La bande des naufrageurs du Capitaine sévit sur les côtes nord de l'Europe. Lors du naufrage d'un bateau, deux jeunes vierges sont échouées sur le rivage et violées par les malfrats. Mais elles reviennent hanter les cauchemars du Capitaine et réveillent le monstre des ruines, qui terrifie les villageois.
1973 a été une année prolifique et fort hétéroclite pour Jean Rollin : il réalise ses premiers films érotiques, pour certains son chef d'œuvre (LA ROSE DE FER) et ce film de pirates, en marge de ses précédentes créations par son aspect plus "grand public" (relatif tout de même !) et sa noirceur tragique.
Jean Rollin choisit d'emblée de présenter LES DÉMONIAQUES, fondé sur un script intitulé Les diablesses, comme un «film expressionniste». Mis en exergue du film ce commentaire, même s'il nécessite d'être éclairé par la suite, permet de considérer ce film en marge des autres réalisations de Jean Rollin. On retrouve pourtant cette inspiration «expressionniste» dans le jeu avec la lumière, l'utilisation symbolique des décors… depuis le début de la filmographie du cinéaste. C'est cependant la seule fois où il se réclame ouvertement de cette filiation. En quoi ce film particulièrement relève-t-il de l'expressionnisme ? Trois pistes d'explication peuvent être envisagées.
Tout d'abord, le jeu prononcé des acteurs (la bande des naufrageurs ou le vampire) renvoie le film dans l'univers du muet, d'autant que l'ouverture, longue de dix-sept minutes, est entièrement sans dialogue (Rollin avait déjà fait plus long, dans REQUIEM POUR UN VAMPIRE, dans lequel près de quarante minutes passent sans aucun dialogue !). Le personnage du vampire, tapi dans son antre, convoque bien sûr la figure fondatrice de Max Schreck, qui jouait le comte Orlock dans NOSFERATU de Murnau. Le fait d'accentuer, voire d'outrer, les types des personnages participe lui aussi de ce premier critère de réponse : Rollin présente la bande des naufrageurs en préambule au film, il dénude de tout artifice les personnages des deux jeunes vierges, stylisés à l'extrême, fait de l'un des gardiens du vampire un clown…
Ensuite, les décors magistraux du vieux château en ruines, les carcasses des bateaux abîmés, répondent aux décors distordus et inquiétants des premiers films expressionnistes. Mais ces deux points de comparaison sont plus ou moins valables pour les précédentes réalisations de Jean Rollin. S'il choisit de relier ce film au mouvement expressionniste, plutôt que ses films précédents, peut-être est-ce dû à la progression de l'intrigue, qui, cette fois, se conclut tragiquement.
Les personnages et les décors acquièrent une dimension tragique, presque mystique, par leur traitement sculptural : la troupe de malfrats s'agite dans un univers permanent, où les événements semblent réglés par une instance immuable divine (ou maléfique, si on l'attribue au vampire) et où les destins sont figés. Cet aspect n'avait été qu'ébauché dans les œuvres précédentes (LE VIOL DU VAMPIRE et LA VAMPIRE NUE). En cela les œuvres de Jean Rollin touchent au blasphème : icônes mise à mal, détruites par la puissance maléfique, ou détournées à son profit, rôle quasi-divin du vampire…
Si l'expressionnisme est voulu et assumé, LES DÉMONIAQUES reste un film empreint de surréalisme, plein de désinvolture et de liberté, dans lequel la poésie de Rollin peut de nouveau s'exprimer. C'est peut-être, si l'on excepte quelques maladresses dans les raccords (auxquelles le cinéaste a habitué son spectateur), le film le plus abordable de la première période de l'auteur : loin des outrances psychédéliques du diptyque REQUIEM POUR UN VAMPIRE et LE FRISSON DES VAMPIRES, le film se détache aussi du grand guignol et de la naïveté de ses tout premiers métrages. Réalisé la même année que le magistral LA ROSE DE FER, qui n'est malheureusement pas encore édité en DVD, LES DÉMONIAQUES n'en a pas l'exigence littéraire et l'ascétisme.
En revanche, le film, malgré sa tonalité tragique, fait preuve d'humour et, par ses références au film d'aventure, contient de nombreuses balises rassurant le spectateur. Une bonne dose d'érotisme en complète l'aspect bon enfant ; Rollin prend plaisir à dénuder les deux vierges vengeresses mais aussi Tina la pillarde (l'un des titres d'exploitation du film en fait d'ailleurs l'héroïne du film : TINA LA NAUFRAGEUSE PERVERSE), jouée par Joëlle Cœur (qui donnera la réplique à Michel Lemoine et Howard Vernon dans LES WEEK-ENDS MALÉFIQUES DU COMTE ZAROFF). Rollin avait déjà utilisé Joëlle Cœur dans JEUNES FILLES IMPUDIQUES aux côtés de Willy Braque. Pour le rôle des vierges, il privilégie deux nouvelles venues : Lieva Lone et Patricia Hermenier. Le double rôle avait un temps était prévu pour les jumelles Castel, habituées des films de Jean Rollin.
Ce disque fait partie de la collection Jean Rollin qui compte une dizaine de titres édités par L.C.J. et distribués en VPC.
Si la sortie de ce titre a tardé, on peut sans problème s'en consoler en constatant que, comme LEVRES DE SANG, LES DÉMONIAQUES bénéficie de l'option 16/9ème, alors que le disque américain proposait le film au format 4/3. Les qualités des deux disques, outre cette différence, sont à peu près équivalentes avec un tout petit peu plus d'image à gauche et à droite sur le disque américain. L'image est vraiment parfaite, au ratio 1.66, et le son ne souffre pas des craquements auxquels les VHS des films de Rollin nous avaient habitués.
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Outre le format, c'est sur les suppléments que la différence se joue : l'édition Redemption disposait de la bande annonce du film ainsi que d'une galerie assez fournie de photos de tournage et d'affiches du film, et le digipack contenait une brève introduction au film par Marc Morris. Les disques de la collection éditée par L.C.J. offrent tous les mêmes bonus et utilisent la même présentation. Les bandes-annonces font un rapide tour du meilleur de Jean Rollin (ou du moins du plus marquant) mais on peut regretter qu'elles soient presque identiques sur tous les disques (elles sont enchaînées en un seul programme heureusement chapitré, ce qui permet l'accès direct à une bande annonce). Même remarque pour l'interview, proposée en ratio 1.77:1 ; elle apporte néanmoins quelques précisions intéressantes sur le travail de Rollin, et sur sa propre perception de son travail.
On redécouvre dans un grand confort au niveau de l'image et du son ce film de Jean Rollin en marge de sa filmographie. Il reste à souhaiter que d'autres volumes soient publiés dans cette collection : la France rattraperait ainsi son retard sur les éditions anglo-américaines de Salvation / Redemption, qui projettent d'éditer très bientôt de nouveaux titres (dont LA ROSE DE FER et PERDUES DANS NEW-YORK).