Lorsque sont évoqués, dans une conversation, la science-fiction et George Lucas, c'est le plus souvent à propos de la saga amorcée par LA GUERRE DES ETOILES. Pourtant, auparavant, Lucas signe à deux occasions des œuvres relevant de l'anticipation : le court métrage THX 1138:4EB et THX 1138, sa déclinaison en format long.
George Lucas naît et grandit dans la petite ville californienne de Modesto, où il vit une enfance tranquille et une adolescence plus turbulente. Alors qu'il se passionne pour le sport automobile et compte se spécialiser dans ce domaine, un accident de voiture, auquel il survit miraculeusement, l'encourage à réfléchir sérieusement à son avenir. Il intègre alors le College de sa ville et y étudie les Arts durant deux années, avant de parvenir à rentrer dans l'University of Southern California, au sein de la section cinéma. Il s'y fait remarquer comme un des élèves les plus talentueux, notamment grâce à THX 1138:4EB, une oeuvre de science-fiction assez énigmatique, particulièrement appréciée par les étudiants de sa génération.
La réputation du jeune homme lui vaut d'être invité, en compagnie d'un autre étudiant de son université et de deux élèves de l'école rivale, l'UCLA, à assister au tournage de L'OR DE MACKENNA, un western produit par Columbia et dirigé par Jack Lee Thompson. Au même moment, Lucas gagne un concours lancé par la Warner, permettant à un étudiant d'observer, durant six mois, le travail au sein du vénérable studio hollywoodien. Passionné d'animation et de cinéma expérimental, Lucas pense pouvoir intégrer le département "Cartoon" du studio et travailler auprès de Chuck Jones qu'il admire. Mais, suite à la crise économique traversée par le cinéma américain dans les années 1960, cette unité de production n'existe plus. Autre conséquence des difficultés rencontrées par Hollywood après l'introduction de la télévision dans les foyers américains, aucune réelle vague d'embauche n'a eu lieu au sein des grands studios, lesquels préférèrent multiplier les tournages à l'étranger pour les gros projets (notamment en Grande-Bretagne, en Italie ou en Espagne) où la main d'œuvre se montrait moins coûteuse.
Chez Warner, Lucas s'ennuie donc et contemple d'un œil morne le fonctionnement d'un studio qu'il considère comme hors du coup. Heureusement, il y rencontre un jeune metteur en scène issu de l'UCLA : Francis Ford Coppola, qui dirige alors LA VALLEE DU BONHEUR, une comédie musicale fantastique interprétée par Fred Astaire et Petula Clark ! Les deux hommes se lient d'amitié et, pour son projet suivant, LES GENS DE LA PLUIE, Coppola charge Lucas de tourner un "making of" nommé FILMMAKER, lequel enregistre une expérience de travail bien éloignée des méthodes des Majors. Puis, Coppola décide de monter son propre studio de production indépendant : American Zoetrope. Activement aidé par George Lucas et de jeunes talents de leur génération, il s'installe dans la ville de San Francisco, capitale du mouvement hippie, afin d'aborder d'une nouvelle manière le cinéma. Il veut favoriser la liberté des artistes tout en s'inspirant des idées de la Nouvelle Vague française et du succès totalement inattendu de EASY RIDER. Ayant déjà travaillé pour Warner, Coppola parvient à leur soutirer de l'argent pour préparer ses premiers projets, parmi lesquels THX 1138 que le studio s'engage à distribuer. Mais si ses dirigeants ne jugent pas le produit satisfaisant, Coppola devra leur rendre l'argent prêté !
THX 1138, donc, est un film d'anticipation dirigé par George Lucas, qui l'écrit aussi avec l'aide de Walter Murch. Tourné en Californie, essentiellement à San Francisco et dans sa région, le film se fait pour le chiffre symbolique, choisi par Coppola, de 777.777, 77 dollars, une somme modeste si on la compare aux budgets de LA PLANETE DES SINGES (aux alentours de 6 millions) ou de 2001, L'ODYSSEE DE L'ESPACE (environ 10 millions), deux grosses production du même genre produites un peu avant. Pour économiser sur les décors et les accessoires, Lucas choisit de tourner certains passages dans des sites à l'allure vaguement futuristes et emploie des accessoires issus de la vie courante. Dans le même sens, il opte, en ce qui concerne la prise de vue, pour une version économique du format scope, le Techniscope, procédé n'impliquant pas d'anamorphose et permettant une moindre consommation de pellicule. Particulièrement apprécié en Italie au cours des années 60 et 70, le Techniscope est même indissociable du genre "Western Spaghetti" (KEOMA, COLORADO, LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND, COMPANEROS, parmi de nombreux autres titres, l'utilisèrent).
