Une fusée se crashe dans la campagne anglaise et Quatermass, à l'origine du lancement, se rend tout de suite sur les lieux. Mais, à bord, il n'y a plus qu'un seul des trois astronautes. Celui qui a eu la chance de revenir a tout de même subi des traumatismes qui l'empêchent de raconter ce qui a pu arriver aux autres…
Durant les années 50, la télévision s'installe de plus en plus dans les foyers britanniques donnant ainsi un sérieux coup aux exploitants des salles de cinéma. Pour contrer cette concurrence, la plupart des productions doivent se tourner vers tout ce que la télévision ne peut pas apporter dans les maisonnées. Au contraire, la Hammer prend le pari d'adapter pour le grand écran des feuilletons télévisés après avoir fait de même en ce qui concerne des serials radiophoniques (DICK BARTON, THE LYONS…). Obtenant un certain succès avec ses adaptations, la Hammer ne lâche pas l'idée d'acheter les droits de programmes à la BBC…
A la même période, Nigel Kneale invente le personnage de Quatermass, dont le nom aurait été simplement trouvé en feuilletant l'annuaire téléphonique, pour un feuilleton qui ne partait pas gagnant. En effet, il se retrouve en production simplement pour boucher un trou dans la programmation d'été de la BBC. Pourtant, les six épisodes d'une trentaine de minutes de THE QUATERMASS EXPERIMENT vont connaître le succès auprès des téléspectateurs qui découvrent la chose alors que le tout est joué en direct devant la caméra. Anthony Hinds tombe sur le feuilleton et, impressionné, en touche un mot à James Carreras, alors à la tête de la Hammer Film. L'affaire est rapidement entendue avec la BBC et la Hammer adaptera pour le cinéma ce feuilleton avec un petit budget de 45.000 livres sterling. La production recrute au passage James Bernard et lui demande de composer la musique du film pour ce qui sera sa première composition à destination du cinéma. Le compositeur deviendra par la suite un musicien clé du succès des films d'épouvante qui suivront…
La réalisation est proposée tout naturellement à Val Guest qui a déjà réalisé plusieurs transpositions du petit écran vers le grand pour le compte de la Hammer Film. De prime abord, le cinéaste n'est pas spécialement emballé car il n'apprécie pas plus que cela la science-fiction. On lui fait tout de même passer le script du feuilleton avant qu'il ne parte en vacances et, à sa lecture, il change d'opinion ! Il ne reste plus qu'à tirer un film d'une durée normale à partir des trois heures d'origine. Nigel Kneale sous contrat avec la BBC n'a pas la possibilité de travailler sur le film et c'est Val Guest qui commence à rédiger un scénario. Il est bien vite rejoint par Richard Landau. Ce dernier étant imposé sur la suggestion de Richard Lippert, distributeur américain, pour s'assurer que le produit final sera aux goûts d'un public U.S. Dans le même ordre d'idée, on fait appel à un acteur déjà connu aux Etats-Unis pour interpréter le rôle principal et ce sera donc Brian Donlevy, américain mais d'origine irlandaise, qui sera choisi. Peu content de l'orientation prise par cette version cinématographique, Nigel Kneale n'aura de cesse d'exprimer sa désapprobation en particulier à l'encontre de la prestation de Brian Donlevy. Le film sera tourné aux Studios Bray, où s'est installé la maison de production britannique en 1951, avec quelques extérieurs principalement au Zoo de Londres et aux abord du château de Windsor.
Il est vrai que le Quatermass interprété par Brian Donlevy est assez différent de sa personnification télévisuelle. Il devient ici un scientifique qui laisse à la porte toutes idées sentimentales pour s'axer sur ses projets primordiaux. A un tel point qu'il est même possible de voir en lui une incarnation du Frankenstein joué par Peter Cushing quelques années plus tard toujours pour la Hammer Film. Quels que soient les échecs et leurs conséquences, il va ainsi de l'avant comme on peut le découvrir dans l'épilogue du film. Le Quatermass de Nigel Kneale était, quant à lui, bien plus modéré et moins autoritaire. Tout cela ne pèsera pas tellement dans la balance puisque hors du Royaume Uni, le personnage de Quatermass est inconnu, et cela provoque d'ailleurs l'éviction du nom du scientifique dans les titres du film à l'exportation : aux Etats-Unis, il devient THE CREEPING UNKNOWN et sera d'ailleurs raccourci de quelques minutes alors qu'en France on choisi un sobre LE MONSTRE.
