Durant la dynastie Ming, l'eunuque Tsao Siu-yan procède à un coup d'Etat afin de s'assurer les pleins pouvoirs de «la secte de la chambre de l'Est». Désirant informer l'empereur des pratiques de l'eunuque, le ministre des armées est assassiné par la secte et ses deux enfants capturés. Heureusement, ces derniers sont libérés par un groupe de rebelles. Tous vont tenter de rejoindre L'Auberge du Dragon, un établissement frontalier possédant un passage secret débouchant de l'autre côté du territoire.
L'AUBERGE DU DRAGON est initialement un classique du cinéma chinois daté de 1966 et réalisé par King Hu (L'HIRONDELLE D'OR, RAINING IN THE MOUNTAIN). Ng See-Yuen, vieil ami producteur de Tsui Hark (l'homme a pris en charge ses deux premières réalisations), souffle à son ancien complice l'idée d'un remake. En plein renouveau du film de sabre chinois (avec le succès de SWORDMAN notamment), Hark y voit l'opportunité de prolonger la popularité retrouvée du Wu xia pian. Tourné en 1992 sous l'égide de la Film Workshop, L'AUBERGE DU DRAGON (ou LA NOUVELLE AUBERGE DU DRAGON selon sa traduction originale) est confiée officiellement à Raymond Lee (SWORDMAN 3). En réalité, le metteur en scène sera étroitement assisté par Ching Siu-Tung (qui chorégraphie les combats avec Yuen Tak) et par Tsui Hark lui-même (certaines sources lui conférant la paternité du film fini).
Bien que son récit reste très proche de l'original en situant une grande partie de son action dans le lieu titre, L'AUBERGE DU DRAGON conserve néanmoins la patte de la film Workshop. Mélange des genres, humour de situation omniprésent et combats défiant une nouvelle fois toutes lois physiques, rien ne manque à ce cocktail parfaitement dosé et maîtrisé. Gros changement néanmoins par rapport au film de King Hu, l'aubergiste n'est plus joué par un homme mais par une femme. Maggie Cheung campe ainsi Jade, un personnage de petite vertu, obsédée par l'argent, profitant totalement des qualités frontalières de son établissement pour détrousser les fuyards.
Face au personnage sans scrupule de Maggie Cheung s'oppose Yen, un guerrier émérite qui dirige temporairement le groupe de rebelles et protège les enfants. Fine lame, Yen cache un secret à ses ennemis : c'est une femme. Interprétée comme il se doit par Lin Ching-Hsia alias Brigitte Lin (la comédienne fut longtemps spécialiste de rôles androgynes comme dans ASHES OF TIME, PEKING OPERA BLUES ou SWORDMAN 3), le personnage offre une confrontation intéressante avec celui de Maggie Cheung. Faible devant la chair, Jade va d'abord tomber amoureuse de Yen avant de se rendre compte de la supercherie via un jeu de chat et la souris teinté d'un érotisme pudique. On retiendra à ce titre une séquence où Yen, surprise nue dans sa chambre par Jade, récupère les vêtements de la tenancière via des mouvements gracieux et martiaux. C'est Jade qui s'enfuira du coup dans le plus simple appareil, et ce devant de nouveaux arrivants éberlués.
Passée une introduction épique dans le désert, L'AUBERGE DU DRAGON limite sa narration dans le lieu unique de l'auberge. Les enjeux ne se limiteront pas pour autant au bon vouloir de Jade qui acceptera ou non de laisser passer les rebelles. En effet, le film fait intervenir de nombreux personnages pour complexifier petit à petit son récit. L'antagonisme érotique entre Jade et Yen prend ainsi une autre tournure avec l'arrivé de Chow (Tony Leung Ka-Fai, celui de L'AMANT et non d'IN THE MOOD FOR LOVE). Véritable chef des rebelles, Chow est aussi l'amant secret de Yen. Bien entendu, Jade jette son dévolue sur le beau guerrier, jusqu'à exiger ses charmes en échange du passage vers la terre promise. Un dilemme impossible pour un triangle amoureux plein de rebondissements.