Pour le rôle titre, Lucas sélectionne Robert Duvall, qui apparaissait dans LES GENS DE LA PLUIE. Puis, il sélectionne, pour être sa compagne LUH 3417, Maggie McOmie, actrice qui n'avait pas encore tourné pour le cinéma et qui n'y reviendra plus après. Surtout, il parvient à obtenir la collaboration de l'excellent comédien britannique Donald Pleasance, dont il admire particulièrement la performance dans le CUL DE SAC de Roman Polanski. Enfin, pour la musique, il obtient la participation de Lalo Schifrin, déjà réputé pour son travail sur la série MISSION IMPOSSIBLE ou sur le film BULLIT.
Au XXVème siècle, l'ouvrier THX 1138 vit dans une cité souterraine. Il travaille à la fabrication de robots. LUH 3417, avec laquelle il vit, modifie en cachette les médicaments qu'il doit absorber quotidiennement, provoquant en lui des troubles qu'il ne s'explique pas. Ils finissent par faire l'amour, crime gravement puni dans cette société où la procréation n'est qu'artificielle. La police repère leur désobéissance et les arrête…
THX 1138 s'ouvre sur quelques images du serial BUCK ROGERS, dirigé en 1939 par Ford Beebe et Saul A. Goodkind pour la Universal. Pourtant, si ce classique du Space Opera inspirera directement LA GUERRE DES ETOILES, il ne sert que comme un contrepoint assez ironique sur la façon dont Lucas approche ici la science-fiction. Dans THX 1138, il n'est point question de voyages interstellaires et de combats spectaculaires, mais bien d'une critique de la société américaine, adressée à celle-ci par un jeune homme en colère. Ses tares y sont dépeintes avec force, jusqu'à aboutir au portrait d'un monde totalement aliénant, d'un système basé sur le seul bon fonctionnement d'un cycle production-consommation poussé jusqu'à l'absurde.
Ainsi, après sa journée de travail, THX se rend dans un magasin pour y acheter des cubes colorés, objets inutiles qu'il détruit aussitôt rentré chez lui ! La consommation se voit donc réduite à un réflexe basique et vide de sens. La bonne marche de cette société, sa stabilité, exige l'annulation des risques et des imprévus, et particulièrement des imprévus liés aux individus. Des médicaments calmants et des programmes holographiques violents et érotiques servent donc à gérer ce facteur humain, tandis que toute vie sentimentale ou sexuelle partagée est formellement interdite. L'apparence physique (les cheveux sont interdits) et l'habillement s'avèrent eux aussi strictement codifiés, toute tentative de se distinguer en tant que personne originale ne pouvant être envisagée. Préférant l'efficacité à la créativité, le confort à l'épanouissement, cette société totalitaire correspond en fait à la vision qu'inspire à Lucas et à sa génération l'Amérique dans laquelle ils ont grandi…
Pourtant, il n'est point besoin d'attendre la fin des années 1960 pour que l'anticipation décrive le futur de l'humanité sur un ton négatif, en craignant notamment un avenir excessivement normalisé. METROPOLIS, parmi d'autres, dépeint ainsi une ville du futur dans laquelle les classes laborieuses sont opprimées, tandis que, sur d'autres points de vue, tout au long des années 1960, l'anticipation américaine tendra, de plus en plus, à critiquer les Etats Unis et son mode de vie (LA CHAIR, LE MONDE ET LE DIABLE s'en prend au racisme, UN CRIME DANS LA TETE s'inquiète des manipulations politiciennes, LA NUIT DES MORTS VIVANTS stigmatise une société dans un état catastrophique…). Surtout, en Grande Bretagne, la série télévisée LE PRISONNIER dénonce, souvent sur le ton de l'absurde, une réalité aliénante qui, tout comme dans THX 1138, relègue les individus au rang de simples numéros.
