Le maître mot du Krimi DAS INDISCHE TUCH (THE INDIAN SCARF en anglais) est le jeu. Car il s'agit bien d'un jeu auquel nous convie le réalisateur Alfred Vohrer. En adaptant le roman éponyme d'Edgar Wallace (Krimi n°149), il a choisi le côté du second degré et du jeu de pistes pour la progression de son film.
Toujours produit par la firme Allemande Rialto Films, on retrouve les habitués des adaptations des Krimis du début des années 60. Le héros suave en la personne d'Heinz Drache, le sidekick contrepoint comique avec l'inévitable Eddi Arent (qui reprend son numéro de majordome de DER HEXER, entre autres) mais aussi Siegfried Schürenberg (une sorte de Jacques François Teuton, ahuri de DER ZINKER ou DER HEXER), Ady Berber (qui refera son rôle de brute épaisse à un neurone dans LA PORTE AUX SEPT SERRURES) et la grande Elisabeth Flickenschildt (DAS GASTHAUS AN DER THEMSE) dans le rôle de Lady Lebanon.
La mort de Lord Lebanon provoque la réunion de sa famille pour la lecture du testament. Assemblé dans le château familial, chacun semble s'entre-déchirer pour la possession de l'héritage, d'autant plus que pour toucher leur somme, ils doivent passer une semaine ensemble au sein du château. Tout se complique avec une terrible tempête qui les isole du reste du monde… et un mystérieux tueur étrangle les membres de la famille un à un avec à chaque fois une écharpe indienne.
Alfred Vohrer a la forme ! A l'instar de ses autres réalisations (DER HEXER, DER ZINKER, DIE BLAUE HAND...), il se montre capable de relever le défi des histoires complexes d'Edgar Wallace en contrebalançant de manière permanente son récit par l'humour. Tout ici n'est jamais pris au sérieux (hormis la séquence pré-générique) et ne doit surtout pas l'être ! La volonté n'est pas de faire peur au spectateur mais bel et bien de jouer avec lui, qu'il s'agisse de la caméra ou de faire l'apprenti-détective avec Heinz Drache (dans le rôle de l'avocat Frank Tanner) qui se charge de mener l'enquête.
La formule demeure respectée en surface. Une séquence pré-générique avec un meurtre, la voix d'Edgar Wallace apparaissant au début de la séquence générique «Hallo ! Hier spricht Edgar Wallace !» ("Bonjour, ici Edgar Wallace !"). Et le générique de début en couleurs (ici une seule couleur apparaît :le rouge, qui alterne avec le noir), comme il était de coutume dans les premiers Krimi adaptés au cinéma. Une chose curieuse : la musique de Peter Thomas étonne par le décalage constant avec le ton et le thème du film. Même pendant le métrage, elle s'y montre parfois hors de propos.
Les fausses pistes comme les suspects abondent, et d'ailleurs à tort. C'est bien la première fois que le héros se trompe de manière aussi flagrante et intégrale. Ceci dit, tout est mis en œuvre pour que chacun se suspecte mutuellement de manière logique. L'américain, pièce rapportée de la famille, fait face à une faillite personnelle… motif suffisant pour assassiner les autres ? Serait-ce le bâtard joué par Klaus Kinski, sculpteur et se piquant rageusement le bras avec une seringue… serait-il morphinomane ? Héroïnomane ? Ou simplement diabétique ? Mais c'est en faisant attention à la mécanique du suspens qu'il est aisé de voir à quel point le Giallo aura puisé son inspiration dans le Krimi. Ainsi l'enregistrement de morceaux musicaux jouant pendant les meurtres sera un élément qu'Ernesto Gastaldi reprendra intégralement pour son scénario des RENDEZ-VOUS DE SATAN de Giuliano Carmineo. On y frise même le plagiat !
En cela , le scénario respecte la règle du mystère en huis-clos et plonge dans les affres du château Lebanon à grands coups de passages secrets, de caves remplies de toiles d'araignées, de tueur ganté de noir, de cellules suintantes… et du château lugubre isolé du monde. Tout est propice au gothique, de l'orage qui claque, à la lumière qui s'éteint, aux bougies qui s'allument dans de grandes pièces noires jusqu'aux fenêtres qui s'ouvrent brutalement. La différence est qu'Alfred Vohrer n'en fait qu'un décorum de base pour s'intéresser au traitement de l'action plutôt qu'à l'action elle-même. C'est une leçon que ne retiendront que peu les autres réalisateurs de la série de Krimi, comme Harald Reinl pour ZIMMER 13, par exemple. Ce qui donne des petites touches d'humour noir, comme l'animal de compagnie de Siegfried Schürenberg, un perroquet qui répète «Meurtre ! meurtre !» à plusieurs reprises.
