A la fin des années 1960, le cinéma d'horreur britannique reste, par son influence et son succès commercial, le centre de l'horreur mondiale. En 1968, outre DRACULA ET LES FEMMES qui fait un malheur, un autre film anglais connaît un accueil très favorable : LE GRAND INQUISITEUR, réalisé par Michael Reeves et produit par la firme Tigon, titre racontant les méfaits d'un chasseur de sorcières dans l'Angleterre du XVIIème siècle. Dès l'année suivante, en Europe, des copies se préparent. L'Espagnol Jesus Franco s'empresse de réaliser LE TRONE DE FEU dans lequel Christopher Lee incarne un tortionnaire du même style.
En Allemagne, Adrian Hoven, avant tout connu comme acteur (LIANE, L'ESCLAVE BLANCHE, DAS RATSEL DER ROTEN ORCHIDEE, NECRONOMICON…), travaille en tant que producteur et scénariste sur un nouveau film de terreur. Il est d'abord envisagé que ce long métrage soit mis en scène par Michael Reeves, alors considéré comme le nouvel espoir du cinéma fantastique mondial. Mais il décède suite à une overdose de médicaments et il faut se rabattre sur Michael Armstrong, lequel vient de tourner sont premier long métrage pour la Tigon, ABOMINATOR (titre vidéo). Ce britannique accepte de venir le tourner en Allemagne et en Autriche, en décor naturel, et remanie largement le scénario.
Dans la distribution, nous retrouvons quelques acteurs étrangers : par exemple, la Yougoslave Olivera Vuco Mais elle se compose tout de même majoritairement de comédiens allemands. Udo Kier (CHAIR POUR FRANKENSTEIN…) y tient un de ses premiers grands rôles, tandis que nous croisons Adrian Hoven (dans le rôle d'un marionnettiste très malchanceux), Herbert Fux (THE CASTLE OF FU-MANCHU de Jesus Franco, DER GORILLA VON SOHO d'Alfred Vohrer…)… Surtout, dans le rôle du comte Cumberland, l'impitoyable juge prononçant les mises à mort des soi-disant "sorcières", nous trouvons Herbert Lom, fameux comédien allemand ayant fait la plupart de sa carrière en Grande-Bretagne (il fut LE FANTOME DE L'OPERA pour Terence Fisher et incarna Charles Dreyfus dans la série des "Panthère Rose" interprétée par Peter Sellers). Enfin, nous reconnaissons la silhouette émaciée et le terrible visage de Reggie Nalder, comédien d'origine autrichienne doté d'un physique particulier qui le confina souvent dans des rôles inquiétants (assassin impitoyable dans L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP version 1956 et L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL…).
Quelque part en Europe, dans une petite ville… Albino, un sadique, et sa bande de brutes font régner la terreur en assumant les fonctions de "chasseurs de sorcières" locaux. En fait, ils tuent et violentent au gré de leur seul bon vouloir, s'en prenant souvent à des jeunes femmes n'ayant rien à se reprocher ou à des savants trop en avance sur leur époque… Ces méfaits prennent fin lorsque le Comte Cumberland, un nouveau juge, arrive dans la région et reprend les choses en main. Il est assisté par Christian, son jeune élève, lequel s'éprend de Vanessa, une belle femme qu'Albino veut faire condamner pour sorcellerie…
Dans le style "inquisition", LE GRAND INQUISITEUR et LE TRONE DE FEU avaient la particularité de s'inspirer de deux personnalités historiques réelles : respectivement Matthew Hopkins et le juge Jeffreys. LA MARQUE DU DIABLE se montre plus vague. Les personnages sont inventés et il n'est guère aisé de définir la période et le pays dans lesquels est supposée se dérouler l'action. Pourtant, le film de Michael Armstrong fait preuve d'un certain souci d'authenticité en soignant certains détails. Les décors naturels d'époque créent une atmosphère tout à fait prenante et l'emploi d'accessoires, toujours d'époque (particulièrement les instruments de torture), ainsi que des actes d'accusations et des témoignages recueillis au temps des vrais procès en sorcellerie, nous plongent un peu plus dans la folie de ces sinistres mascarades judiciaires.
A travers ses différents protagonistes, LA MARQUE DU DIABLE dépeint plusieurs aspects de cette barbarie institutionnalisée. Albino, le premier chasseur que nous voyons à l'oeuvre, est une brute, un sadique cruel se contentant d'utiliser la force pour piller, violer et torturer en toute impunité. Ne croyant pas un seul instant à la sorcellerie, il méprise, par ailleurs, toute forme de religion. Il envoie même ses hommes rançonner un convoi de pauvres petites bonnes soeurs !
Le jeune Christian, lui, incarnerait le "bon" chasseur de sorcière, s'imaginant naïvement que ces procès se font au service d'une bonne justice. Il croit aveuglément que le comte Cumberland, son maître, est un juge de qualité, totalement opposé aux méthodes d'Albino.
Cumberland, pourtant, ne vaut guère mieux que la brute balafrée. Certes, il respecte un peu mieux les formes et donne à ses procès l'apparence d'une certaine rigueur. Si les exécutions organisées par Albino relevaient plus du lynchage qu'autre chose, Cumberland, aristocrate, veut agir dans les règles, au moins pour les apparences. Car, de toutes façons, tout est joué d'avance. Ce cruel personnage dispose d'un moyen des plus commodes pour extorquer les aveux qui l'arrangent le mieux : la torture ! Ce n'est pas vraiment la justice qu'il recherche, mais plutôt la défense des intérêts de l'église et le maintien de l'obscurantisme. En plus, il trouve dans ces "procédures" une façon de se défouler sur les femmes, de se livrer hypocritement à des violences innommables …
Sa réputation de film sulfureux, LA MARQUE DU DIABLE la doit avant tout à ses séquences de torture. Membres tranchés, écartèlement, langue arrachée, brûlures au fer rouge… Et j'en passe, et des meilleures ! Par leur crudité, par leur réalisme chirurgical, ces séquences apportent un point de vue nouveau dans le Gore européen. Certes, les films de la Hammer proposaient déjà des moments sanguinolents (particulièrement DRACULA ET LES FEMMES), mais le vérisme documentaire de LA MARQUE DU DIABLE basculent dans une tonalité autrement plus dérangeante que ses prédécesseurs britanniques.