Les hommes de main de l'eunuque investiront à leur tour l'auberge, pour cohabiter incognito avec leur opposant et espérer ainsi les occire sans attirer l'attention de la police frontalière. Apparence hypocrite et coups en douce seront les maîtres mots, recréant les ressorts quasi vaudevillesques que Hark avait développé pour notamment PEKING OPERA BLUES. Un style typiquement cantonnais, à mi-chemin entre le film à suspens et le comique de situation, qui met une nouvelle fois le double jeu en vedette. Un thème central dans tout le cinéma de Hong Kong (voir le nombre d'histoires de flics infiltrés et vice versa) qui se fait l'écho de la désorientation liée à la bi-culturalité des locaux à quelques années de la rétrocession.
L'action est en retrait dans L'AUBERGE DU DRAGON, qui préfère concentrer ses efforts sur ses personnages. Mais lorsque le film décide de s'emballer, le spectateur se retrouve devant des scènes de joutes au sabre proprement stupéfiantes. Le final principalement nous embarque dans une kinétique impossible et pourtant parfaitement lisible. La performance physique des comédiens (surtout Lin Ching-Hsia et Donnie Yen dans le rôle de l'eunuque) se confond totalement dans l'esthétisme du cadre pour aboutir à un dynamisme filmique bien au-dessus de la moyenne pourtant exigeante des productions de Hong Kong.
L'AUBERGE DU DRAGON est donc un excellent film, certes parfois déroutant dans son choix de répartir l'action au début et surtout à la fin du métrage afin de mieux dégager sa narration de toute contrainte. On appréciera le soin visuel apporté au film (on ne passe pas après King Hu sans faire un peu d'effort), ainsi que la longue galerie de personnages secondaires tous joués par des comédiens de talent : Hung Yan-yan (l'homme tatoué de THE BLADE), Yee Kwan-yan (Némésis dans HEROIC TRIO et IL ETAIT UNE FOIS EN CHINE), Lawrence Ng (connu surtout pour les canailloux SEX AND ZEN et CHINESE TORTURE CHAMBER), ou encore Elvis Tsui (interprète culte de la non moins scène culte d'amour aérien toujours dans CHINESE TORTURE CHAMBER).
Loin d'être un spectacle bon enfant malgré son humour gentiment outré, L'AUBERGE DU DRAGON s'offre quelques dérapages adultes bienvenus bien qu'assez étonnants. Outre l'érotisme suscité (qui fait penser parfois à GREEN SNAKE, la volupté en moins), Hark s'offre une réminiscence d'HISTOIRES DE CANNIBALES en introduisant un personnage de cuisinier / boucher ne travaillant que sur de la viande «humaine». Parfait avatar de Category 3, le personnage (qui ne s'exprime qu'en onomatopées grognées) se retrouve au cœur de scènes bien craspecs bien que peu insistantes. Ultime embardée, alors que le final semble s'orienter vers l'action la plus fantaisiste, le film fait un dernier soubresaut vers un ton très noir et pessimiste. Encore une réminiscence liée à l'angoisse de la rétrocession imminente, où le cinéma du moment s'en faisait le canaliseur privilégié.
L'AUBERGE DU DRAGON est le deuxième disque du coffret Maggie Cheung, bien que cette dernière n'en soit vraiment la vedette. Qu'importe, il nous tardait de redécouvrir ce film au travers du soin que porte l'éditeur HK à ses disques. Comme d'habitude, le résultat est optimal tant et si bien qu'il faut admettre une certaine tolérance devant un film chinois daté d'une dizaine d'années. L'image est impeccable et le son en mono d'origine efficace.
Les bonus sont très limités, comme à l'habitude de l'éditeur pour les doubles sorties, et la sempiternelle présentation du film a malheureusement disparue. Pour s'en rattraper, le coffret propose un très beau livret bourré d'informations à l'intérieur de son magnifique coffret, peut-être l'un des plus beaux que nous ayons vu jusqu'alors.
Action folle, triangle amoureux, vaudeville comique, héroïsme désespéré, le tout saupoudré de gore et d'un léger érotisme, L'AUBERGE DU DRAGON est un joyeux melting pot. Sa maîtrise et son exigence évitent pourtant le piège du film fourre-tout pour s'affirmer comme l'une des nombreuses réussites du cinéma de Hong Kong de l'avant rétrocession. Doublé avec le gracile GREEN SNAKE dans un coffret à la beauté graphique inégalée, la recommandation est immédiate.