Les acteurs sont au diapason de ce jeu de piste. Eddi Arent en tête, car malgré son statut de second rôle, il éclipse facilement le reste du casting dans son rôle du majordome Bonwit. Solidement dirigé et souhaitant incarner un majordome «à l'anglaise», il manque d'un chouïa de raideur dorsale et de tête relevée pour qu'on s'y méprenne. Mais il se rattrape largement avec les scènes où la desserte de service à roulettes le suit. En effet, il donne carrément des ordres à la desserte qui le suit ou le précède comme par enchantement ! Toujours en décalage avec l'action, sa seule préoccupation au milieu des invités qui meurent est de savoir combien de personnes seront à dîner. Réjouissant !
La mise en scène joue également avec le sujet : ainsi lors du plan à 2mn40 du métrage, la caméra descend lentement derrière une cheminée et deux mains suivent le mouvement descendant de la caméra. Les mains vont-elles se brûler aux flammes ? Non, car l'important est ce qui se passe à l'arrière plan, en profondeur, ce que l'œil ne perçoit pas comme primordial. Vohrer sait manier sa caméra et utiliser le format Scope à merveille, créant de toutes pièces des puzzles visuels et narratifs destinés à perdre le point de vue des acteurs et des spectateurs. Soulignant son intérêt à impulser dans une autre direction que le suspense pur, la mise en scène passe aussi par un certain comique de répétition. Chaque meurtre est signifié dès le lendemain matin par le majordome retirant les couverts du petit déjeuner du membre de la famille qui aura disparu la veille. Mais c'est aussi un œilleton secret dissimulé dans un tableau… à la place du téton droit d'une jeune femme nue!
Le final est lui aussi à l'avenant : la lecture du testament verra récompenser quelqu'un de totalement inattendu. D'ailleurs, les chaises de tous les personnages assassinés se dresseront au moment où l'avocat s'arrête afin de prononcer le nom du bénéficiaire ! Le scénario aura ainsi ménagé ses surprises jusqu'à la dernière image.
Les autres maîtres mots sont "flou" et "instabilité". Flou car plusieurs plans en souffrent (80mn02, par exemple) et c'est sans compter les multiples griffures (33mn28, au hasard !) inhérentes probablement à l'ancienneté de la copie. Mais on ne peut pas dire que le travail de restauration soit franchement accompli. D'autre part, la luminosité demeure trop importante et vire, comme dans ZIMMER 13, à la surexposition de certains plans. Pire encore, cette luminosité est instable car le film entier se voit couvert pas instants d'un voile blanc ! Voir ainsi les plans 33mn40 et 35mn53 mais ce voile reste visible jusqu'au générique de fin. Pour calmer cette tempête de mauvaises nouvelles, le film fut tourné en Ultrascope 2.35:1 noir et blanc et bénéficie d'un transfert 16/9.
Deux pistes sonores en mono complètent ce DVD : l'une allemande (2.0) et l'autre anglaise (2.0 aussi), dotées de sous-titres dans leur langue respective. On remarque un souffle important et permanent sur la piste allemande d'origine mais celle-ci apporte également tous les bruitages du mixage originel. Ainsi au plan 17m20 et suivants : le vent qui souffle, les bruits dans le salon… tout le fond sonore disparaît dans le doublage anglais. Certes il y a moins de souffle sur la piste sonore anglaise mais tout l'environnement sonore est manquant!
DAS INDISCHE TUCH est également disponible dans le quatrième coffret EDGAR WALLACE (en compagnie de ZIMMER 13, DER HEXER, DER SCHWARZE ABT). Hormis ces disques, le coffret offre un livret de 24 pages sur les quatre films : photos et affichettes d'époques, textes originaux… le tout hélas seulement en allemand. Y est ajouté les plannings de travail originaux de DER HEXER et DER SCHWARZE ABT.
Côté Bonus, Universum a choisi le minimum syndical . Les mêmes bandes annonces de leurs produits que sur ZIMMER 13. Mais rien de spécifique sur DAS INDISCHE TUCH.
Au final, si le film est une réussite avec peu de moyens mis en œuvre, il reste dommageable qu'une aussi piètre copie soit mise en circulation. Et affublée de si peu de bonus... mais la présence de sous-titres anglais (et d'une version anglaise pour les réticents à la langue de Goethe) éclipse un minimum cette déception. Il ne faut pas bouder son plaisir de découvrir une petite perle d'humour noir.