Trevor Reznik, ouvrier dans une usine, n'a pas dormi depuis un an. Sa rencontre avec un homme mystérieux sera le catalyseur d'évènements inexplicables. Trevor est-il prisonnier de son insomnie qui provoque des hallucinations, ou la réalité est-elle tout autre ?
THE MACHINIST est le cinquième film de Brad Anderson qui a également tourné des épisodes télé. Malgré cette production indépendante au petit budget (5 millions de dollars), le réalisateur est parfaitement à son aise. Il délivre un métrage aux images soignées, construit sur la base solide du script de Scott Kosar (MASSACRE A LA TRONCONNEUSE version 2003, THE AMITYVILLE HORROR). Ce scénario était son tout premier, écrit à sa sortie d'une école de cinéma. Sans vouloir vous gâcher les choses, l'histoire d'apparence alambiquée tourne autour d'une culpabilité extrême. Nous ne sommes pas dans un vrai film d'horreur malgré une ambiance parfois oppressante, mais plutôt dans un film noir tirant ses influences des oeuvres d'Hitchcock ou autres métrages des années 1940-50. Ceci est exprimé par la façon dont les images de certains changements de scènes se fondent entre elles et souligné par une musique nous renvoyant par moments vers les créations mélodiques de Bernard Hermann.
Trevor Reznik est un homme seul. Sa vie se résume à son travail monotone à l'usine, derrière une machine bruyante. D'une maigreur squelettique, il surveille son poids de près, indiquant les pertes sur des post-its, lugubre rappel de son existence aussi vide que son corps. Il présente une certaine obsession de la saleté, il se lave les mains à l'eau de javel et passe ses soirées à frotter le carrelage de sa salle de bain avec une brosse à dents. Sa lecture consiste en L'Idiot de Dostoïewski et ses seules sorties se limitent à prendre un café dans un aéroport, endroit sans âme s'il en est mais d'où toutes les directions sont possibles.
Aucune véritables indications sur la ville où se déroule cette étrange histoire ne nous seront données. Les couleurs délavées du film renforce le sentiment d'anonymat et de tristesse, ainsi que cette curieuse impression de déroulement hors du temps. L'on pourrait se trouver n'importe où et à n'importe quelle époque que cela ne changerait rien... Ce n'est pas grave, au contraire, puisque le coeur du métrage est ailleurs, notamment dans celui de son personnage principal.
Sa rencontre avec Ivan, l'étrange inconnu, se déroule de façon tout à fait anodine lors d'une pause-cigarette. Son physique si particulier (chauve, grosses dents, lunettes de soleil) crée immédiatement une tension qui ne lâchera plus le film jusqu'à la fin. L'acteur a été choisi pour son apparence hors-normes et bien qu'il ait été un peu arrangé pour le rôle, on pense tout de suite à Marlon Brando dans APOCALYPSE NOW. Selon Anderson, ce n'était pas du tout intentionnel mais cela crée une note plutôt amusante et donne un côté «clown grotesque» au personnage.
Que veut-il de Trevor ? Ivan sera aussi la cause indirecte d'un accident de travail causé par Reznik dans lequel son collègue Miller (Michael Ironside) sera blessé grièvement. Cependant, ses supérieurs lui font douter de sa santé mentale en lui faisant comprendre que cet Ivan ne travaille pas du tout à l'usine alors que Trevor l'a clairement vu le jour du drame. Débute alors une sorte de jeu du chat et de la souris où Reznik traque des ombres, mais les pièces du puzzle vont progressivement se mettre en place. Le spectateur a toujours un peu d'avance sur Trevor mais Anderson a malgré tout laissé une certaine marge d'imprévu. Dès que l'on pense avoir deviné quelque chose, on se rend compte que l'on fait fausse route.
Chez lui, Reznik va trouver des post-its où s'engage un jeu du pendu. Petit à petit, il complète le mot mystérieux mais se retrouve plusieurs fois dévié de ses trouvailles. Ses choix sont présentés sous forme de bifurcations, le plus clairement étant peut-être celui du parc d'attractions. Il s'y trouve avec Marie (la serveuse du café de l'aéroport) et son fils, Nicholas. Le garçon emmène Trevor dans une sorte de train fantôme, la Route 666, qui s'avère être une véritable descente aux enfers. Le manège est jonché de cadavres, de démons, de jeux sadiques, le tout créant une sorte d'irréalité troublante. Vers la fin, l'on peut soit tourner à droite sur la «Road to salvation» (Route vers la rédemption) ou à gauche, vers la «Highway to Hell» (Autoroute de l'Enfer). Avant que Trevor ait pu réagir, Nicholas tourne à gauche et fera une crise d'épilepsie tandis que Reznik est sur le point de se remémorer ce qui semble être un accident de voiture.