Enfin, le dénouement de LA MARQUE DU DIABLE plonge dans une insondable noirceur. Ce ne sont pas seulement les élites et les brigands qu'il condamne. La foule, elle aussi, se comporte comme une bête. Reluquant complaisamment les supplices publics au début du métrage, le populo se retourne contre les chasseurs à la fin, en faisant preuve d'une sauvagerie toute aussi aveugle que celle des inquisiteurs.
Malheureusement, LA MARQUE DU DIABLE voit ses qualités thématiques affaiblies par des approximations trop fréquentes. Approximation d'un scénario qui, s'il se montre intéressant dans sa description des bourreaux, restent à la surface des choses quand il s'agit des victimes. La sous-intrigue dédiée à un jeune aristocrate que l'église veut spolier de ses biens et celle consacrée à des marionnettistes restent superficielles. La mise en scène, elle aussi, souffre de maladresses. Armstrong filme ses paysages trop platement, ou bien emploie le zoom de façon discutable. Quant à l'interprétation, si Reggie Nalder ou Herbert Lom, entre autres, sont époustouflants, d'autres acteurs se montrent peu concernés (Udo Kier...), voire peu crédibles.
Inégal, parfois maladroit, LA MARQUE DU DIABLE reste, pour l'amateur de gore et d'atrocités en tout genre, une oeuvre sympathique (si l'on peut dire !), à l'intérêt historique réel. A sa sortie, il rencontre un retentissement public très important, notamment aux USA. En France, s'il est diffusé au cours de la première convention de cinéma fantastique de Paris, en 1972, il ne sort pas dans les salles de l'hexagone. Par contre, il est montré en Belgique, sous le titre LES SORCIERES SANGLANTES. Il faudra attendre les années 1980 pour que LA MARQUE DU DIABLE sorte dans notre pays, en VHS chez René Château, dans une édition le proposant en version originale sous-titrée en français et, malheureusement, incomplète.
Une suite de LA MARQUE DU DIABLE est aussi tournée, qui sort en 1973 : LA TORTURE ou LA MARQUE DU DIABLE II (titres vidéo), réalisé par Adrian Hoven lui-même et interprété par Anton Diffring et Erika Blanc.
En DVD, LA MARQUE DU DIABLE a déjà été édité aux USA chez Anchor Bay, dans une édition sans supplément (zone 1, NTSC) et à laquelle il était réputé manquer quelques secondes d'images. En Grande-Bretagne, le même éditeur a publié le DVD en 2003 (PAL, zone 2), avec un commentaire audio et une interview de Michael Armstrong. Mais cette version a été raccourcie d'une trentaine de seconde par la censure britannique !
En 2004, alors que le disque Anchor Bay américain a disparu de la circulation, c'est au tour de Blue Underground de nous proposer une nouvelle édition (zone 1, NTSC). LA MARQUE DU DIABLE nous est proposé ici dans un cadrage panoramique 1.78 (à peu près le format 1.66 d'origine), avec un télécinéma 16/9 de tout beauté. Le rendu des couleurs, la définition et la propreté de la copie (hors génériques) sont d'un excellent niveau. On n'en attendait pas moins !
La bande-son est disponible en anglais (mono d'origine, codé sur deux canaux), avec une très bonne qualité technique. Le film n'a pas été enregistré en son direct, mais nous aurions tout de même apprécié la présence de la version allemande d'origine, d'autant plus que ce film est interprété pratiquement uniquement par des acteurs germanophones… Aucun sous-titrage n'est disponible.
En supplément, Blue Underground nous offre d'abord un intéressant commentaire audio du réalisateur Michael Armstrong. Si son élocution très rapide et très british rend parfois le suivi de ses interventions un peu laborieux, il narre tout de même de nombreuses anecdotes, n'hésitant pas à revenir sur les difficultés de ce tournage. En effet, une fois les prises de vue principales achevées, Adrian Hoven a tourné des plans et des scènes supplémentaires et les a intégrées au métrage, dans le dos d'Armstrong. Dans le même sens, le dénouement originel prévoyait un rebondissement surnaturel que la production retira et dont les éléments filmés seraient aujourd'hui perdus... Ce DVD propose toutefois de nombreux clichés de cette séquence disparue.
En plus, le disque propose des interviews d'acteurs de LA MARQUE DU DIABLE : Udo Kier (qui semble se contreficher du film comme de l'an quarante…), Gaby Fuchs (la femme à la langue arrachée), Ingeborg Schöner (la marionnettiste) et Herbert Fux (le bourreau du donjon). C'est, de loin, ce dernier qui se montre le plus intéressant. Enfin, le disque est complété par une bande-annonce anglophone d'époque, trois spots radios et une énorme galerie de photographies (photos de plateau, d'exploitation, de tournage, affiches, matériel promotionnel, etc.…)
Blue Underground signe donc encore une fois une édition à la qualité technique impressionnante et à l'interactivité passionnante. Il est toutefois regrettable qu'ici, cet éditeur ne propose pas la piste audio du pays d'origine de ce film…
PS : Merci à Jean-Claude Michel (Fantomas2) pour ses précieuses corrections...