Depuis les années soixante (LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP, 1962, Mario Bava), les salles de cinéma italiennes proposent régulièrement à leur public de suivre en compagnie des “maîtres” Bava, Lenzi ou Argento, l'horrible plongée d'artistes et journalistes dans les vertigineuses méandres fantasmatiques de la folie, celle des tueurs sadiques. Jalonnée de meurtres aussi pervers qu'hallucinants, l'aventure offre également l'occasion aux cinéastes d'ériger une imagerie érotique dont NUE POUR L'ASSASSIN demeure l'illustre représentant. Sorti la même année que les célèbres FRISSONS DE L'ANGOISSE, l'oeuvre d'Andrea Bianchi doit son succès à un casting sulfureux constitué des “bombes” Edwige Fenech (L'ÎLE DE L'ÉPOUVANTE, 1970, Mario Bava ; L'ÉTRANGE VICE DE MADAME WARDH, 1971, Sergio Martino, L'ALLIANCE INVISIBLE, 1972, Sergio Martino) ou Femi Benussi (UNE HACHE POUR LA LUNE DE MIEL, 1970 Mario Bava). Ces dernières donnent la réplique à Nino Castelnuovo (ROCCO ET SES FRÈRES, 1960, Luchino Visconti ; LES PARAPLUIES DE CHERBOURG, 1964, Jacques Demy ; LE TEMPS DU MASSACRE, 1966, Lucio Fulci) pour notre plus grand bonheur.
Un mystérieux motard décime les membres d'une agence de mode. Un photographe (Nino Castelnuovo) mène l'enquête...
À première vue, le film d'Andrea Bianchi constitue un giallo classique. De fait, NUE POUR L'ASSASSIN convoque de charmantes créatures, des lames de couteaux et des appartements surfaits pour associer les meurtres perpétrés par notre étrange motard à ceux qui firent entre autres le succès de Mario Bava (LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP ; SIX FEMMES POUR L'ASSASSIN), Sergio Martino (LA QUEUE DU SCORPION ; L'ALLIANCE INVISIBLE) ou Argento (L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL ; LE CHAT À NEUF QUEUES ou FRISSONS DE L'ANGOISSE). À cela s'ajoutent quelques très beaux décors urbains chargés de refléter l'intensité glacée des crimes commis. Trottoirs luisants d'humidité, façades uniformes et carrefours déserts recueillent avec une froide indifférence les cavalcades et cris des potentielles victimes. L'enquête en tant que telle emprunte pareillement aux codes du genre. Les indices se multiplient au fil de l'histoire poussant héros et spectateurs à observer minutieusement diverses photographies et à poser un œil suspicieux sur un environnement où la frontière entre Réel et Illusion s'avère bien ténue. Jeux de reflets entretenus pas des miroirs juxtaposés, travestissements suspects et mensonges éhontés singularisent l'ambiguité d'un monde profondément malsain. Cette incertitude engendre l'angoisse, notamment au cours des scènes d'assassinat. Comme Aldo Lado (JE SUIS VIVANT), Umberto Lenzi (LE TUEUR À L'ORCHIDÉE) ou encore Argento, Bianchi soumet les dites séquences à une temporalité originale, précisément assujettie à une dilatation toute subjective du moment. Ici, notre caméra s'attarde non sans délectation sur les multiples angles et recoins de pièces au sein desquelles se dissimule le meurtrier. Préfigurant le sort de la victime, la couleur rouge des murs exaspère le climax pour mieux réverbérer les rigoles de sang qui lézarderont bientôt le corps de la défunte.
Sadisme, voyeurisme et trame policière apparentent donc NUE POUR L'ASSASSIN à un giallo somme toute conventionnel, pour ne pas dire parodique. À ce propos, l'incipit illustre parfaitement cet aspect de l'oeuvre. Une jeune femme se fait avorter. Gros plan sur les jambes écartées, écho lancinant et stressant des battements de cœur, ustensiles tranchants et gants chirurgicaux anticipent judicieusement les crimes à venir. L' austérité de l'opération médicale renvoie à celle, encore plus inhumaine, de l'assassin. Dans une optique équivalente, l'impuissance sexuelle du patron de L'Albatros raisonne comme un clin d'oeil assez jouissif quant aux pathologies mises en avant par maintes cinéastes pour expliquer l'action du Personnage ganté. Enfin, le film souhaite exacerber l'imagerie érotique vulgarisée par le giallo depuis quelques années. Peu farouches, les filles d'Ève passent leur temps à se déshabiller afin de satisfaire le voyeurisme des spectateurs réels et fictionnels. Ces derniers pourront ainsi goûter aux charmes souvent vulgaires des demoiselles bottées, vêtues de porte-jarretelles, culottes rouges et autres frou-frous. Loin d'être cantonné aux épisodes coquins, le mauvais goût explique la gratuité de certains zooms (notamment sur le postérieur d'une baigneuse) ou même l'incontestable échec de quelques blagues (“Dans notre milieu, on devient vite intime”, explique une mannequin).
