RUN AND KILL nous conte l'histoire ô combien tragique d'un homme exagérément gentil. Aimant avec sa femme, grimaçant comme il se doit avec sa fille, correct avec ses employés et attentionné avec les personnes âgées, notre homme ne pouvait qu'être abusé. Et c'est bien entendu ce qui lui arrive… Alors qu'il rentre de son honnête travail, Cheng découvre sa femme dans les bras d'un homme, épicier de son état. Cheng étant d'un naturel extrêmement placide, il recommande calmement à sa femme de se rhabiller et part consommer quelques tequilas de manière abusive. La tequila étant sans aucun doute une parente éloignée du penthotal, l'homme parle et parle encore. Sans doute trop puisqu'il fini par embaucher un tueur pour éliminer sa chère et tendre épouse. Cheng se retrouve donc très vite célibataire et surtout, endetté de la coquette somme de 800.000 HK$. Peu fortuné, notre homme est alors entraîné dans un cycle de violence interminable…
Derrière la mythique appellation "Catégorie III" se cache en réalité la plus lourde classification du système de censure de Hong-Kong, correspondant en France à une interdiction aux moins de 16 ans. Si la commission de censure existe à Hong-Kong depuis 1953, ce n'est qu'en 1988 que l'attribution des catégories verra le jour… Avant les années 80, la commission pouvait sans abus être qualifiée de laxiste. Tous les films ne passaient pas entre ses mains et elle tolérait sans sourciller les quelques productions de la Shaw Brothers, entre autres, faisant preuve d'une certaine violence graphique et de nudité. Cependant, libération des mœurs aidant, le sexe et le sang se firent bien vite une place notable sur les écrans. La commission dût alors réagir et ordonna bon nombre de coupes sur certains films comme par exemple L'ENFER DES ARMES pour lequel Tsui Hark dût retourner quelques scènes… Le mouvement ne fût pas stoppé pour autant et l'afflux de plus en plus important de films ouvertement outranciers ne put être géré autrement que par la création de trois catégories (puis quatre lorsque la catégorie II fût scindée en IIa et IIb en 1995).
La «sentence» que devint alors la classification catégorie III fût assignée à des films faisant preuve d'une violence explicite, d'un érotisme poussé ou tout simplement d'un discours socialement inacceptable. Cependant, cette étiquette qui aurait pu être synonyme d'ostracisme pour ce cinéma «déviant» devint vite une marque de reconnaissance, le sigle d'un nouveau genre cinématographique qui culminera au début des années 90. C'est ainsi qu'en 1992 et 1993, les films recensés Cat.III représentèrent prés de la moitié de la production de Hong-Kong.
L'arrivée en France des Cat.III s'est faite en DVD via quelques films cultes tels que le nerveux A TOUTE EPREUVE de John Woo (reclassé IIb par la suite), le violent FULL CONTACT de Ringo Lam (lui aussi passé en IIb) et le bien monté SEX AND ZEN de Michael Mak. Metropolitan s'attaque donc maintenant et pour notre plus grand plaisir à de gros morceaux : Les vrais Cat.III, ceux qui n'ont jamais été déclassés et restent malgré les années des monuments de mauvais goûts, de méchanceté et de violence sadique…
RUN AND KILL voit donc le jour en 1993 sous la direction du réalisateur Hin Sing Tang plus communément appelé Billy Tang. L'homme n'a alors à son actif que trois films mais l'on peut déjà entrevoir un net penchant pour le rouge sang et l'horreur gratuite. Son premier film, POUR LA PEAU D'UNE FEMME, nous convie ainsi à un «Rape and Revenge» classique mais efficace. Son second métrage lui permettra de diriger un Jet Li alors en début de carrière mais ce n'est qu'avec son troisième film, DR. LAMB, que l'homme connaît son premier véritable succès. Ancré de plain-pied dans la catégorie III, le film, nous conte les aventures d'un chauffeur de taxi assassinant ses jeunes et séduisantes clientes. Malgré sa piètre qualité, l'oeuvrette est assez bien accueillie par la critique et jouit encore aujourd'hui d'une aura plutôt flatteuse. De fait, la recette est toute trouvée et Hin Sing Tang enchaîne aussitôt sur un quatrième métrage tout aussi violent : RUN AND KILL. De DR. LAMB, RUN AND KILL reprend aussi le casting et plus particulièrement le magnifique trio d'acteurs constitué de Simon Yam, Danny Lee et bien sûr Kent Cheng.