Le British Board of Film Censors surveille depuis quelques temps déjà les films distribués dans le pays et vont même, durant une période, jusqu'à inspecter les scénarios avant que les films ne soient tournés. En 1951, le «X» est instauré chez les Anglais sous la houlette du comité de censure pour indiquer aux spectateurs que le film marqué de cette classification est fortement marqué d'images violentes, à connotation sexuelle ou horrible. A l'époque de la sortie du film, cette interdiction empêche les spectateurs âgés de moins de 16 ans d'accéder aux salles et donnait surtout une très mauvaise image de marque aux oeuvres qui ne rapportaient d'ailleurs jamais grand choses. Le pari de la Hammer sera premièrement d'oser la distribution du film avec le «X» mais ira même jusqu'à s'en servir astucieusement pour re-titrer son film en «Quatermass Xperiment » ! Pari osé, donc, mais réussi puisque le film va attirer un nombre conséquent de spectateurs et il sera distribué un peu partout dans le monde.
Malgré sa classification, le film amène donc de nombreux spectateurs dans les salles. Même si la Hammer avait déjà produit des films fantastiques auparavant, c'est LE MONSTRE qui va finalement marquer l'investissement de la société de production britannique dans l'épouvante et le fantastique ! A un tel point que certains des films en attente de tournage ou à l'état de simple projet sont purement et simplement annulés histoire de donner toute latitude à la nouvelle politique de la maison. X – THE UNKNOWN suit alors les traces visqueuses du MONSTRE. De par son approche, le film pourrait très bien être une nouvelle aventure de Quatermass avec une créature informe, sorte de BLOB avant la lettre, telle que l'on peut en découvrir une à l'issue du MONSTRE. Le titre même de X – THE UNKNOWN s'assurait une nouvelle fois de jouer avec la classification du comité de censure tout en évoquant quelque chose de mystérieux (la lettre «x» étant souvent utilisée pour quelque chose d'indéfini).
Val Guest n'était pas spécialement attiré par la science-fiction mais c'est l'aspect «réaliste» du traitement de l'histoire qui l'attire. Le budget restreint obligera de toutes façons à tendre vers une certaine sobriété dans les effets spéciaux pour se resserrer sur ses personnages et surtout le destin dramatique de l'astronaute Victor Carroon. Ce dernier apparaît sous les traits fatigués et torturés d'un Richard Wordsworth muet mais qui réussit à faire transparaître toute l'horreur de sa situation grâce à son jeu aidé aussi, il est vrai, par un maquillage expressif de Phil Leakey. Il est d'ailleurs intéressant de constater que le "monstre" du film peut aussi être vu comme un précurseur de la créature tragique de FRANKENSTEIN S'EST ECHAPPE !. Dans LE MONSTRE tout tend à rendre crédible cette histoire finalement assez simpliste et qui sera réutilisé à plusieurs reprises au cinéma de façons plus ou moins détournées avec, par exemple, LE MONSTRE QUI VIENT DE L'ESPACE de William Sachs ou même, encore plus récemment, LA MUTANTE 2.
LE MONSTRE se développe sous la forme d'un thriller de science-fiction des plus sérieux tout en nous faisant assister à un funeste drame humain débouchant sur l'horreur. Force est de reconnaître que le rigoureux traitement du récit est encore aujourd'hui plutôt efficace à l'instar de sa mise en scène. Val Guest réitérera l'expérience deux ans plus tard avec LA MARQUE, toujours d'après un feuilleton de la BBC mettant en scène le personnage de Quatermass. Ce second opus au sein de la Hammer développera une histoire plus complexe ce qui lui fera gagner en action ce qu'il perdra, finalement, en ambiance horrifique. Bien plus tard, la Hammer adaptera une nouvelle fois Quatermass avec LES MONSTRES DE L'ESPACE toujours issu de la BBC.
L'édition DVD de Metropolitan pour LE MONSTRE n'est pas très glorieuse puisque le film y est proposé seul sans rien d'autre hormis son chapitrage (ce qui est la moindre des choses) ! Il faudra donc se contenter d'un transfert très satisfaisant, en plein cadre et dans son noir et blanc d'origine, où l'on excusera les divers petits défauts indiquant que le film commence à dater. Deux pistes sonores sont disponibles avec une version originale anglaise relativement claire ainsi qu'un doublage français artistiquement moins convaincant. Un sous-titrage français est, bien évidemment, disponible pour ceux qui ne manient pas parfaitement la langue anglaise.
LE MONSTRE, le film, n'est plus tout jeune mais ne traîne pas pour autant la patte comme il est possible de le constater à sa vision sur cette édition DVD. Mais il s'avère tout de même handicapé par le vide supplémentaire de cette édition DVD. Ce sera tout de même comblé par un prix de vente peu élevé qui, espérons le, poussera à la découverte du film de Val Guest.