Parmi ces films contestataires, il est tentant de rapprocher THX 1138 de l'ALPHAVILLE que le Suisse Jean-Luc Godard dirige en France en 1965. Lucas, qui se dit alors passionné par ce réalisateur, va user des moyens semblables pour décrire le futur. Comme nous l'avons déjà vu, plutôt que de recourir à des accessoires fabriqués pour l'occasion, il choisit d'employer des décors contemporains et des objets des années 1960 afin de décrire le futur. De même, les deux films dépeignent des individus en lutte contre une société bannissant l'amour et la créativité.
En ce qui concerne sa structure narrative, THX 1138 se répartit clairement en trois actes biens distincts. La première partie, la plus ancrée dans la science-fiction contestataire, nous décrit minutieusement l'univers totalitaire dans lequel vit THX, en insistant sur le moindre détail de sa vie quotidienne : travail, loisirs, religion, sexualité, justice, police… C'est toute une machine implacable que dépeint, dans ses moindres rouages aliénants, George Lucas, satiriste impitoyable et pessimiste des Etats Unis.
La seconde partie se déroule dans l'étrange prison où cette société jette ses ennemis. Ce lieu indéfini paraît une grande surface blanche, s'étendant à l'infini dans toutes les directions et au milieu de laquelle tournent en rond les prisonniers, lesquels paraissent littéralement perdus au milieu de nulle part. Dans ce décor (ou plutôt : dans cette absence de décor), évoluent des personnages chauves et vêtus de manière minimaliste. L'abstraction est alors reine et THX 1138 paraît s'éloigner de l'anticipation pour s'orienter vers une forme de théâtre expérimental, où l'absurdité mène le jeu et où les captifs, aussi bavards qu'inactifs, se morfondent dans leurs délires et leurs monomanies. Nous sommes alors plus proches de Ionesco ou de Beckett que de l'idée qu'on se fait habituellement de la science-fiction au cinéma. Si l'idée et son exécution ne manquent pas d'intérêt, ce passage, par son ton, semble peut-être trop en rupture avec le reste du métrage. Trop déconnecté de ce qui se déroule avant et après lui, il provoque une rupture de ton nous paraissant préjudiciable.
Enfin le dénouement nous montre la fuite de THX et la chasse à l'homme qui s'ensuit. Dès lors, THX 1138 s'oriente nettement vers l'action et les poursuites. Si ses compagnons d'évasion vont échouer ou, tout simplement, renoncer, THX traverse des zones inconnues dans lesquelles les citoyens ne s'aventurent guère habituellement, comme ces réseaux de tunnels à l'abandon ou, surtout, cette zone peuplée d'êtres hybrides et dangereux. A nouveau, Lucas gère habilement le manque de moyens en créant des rebondissements ingénieux et peu onéreux à mettre en scène (le rechargement énergétique de l'automobile, par exemple).
Peinture acerbe d'une société contemporaine infantilisante et dangereuse, THX 1138 permet aussi à Lucas de dresser le portrait d'un individu qui, en se rebellant contre un système, va conquérir son individualité et sa liberté. Mais cette œuvre expérimentale et engagée laissent dubitatifs les dirigeants de Warner. Peu satisfaits par le film que leur livre Zoetrope, ils exigent le remboursement de l'argent avancé et, malgré les protestations de Lucas et de ses collaborateurs, retirent quatre minutes au métrage avant de le distribuer en salles en 1971 où il fait un bide. Evidemment, THX 1138 ressortira, et cette fois dans sa version intégrale, après le succès de LA GUERRE DES ETOILES. Il va conquérir progressivement ses galons de film important dans le domaine de la science-fiction des années 1970, parvenant à trouver sa place à mi-chemin entre les expérimentations formelles de 2001, L'ODYSSEE DE L'ESPACE et les propos politiques alarmistes de LA PLANETE DES SINGES ou de SOLEIL VERT.