THE MACHINIST fait partie de ses films dont il est difficile de parler sans révéler les réponses finales. Les scènes semblent n'avoir ni queue ni tête au départ, mais l'apparition répétée de détails aident le spectateur autant que Trevor à deviner où tout cela va le mener. Ainsi, Reznik passera de nombreuses fois devant un château d'eau qui tient sur lui une étrange emprise, l'allume cigarette de sa voiture va déclencher de drôles de sensations de déjà-vu, tout comme l'heure, «1h30», ou encore cette photo d'Ivan et Reynolds, un collègue de Reznik, ayant péché un gros poisson.
Le script est très intelligent et bien que le dénouement ne correspond pas à ce que l'on aurait pu penser au départ, on ne se sent pas floué du tout. Chaque question trouve sa réponse, chaque problème sa solution.
Il est impossible d'ignorer la performance de Christian Bale (AMERICAN PSYCHO, BATMAN BEGINS, EQUILIBRIUM...) qui a perdu près de trente kilos pour se couler dans la peau de Trevor Reznik. Décrit dans le script comme un «squelette ambulant», pour se préparer à ce rôle, Christian Bale s'est contenté d'une pomme et d'une boîte de thon par jour bien que personne ne le lui ait explicitement demandé. Cependant, à l'instar d'une Charlize Theron dans MONSTER, son personnage existe pleinement au-delà de l'apparence physique dont on finit par faire abstraction. Il EST cet homme au regard tourmenté qui n'a plus de force physique, qui doute de la réalité qui l'entoure et qui court vers sa propre perte en toute connaissance de cause.
Son amie Marie est campée par une actrice espagnole, Aitana Sanchez-Gijon, dont le physique charmant et intemporel est un parallèle parfait à l'esprit noir du film. De plus, on retrouve avec un certain plaisir Michael Ironside, vieilli mais toujours aussi charismatique. A l'instar de son personnage dans STARSHIP TROOPERS, il se retrouve une nouvelle fois handicapé de la même façon.
Au niveau du son et de l'image, il n'y a pas vraiment de reproches à faire. Les couleurs délavées fonctionnent à merveille de manière à supporter l'étrange ambiance du film et l'attention portée aux éclairages encore mieux. Ainsi, nous passons d'un univers monochromatique à un autre (froideur dans le monde de Trevor, chaleur dans celui de Marie...), la seule véritable touche de couleur du film étant la voiture de sport rouge d'Ivan. La sonorisation est aussi subtile que le traitement du film et il est toujours agréable de voir que certains éditeurs, comme CTV, pense à proposer une piste DTS pour la version originale. Celle-ci est d'excellente facture mais ceux qui n'auront la possibilité de se tourner que vers la version Dolby Digital 5.1 bénéficieront tout de même de pistes audio de grande qualité.
Les menus sont assez sympathiques, présentés comme le jeu du pendu. Seules quelques lettres sont apparentes, il faut ensuite se déplacer dessus pour obtenir l'intitulé complet. Les suppléments ne sont pas très nombreux ni très longs mais leur totalité présente un complément parfait au film. Ils sont tous à regarder après le métrage en raison de nombreuses révélations. Le commentaire audio de Brad Anderson explore le film de façon très intéressante et instructive. La seule note négative viendrait du fait qu'en tant que critique subjective de sa propre oeuvre, Anderson ne peut s'empêcher de pointer du doigt des défauts selon lui mais qui fonctionnent pourtant très bien dans l'ensemble. Ce n'est en aucun cas gênant pour une deuxième vision et prête plus à sourire qu'autre chose. Etant donné qu'il est très loquace, il est dommage de ne trouver son commentaire que sur deux des huit scènes coupées. Certaines coupes parlent d'elles-mêmes mais cela s'avère un peu frustrant qu'il ne donne pas lui-même des explications à ce sujet.
Trois des suppléments sont vraiment complémentaires : Le Making Of (35 minutes), les scènes de tournage (20 minutes) et l'interview de Brad Anderson (10 minutes). Il ne s'y trouve rien d'hallucinant, juste des éléments qui présentent un véritable intérêt pour le spectateur curieux des coulisses. On y apprend que les producteurs espagnols ont laissé toute latitude à Anderson pour faire son film, ce qui se ressent de bout en bout. Les difficultés techniques et décoratives étaient nombreuses mais le manque de budget décuple toujours la créativité. La préparation des scènes et des acteurs est sympathique à découvrir et, à la fin du visionnage, on a l'agréable impression d'avoir fait le tour du film même en si peu de temps. Des bandes annonces de cinq autre titres édités par CTV ainsi qu'une bande promo de THE MACHINIST viennent compléter le DVD.
THE MACHINIST est un métrage particulier mais finalement pas si compliqué que cela. C'est une oeuvre qui correspond presque parfaitement à la vision de son réalisateur, ce qui est assez rare en soi. Et c'est surtout une magnifique étude de caractère teintée de tristesse dans laquelle on aurait envie de se replonger de nouveau.