Danny Lee incarne ici un rôle de flic décontracté, droit et tiré à quatre épingles comme il en jouera une bonne vingtaine d'autres durant sa conséquente carrière. Pas de prouesse, le personnage ne présente que peu d'intérêt et sa présence à l'écran n'apporte pas le petit «plus» espéré. Ce n'est en revanche pas le cas du personnage qu'incarne Simon Yam. Véritable monstre rendu fou par son passé militaire durant la guerre du Vietnam, l'homme n'hésitera pas à décimer un gang entier pour retrouver son frère retenu prisonnier. Lorsque ce dernier décèdera, c'est vers le héros du film que se dirigera sa rage destructrice. Simon Yam, que l'on a pu voir dans près de 150 films, est connu pour alterner sans complexe les productions de Hong-Kong et les productions Internationales (récemment TOMB RAIDER : LE BERCEAU DE LA VIE et L'EMPREINTE DE LA MORT), privilégiant les grands films d'action (PTU et SPL) sans pour autant cracher sur les navets. Il tournera avec John Woo (UNE BALLE DANS LA TETE), Hin Sing Tang (quatre films) et surtout Johnny To (THE MISSION, FULLTIME KILLER…) pour lequel il campera une dizaine de personnages tous plus savoureux les uns que les autres. Il nous offre dans RUN AND KILL une performance magnifique, juste et incroyablement froide. Il est le mal, celui qui plongera le personnage du gros Cheng bien plus loin dans l'horreur que ne l'avait fait le gang durant la première moitié du film…
Homme de bien, Cheng nommé «le gros» durant tout le métrage, est donc interprété ici par l'acteur Kent Cheng. Impossible de ne pas connaître l'homme tant il semble omniprésent sur les écrans de Hong-Kong. Son physique tout en rondeurs le cantonne généralement à des rôles comiques de bonhomme ronchon ou de cuisinier mécontent. Malgré cela, l'homme aux choix éclectiques sera l'un des premiers à œuvrer dans des films de troisième catégorie. C'est ainsi que l'on pourra le voir dans les précurseurs THE BEASTS et THE IMP avant qu'il n'entre de plain-pied dans le genre avec pas moins de sept Cat.III à son actif, dont quatre réalisés par Hin Sing Tang…
Se calquant donc sur les «habitudes» cinématographiques du monsieur, RUN AND KILL nous dresse avec Cheng le portrait d'un homme à la réussite modeste mais enviable. Un modèle Hong-kongais gérant tranquillement sa petite entreprise, se montrant tendre avec sa femme et sa fille. Les premières vingt minutes sont ouvertement comiques et caricaturales, le personnage étant bien trop crédule et aimable pour être crédible… Les scènes se succèdent et l'homme semble de plus en plus subir sa gentillesse. Mais tout cela ne durera pas bien longtemps car l'heure arrive pour le film de justifier son sévère classement…
Cheng se trouve donc bien vite confronté à une triste réalité : celle de la pègre Chinoise, sans foi ni loi, bien décidée à investir un Hong Kong alors sous contrôle Britannique. Les allusions quant au statut de Hong Kong sont nombreuses dans le métrage, tirant à la fois sur la Chine continentale et sur les colons Britanniques. Rappelons que le film est tourné en pleine période de doute, entre l'accord Sino-Britannique datant de 1984 et la rétrocession effective qui fera de Hong Kong une région administrative de la République Populaire de Chine le 1er juillet 1997. RUN AND KILL n'hésite donc pas à rappeler que certains personnages aux mœurs douteuses (comme la femme adultère de Cheng) viennent de Chine continentale. De même, le bar dans lequel Cheng va rencontrer la prostituée, les mafieux et donc ses problèmes est tenu par des Britanniques…