Horripilante d'abord, cette vulgarité sous-tend une esthétique particulière, celle que Baudelaire se plaît à associer au concept de “modernité” (“Le Peintre de la vie moderne”, 1863). Si les dames mises en scène ici ne possèdent pas la beauté transcendante et glacée des Madones, Ingénues ou Femmes fatales du cinéma en général, elles n'en fascinent pas moins via leur adéquation aux moeurs d'une période donnée ainsi qu'à l'idéal universel d'un érotisme artificiel. Effeuillées avec plus ou moins de tact par une caméra opportuniste, Edwige Fenech et Femi Benussi consacrent la spécificité des univers fantasmatiques propres à une partie du Septième Art des années 70. L'émancipation du “sexe faible” correspond à une libération exclusivement sexuelle qui, bien évidemment, s'exercera au bénéfice du Masculin. Soumise à ce dernier, la “partenaire” se réalise pleinement dans un sadomasochisme, ici omniprésent. Ainsi cède-t-on aux avances ridicules d'un photographe macho, d'un obèse impuissant et d'une furie hystérique. Le sourire qui très souvent illuminera la face des victimes en signale la paradoxale inaccessibilité. Objet de convoitise, la femme de “chair et sang” subit les caprices du temps (âge avancé de Patrizia, Solvi Stubing), de l'Homme (sodomie pratiquement imposée) et du Couteau. Également sublimées, ces mêmes figures affichent une offensante indifférence à l'égard de leurs bourreaux. Filles d'une Époque et de l'Éternité, les Blondes, Brunes et Rousses de Bianchi illustrent la suprématie de l'Artifice, la Splendeur de l'Apparat, la beauté de la Vulgarité. Les porte-jarretelles, culottes de dentelles ou déshabillés vaporeux révèlent la véritable noblesse de l'“animal civilisé”. Conformément aux présupposés esthético-idéologiques des gialli, Bianchi refuse d'assimiler le Beau à la Nature pour au contraire valoriser la différence entre les deux états. À ce titre, le maquillage excessif, l'accoutrement excentrique (énorme manteau de fourrure, par exemple) ou certaines poses grotesques alimentent le magnétisme des créatures en éloignant le plus possible ces dernières du “primitif”. En cela, Edwige Fenech et Femi Benussi correspondent aux coquettes de Baudelaire : La mode doit donc être considérée comme un symptôme du goût de l'idéal surnageant dans le cerveau humain au-dessus de tout ce que la vie naturelle y accumule de grossier, de terrestre et d'immonde, comme une déformation sublime de la nature ou plutôt comme un essai permanent et successif de réformation de la nature. (Charles Baudelaire, “Éloge du maquillage”, Le peintre de la vie moderne, 1863)
Suivant ce principe, le choix d'un cadre référentiel enclin à théâtraliser l'Éros féminin ne semble pas si anodin qu'il n'y parait de prime abord. En soumettant l'exercice de séduction à un ensemble de codes diachroniques (dépendants d'une mode et donc d'une époque), le photographe et son studio comprennent et interprètent la “perversion sexuelle” comme un désir conditionné par certaines normes sociales. Intéressant à plus d'un titre, NUE POUR L'ASSASSIN doit davantage s'apprécier comme une petite curiosité que comme une oeuvre majeure du cinéma. À réserver, donc, essentiellement aux amateurs de gialli.
Sur le plan technique, le DVD présente une image correcte avec un grain cinéma d'origine ostensible sur certains plans (entre autres sombres). Sans problème notable de compression et proposé en 16/9 scope respecté, le film bénéficie d'une galette de qualité. En Dolby Digital 2.0 (en fait du mono) pour les version originale sous-titrée et doublage français, le son souffre dans le premier cas d'un pleurage (impression que la bande ne défile pas régulièrement) indépendant du DVD même mais plutôt attribuable au master fourni. Pour preuve, la version française échappe au phénomène, les voix claires ne compensant pourtant pas la piètre, voire hilarante, performance des doubleurs.
En guise de suppléments, Néo nous offre une interview de Nino Castelnuovo. Durant seize minutes, le comédien revient sur un métrage dont il ne garde explicitement aucun souvenir. Un comble! Le vieil homme évoque d'abord ses carrières théâtrales et cinématographiques, le succès des PARAPLUIES DE CHERBOURG et la télévision. Incapable, suivant ses dires, de s'étendre sur le tournage de NUE POUR L'ASSASSIN, l'interviewé extirpe pourtant de sa mémoire quelques anecdotes telles sa pudeur devant la nudité des comédiennes, la gentillesse de Franco Diogene ou l'incroyable calme de Bianchi. En ce qui concerne l'oeuvre même, Castelnuovo affiche une réserve similaire, entre autres justifiée par “l'impossibilité de raconter l'histoire”. Ainsi se contente-t-il d'insister sur la dimension archétypale d'un film volontairement “basique”. En dépit de son opacité, l'entretien rondement mené permet de compléter, plus agréablement que l'inutile présentation, le visionnage de NUE POUR L'ASSASSIN. En naviguant sur le très beau menu du DVD, il est également possible d'apprécier une galerie de photographies choisies de manière pertinente ou d'enrichir sa culture grâce aux filmographies et fiches techniques. De manière générale, l'éditeur propose une galette dont le contenu reste conforme au film, une “petite sucrerie” à consommer avec modération.