Ai Nu est kidnappée pour être vendue dans une maison close. Faisant preuve d'une force de résistance hors norme, Ai Nu provoque l'admiration de Lady Chun, la tenancière de l'établissement. Au fil des brimades destinées à asservir Ai Nu, la cruelle Lady Chun commence à ressentir des sentiments amoureux envers la jeune rebelle. Deux ans passent, et Ai Nu est devenue une courtisane très convoitée ainsi que l'amante de Lady Chun. Mais derrière cette façade, elle fomente patiemment sa vengeance.
INTIMATE CONFESSIONS OF A CHINESE COURTESAN est l'un des titres de la Shaw Brothers restés célèbres hors films de sabre ou de kung-fu. Daté de 1972, le film surfe sur l'engouement tout récent à Hong-Kong pour l'érotisme et propose un spectacle bouillonnant mélangeant sensualité, gore, wu-xia pian et surtout homosexualité. La relation charnelle entretenue par les deux femmes de l'histoire provoqua, à l'époque, un gigantesque tollé à la sortie du titre sur les écrans de l'ex-colonie (l'homosexualité étant encore aujourd'hui tabou en Chine et plus largement en Asie). Un scandale qui alimenta un extraordinaire succès public faisant de INTIMATE CONFESSIONS OF A CHINESE COURTESAN l'une des plus grosses recettes de l'année, ainsi que l'oeuvre de référence de certains de ses auteurs.
Le film est réalisé par Chu Yuan, un solide artisan de la Shaw Brothers à qui l'on doit entre autres LE SABRE INFERNAL. Egalement comédien, on se souvient de son interprétation de méchant dans POLICE STORY de et avec Jackie Chan. Au terme de sa carrière, Chu Yuan décroche le titre de «l'homme au 125 films». Le rôle de la vénéneuse Ai Nu est tenu par Lily Ho, une comédienne repérée dès son jeune âge par la Shaw. Bien que l'on ait pu la voir dans une quarantaine de films (dont THE WATER MARGIN de Chang Cheh), c'est bel et bien sa prestation dans INTIMATE CONFESSIONS OF CHINESE COURTESAN qui soutient la mémoire d'une carrière achevée un an plus tard en 1973. Betty Ting Pei prête quant à elle ses traits à l'ambiguë Lady Chun. Chanteuse et comédienne d'origine Taiwanaise, elle est surtout connue pour avoir été l'une des dernières maîtresses de Bruce Lee sur le tournage du JEU DE LA MORT. Le casting inclus également Yueh Hua en officier de police (vu dans L'HIRONDELLE D'OR de King Hu), ainsi que Fan Mei Sheng (immortalisé par son rôle de directeur de prison bionique dans l'immortel STORY OF RICKY du valeureux Nam Nai Choi).
L'érotisme scandaleux de INTIMATE CONFESSIONS OF A CHINESE COURTESAN est aujourd'hui bien désuet, le film étant mille fois plus prude qu'une publicité contemporaine pour les yaourts. Quant à sa représentation frontale du saphisme, elle se pare d'une intimité bien plus esthétique que directement charnelle. Voir INTIMATE CONFESSIONS OF A CHINESE COURTESAN de nos jours tient plus du plaisir visuel que du spectacle pour adulte. Dans sa recherche de la sensualité, le film se montre extrêmement soigné. Chaque plan est composé dans un souci pictural, exploitant l'artificialité des fameux décors de la Shaw Brothers pour bâtir une palette de cadres et de couleurs très variées.
Les couleurs, il en est également question dans les costumes que portent les femmes tout au long du film, et qui nous renseignent sur l'évolution de leurs personnages (à la manière du récent HERO de Zhang Yimou) : Ai Nu porte d'abord du vert (associé à la peur) lors de sa capture pour ensuite s'habiller de blanc (soit le deuil en Chine, une couleur très peu utilisée d'ordinaire) lorsqu'elle devient courtisane, Lady Chun porte du bleu (couleur de la loyauté et donc de l'amour) face à Ai Nu.
Outre l'argument artistique, INTIMATE CONFESSIONS OF A CHINESE COURTESAN fascine grâce à son couple de femmes. Portée par l'interprétation de Lily Ho ainsi que par une mise en scène totalement dévouée à sa valorisation, Ai Nu (qui signifie «esclave de l'amour») l'impose d'emblée comme un personnage inoubliable du cinéma chinois. D'abord victime blessée, elle va peu à peu se transformer en mante religieuse, s'offrant aux hommes pour mieux atteindre ceux qu'elle rêve de tuer (les brigands qui l'ont kidnappée, les premiers hommes qui l'ont violée). Séductrice et prédatrice, Ai Nu est en permanence dans le double jeu, qui plus est dans sa romance avec Lady Chun. La relation maître et esclave s'inverse ici de manière ambiguë, Ai Nu manipulant sa pire ennemie par la seule faille que cette dernière lui révèle. Les séquences d'intimité entre les deux femmes n'en deviennent que plus passionnantes, et dépassent par leurs enjeux le cahier des charges «érotique» auquel ces dernières sont soumises. Quant à l'affrontement final entre les deux amantes, il se fera le point d'orgue de cette relation d'amour / haine via un climax alternant violence et douceur, sadisme et poésie.