Un message social qui ne sera bien entendu pas seul à justifier la classification du film. Car RUN AND KILL est aussi extrêmement généreux en violence explicite. S'il n'atteint pas la crudité d'un THE UNTOLD STORY ou le mauvais goût d'un EBOLA SYNDROME, le film de Hin Sing Tang n'en demeure pas moins dérangeant. Egorgements, immolation par le feu, exsanguination, défénestration et morts par balles sont autant d'éléments qui font de RUN AND KILL un véritable petit bijou du genre. La dernière demie heure se montre à ce titre plutôt éprouvante pour tout spectateur attaché un tant soit peu à la notion de famille…
Outre cette violence indiscutable et sa brochette d'excellents acteurs, RUN AND KILL se présente comme un terrifiant drame fort bien mis en scène. Si l'ensemble reste très léger sur le plan scénaristique, on ne peut que constater l'efficacité générale du film de Hin Sing Tang. Tout d'abord parce qu'en passant de l'humour caricatural à la violence extrême, le réalisateur nous offre une plongée vertigineuse qui ne manquera pas de surprendre. Sur le plan visuel ensuite, le métrage est plutôt soigné et fait la part belle aux éclairages bleutés, aux flammes rougeoyantes et aux gros plans horrifiés. Le rythme ne mollit à aucun instant et le film ne se termine brutalement qu'après d'une heure et demi de tension, laissant enfin au spectateur le temps de respirer… Hin Sing Tang renouera avec l'univers Cat.III l'année suivante avec le très «correct» RED TO KILL puis à quatre autres reprises avant l'essoufflement du genre aux alentours de 1996…
Metropolitan se décide donc à éditer en Zone 2 française quelques films estampillés Cat.III via une première salve de cinq DVD et dont RUN AND KILL a l'honneur de faire partie. Petit évènement en soit puisqu'il est enfin possible de découvrir le film dans sa version originale cantonaise sous-titrée en français. Il s'agit fort logiquement de la seule piste audio proposée et ce dans un mono, encodé sur deux canaux, de bonne qualité.
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Côté image, Metroplitan a fait du beau travail. Alors que l'édition de Hong Kong ne proposait qu'une copie 4/3, au format cinéma, avec des couleurs passées et baveuses, le disque français nous offre un transfert 16/9 (1.85) aux couleurs vives et aux noirs profonds. Seules certaines scènes semblent souffrir d'une pâleur quelque peu regrettable mais rien de très gênant. Ce DVD s'impose donc comme la meilleure alternative pour découvrir ce poids lourd du cinéma outrancier, comme le montre notre comparatif en images.
Nous noterons au passage que l'édition de Hong-Kong proposait des sous-titres anglais et chinois incrustés tous deux sur le film. Outre le désagrément que représente le fait d'avoir deux sous-titrages en simultané, ceux-ci avaient de plus la particularité d'être difficilement lisibles et de se déplacer de manière notable durant le film ! Cet étrange problème n'est bien évidement plus d'actualité sur l'édition Metropolitan aux sous-titrages parfaitement lisibles.
En terme de bonus, Metropolitan nous donne ici le strict minimum avec seulement cinq bandes-annonces. Il s'agit bien entendu de celles des cinq titres proposés par l'éditeur dans sa collection «Catégorie 3», présentées en version originale dans une qualité d'image juste acceptable.
RUN AND KILL est l'une des petites perles de la vague «Cat. III» qui connut ses heures de gloire à Hong Kong au début des années 90. Une descente aux enfers à la fois dure, graphiquement explicite et proposant son lot de scènes inoubliables. Le film est soigné, interprété avec justesse et mis en image avec un certain talent. Il se présente par ailleurs comme l'achat indispensable de cette première vague éditée par Metropolitan qui nous propose une édition sobre, mais techniquement de qualité.