Bien que déjà distribué au temps du Laserdisc dans son montage d'origine, THX 1138 met un certain temps à arriver en DVD. Il faut attendre l'automne 2004 pour le voir sortir dans ce format, aussi bien aux USA qu'en Europe. Une surprise de taille attend pourtant les spectateurs. Comme il a retouché précédemment les épisodes IV, V et VI de LA GUERRE DES ETOILES, à deux reprises (en 1997 et en 2004), Lucas modifie quelques détails dans THX 1138, non seulement en révisant légèrement son montage, mais aussi en retouchant ou en créant certains plans à l'aide de technologies numériques.
Certains décors se voient largement agrandis, quelques trucages sont modifiés (la fabrication des robots) ou ajoutés (les nains qui agressent THX deviennent de curieux hommes singes). Cette approche nouvelle du "Director's Cut" ayant déjà été abondamment discutée un peu partout, nous préférons laisser aux spectateurs la liberté de se faire leur propre opinion sur le sujet. Néanmoins, il est très regrettable que la version "historique" ne soit plus disponible dans le commerce. Signalons, au passage, que les suppléments évitent soigneusement d'évoquer la question de ces modifications…
Le DVD zone 2 testé ici propose THX 1138 dans un boîtier contenant d'une part le film et, sur un autre disque, de nombreux suppléments. Le film lui-même bénéficie d'une copie absolument magnifique, offrant une image parfaitement définie, une propreté magnifique et une gestion de la lumière et des blancs renversante. Le format scope est respecté et mis en valeur par l'option 16/9.
En guise de bande-son, le spectateur dispose de trois pistes Dolby Digital 5.1 en anglais, en français et en italien. Le tout est accompagné de sous-titrage francophones, anglais, etc... Le film étant proposé dans une version qu'il faut considérer comme "nouvelle", il n'est pas pertinent de reprocher à ce disque l'absence d'une piste mono "d'origine". A nouveau, on constate la très haute qualité de la restauration, retranscrivant un son puissant, dynamique, doux et propre, presque trop bon pour être rapporté à des éléments originaux datant des années 1970 !
Sur le premier disque, nous pouvons écouter un nouveau commentaire audio de George Lucas et de Walter Murch (co-scénariste et responsable des effets sonores), qui reviennent sur le film, et plus particulièrement sur son contenu et sa genèse. Mais il n'y a pas de sous-titrage français sur ce bonus, hélas ! Une piste sonore nous permet d'écouter, isolés, les effets sonores et la musique du film. Enfin, une série d'interviews de Walter Murch, totalisant environ 30 minutes, revient sur les différents bruitages qu'il a créés pour THX 1138. Il est possible de les visionner insérées dans le métrage ou bien, ce qui est plus commode, comme un entretien séparé et unique.
Le second disque propose un documentaire passionnant, de plus d'une heure, sur les premières années de la firme Zoetrope, dans lequel interviennent, dans des interviews récentes, les principaux protagonistes de cette aventure artistique (parmi lesquels Coppola et Lucas). Puis, un document d'une demi-heure décrit la création du film lui-même : il est un peu moins intéressant que le précédent, d'autant plus qu'il souffre de quelques redites par rapport au commentaire audio.
Nous trouvons encore quelques suppléments plus anecdotiques, tel le court-métrage THX 1138:4EB de George Lucas ; la bande-annonce originale (dans laquelle on peut retrouver quelques plans avant modification numérique) ; plusieurs bandes annonces récentes pour le nouveau "Director's Cut" ; et une featurette d'époque. Insistant avant tout sur le fait que les acteurs se font raser la tête pour le tournage, elle omet pratiquement de promouvoir le film et son contenu ! En supplément caché, nous trouvons un petit script signé par Matthew Davis, un ami de Lucas, script dont ce dernier s'inspira pour THX 1138:4EB.
Ce DVD propose donc un contenu a priori "parfait" à deux exceptions près. L'absence de sous-titrage sur le commentaire audio d'un titre aussi attendu paraît totalement absurde. Hélas, il s'inscrit dans la politique, incompréhensible et injustifiable, de Warner en la matière. L'absence de la version "historique" de THX 1138 constitue aussi une déception.
PS : Merci à Rodolphe pour le prêt de ce DVD !