Comme de nombreux films chinois, INTIMATE CONFESSIONS OF A CHINESE COURTESAN vaut aussi pour son mélange des genres. Les personnages, Ai Nu et Lady Chun en tête, n'hésitant jamais à se battre tout en virevoltant dans les airs dès que la situation devient trop critique. Construit dans un premier temps sous forme de récit à rebours, le film s'offre dans sa première partie une teinte d'intrigue policière en suivant le point de vue d'un agent de police enquêtant sur une série de meurtres (qui nous conduira à un long flashback nous contant l'histoire d'Ai Nu). Enfin, de par son cachet «adulte», le film ne perd jamais une occasion de verser dans le sanguinolent, des combats aux sabres où le gore s'invite joyeusement (Lady Chun possédant de plus la capacité de transpercer des cages thoraciques avec ses mains tendues) jusqu'aux sévices reçus ou prodigués par Ai Nu (où le sang se fait le moteur d'un érotisme tordu). Seventies oblige, le film se permet quelques figures stylistiques d'époques (des irruptions de musiques modernes lors des passages forts, quelques abus de zooms manuels) achevant de donner au titre une ambiance riche et variée.
INTIMATE CONFESSIONS OF A CHINESE COURTESAN est donc une redécouverte impérative du catalogue de la Shaw Brothers, trop vite écrasé par ses films d'arts martiaux. Le film vient d'ailleurs rejoindre tout un pan supplicié surtout alimenté par le cinéma japonais de la même époque, où la femme se voit la victime de toutes sortes d'odieux traitements afin de se faire ensuite sublimer via une oeuvre de vengeance qui se fait le moteur d'une existence entière. Chu Yuan dirigera une suite / remake douze ans plus tard titré LUST FOR LOVE OF A CHINESE COURTESAN. Candice Yu reprend le rôle de Ai Nu pour une version beaucoup plus érotique que l'original. En 1992, Clarence Fok clame réaliser une version contemporaine de cette histoire avec NAKED KILLER interprété par Chingmy Yau et Simon Yam. Aucune de ces versions n'égalera la qualité de INTIMATE CONFESSIONS OF A CHINESE COURTESAN, qui fut quant à lui présenté en 2003 au festival de Berlin à l'occasion de sa restauration en vue de sa sortie DVD en Chine.
Déjà disponible en édition chinoise depuis le lourd catalogue de rééditions des films de la Shaw Brothers, INTIMATE CONFESSIONS OF A CHINESE COURTESAN nous arrive en France en décalage par rapport à la vague d'importation des films du studio. L'image, au format et anamorphosée, bénéficie d'un somptueux travail de restauration. Elle rend de ce fait parfaitement justice au soin esthétique apporté au métrage, et ce n'est pas quelques rares petits défauts récalcitrants de pellicule qui vont gâcher notre plaisir. Comme nous avions pu le constater sur le DVD de SUPER INFRAMAN, cette édition française permet d'obtenir un gain de qualité par rapport au disque chinois. Toutefois, il faut aussi noter une compression qui n'est pas toujours invisible. En ce qui concerne le son, une seule piste sonore est proposée en mandarin et dans un mono d'origine lui aussi nettoyé avec une grande efficacité.
En Chine, le film était épaulé par des interviews de critiques de génération différentes donnant leurs vues concernant le métrage Chu Yuan et le replaçant dans son contexte. En France, ce ne sera pas le cas puisqu'en lieu et place, CTV innove en donnant la parole à trois actrices ayant oeuvré au sein de la Shaw Brothers : Shaw Yin-yin, Lily Li et Candice Yu. Intéressant surtout que cette dernière était justement l'actrice principale du remake ! L'autre supplément du DVD chinois était une interview de Clarence Fok, réalisateur du NAKED KILLER déjà cité, qui n'avait en fait rien à voir avec INTIMATE CONFESSIONS OF A CHINESE COURTESAN si ce n'est qu'il fut l'assistant de Chu Yuan. Vous ne trouverez pas cette interview sur le disque français qui préfère donner la parole à la cascadeuse / doublure Sharon Yeung. Hormis le fait qu'elle répète à de nombreuses reprises qu'elle n'a finalement que peu travaillé sur le film en raison d'une blessure, une ou deux de ses interventions auraient d'ailleurs pu être coupé lors du montage de l'interview, elle donne tout de même ses vues sur les actrices et l'industrie cinématographique chinoise.
Comme pour les autres titres sortis chez CTV, et contrairement aux disques chinois, le DVD contient la bande-annonce d'époque en plus de du clip promo fait à l'occasion du dépoussiérage du film. Cette bande-annonce ne date bien évidemment pas d'hier et donne une idée de ce que l'on aurait pu obtenir si le film n'avait pas subi un lifting complet. En effet, la bande-annonce contient un très grand nombre de défauts de pellicule et affiche des couleurs complètement délavées. Néanmoins, le fait d'ajouter cette bande-annonce permet d'avoir une idée de la façon dont à été commercialisé le film à l'époque.
La Shaw Brothers n'a pas uniquement produit des grands films de kung-fu et de sabres. INTIMATE CONFESSIONS OF CHINESE COURTESAN nous prouve si besoin en était du talent de ces artisans chinois, où quand une banale histoire de «Rape and Revenge» se trouve totalement magnifiée par un sens de la tragédie ambiguë ainsi qu'à une ambiance sensuelle mise en scène avec une grande élégance esthétique. Ca s'appelle un incontournable.