qui, pourtant, ne rencontra guère de succès lors de sa sortie à Hong Kong. Les années passent et la notoriété des «Category III» va croissante en occident. Alors que le cinéma Gore américain est depuis longtemps quasiment abandonné, EBOLA SYNDROME, Anthony Wong et Herman Yau gagnent leurs galons d'icônes de la culture Trash mondiale.
Malgré de nombreuses sorties DVD de cinéma asiatique, les «Category III» de Hong Kong les plus saignants ont mis beaucoup de temps à arriver en France. Metropolitan / Seven7 leur a dédié une collection en 2006, mais en camouflant ses liens avec la prestigieuse collection HK video, laquelle n'est mentionnée nulle part sur le produit, quand bien même les rapprochements sont évidents (charte graphique, etc.). Même dans les cénacles cinéphiles présumés "progressistes", le Gore et l'extrême restent donc si difficilement fréquentables ?
Le film est proposé au format 1.77, avec option 16/9, dans une copie loin d'être impeccable et aux couleurs un peu délavées. Certaines saccades suspectes et autres effets de "ghosting" semblent indiquer que nous avons affaire à un transfert de signal NTSC vers PAL un peu douteux... Néanmoins, la possibilité de voir ce film en 16/9 reste une nouveauté appréciable pour ce titre, et le résultat reste dans le domaine du regardable...
La bande-son est proposé dans un mono codé sur deux canaux, accompagné de sous-titres français non amovibles. Là encore, il ne faut pas s'attendre à des merveilles, mais l'audition reste confortable, jamais lassante ou crispante.
Enfin, l'interactivité se limite aux cinq bandes-annonces des films sortis dans cette collection «Category III». Certaines ont apparemment été bricolées par Metropolitan / Seven7, mais d'autres sont d'origine, en particulier celle d'EBOLA SYNDROME, joyeusement racoleuse et s'achevant sur un carton assez hallucinant, rendant «hommage» aux techniciens du film qui se sont rendus en Afrique "au péril de leurs vies" ! Digne de la bande-annonce d'époque de LE DERNIER MONDE CANNIBALE qui nous montrait Deodato et son équipe se prétendant cernés par d'authentiques anthropophages !
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Proposé à un prix plutôt raisonnable, ce DVD est donc une bonne occasion de découvrir EBOLA SYNDROME en français, dans des conditions techniques qui, sans être optimales, restent plutôt bonnes au vu des autres éditions proposées pour ce titre. En attendant d'en savoir plus sur l'édition américaine supposée sortir ces jours-ci (mai / juin 2007) et qui sera, de toutes façons, réservée aux anglophones...