Critique du film
et du DVD Zone 2
ENQUETE SUR LE MONDE INVISIBLE
2002
En Islande, il est de tradition de croire aux Elfes et autres gens invisibles. Ils font partie de l'existence quotidienne et participent parfois de la vie communale. De là à invoquer extra-terrestres, puissances occultes et monstres sous-marins, il n'y a qu'un pas que franchissent allègrement quelques islandais.
L'Étrange Collection, émanation sur disque de l'Étrange Festival parisien, s'est spécialisée dans l'édition de films programmés lors de ses séances, donc rares et étranges. Après leur deux premiers disques (JACK, LE TUEUR DE GÉANTS et EUREKA), ils éditent donc ENQUÊTE SUR LE MONDE INVISIBLE, du réalisateur français Jean Michel Roux (LES MILLE MERVEILLES DE L'UNIVERS), qui cadre complètement avec l'orientation éditoriale.
A la limite du prosélytisme, ce "documentaire" étrange donne la parole, sans commentaire, à des personnes diverses ayant vécu des expériences avec ce qu'ils appellent des «gens invisibles». Parler de ce film sur Devil Dead, c'est d'une part mettre en doute les propos des personnes interviewées, mais aussi c'est biaiser le postulat de départ que ce film est un documentaire. L'essence documentaire est sous-tendue par une part de vérité, par une approche naturaliste et nécessite un pacte entre le réalisateur et son public ; ici le pacte est rompu dans le sens où nous considérons que ce film peut être un tant soit peu fantastique.
Le film fonctionne plutôt comme une enquête au sens antique, un regard ethnologique porté sur des pratiques communautaires, regard émerveillé, ouvert, mais peu enclin au questionnement scientifique rigoureux.
Les témoignages sont livrés tels quels, apparemment nus mais redoublés parfois d'une reconstitution. Les personnes interrogées semblent protégées par la caméra, rassurées, filmées pour la plupart de manière frontale, en gros plan, ce qui fait qu'aucune place n'est laissée à l'interviewer, donc aucune question n'est posée, aucune contradiction. Le propos est à prendre ou à laisser. C'est là une des lacunes du film, qu'il ne peut rien montrer d'autre que ces gens ; il faut donc qu'il remplisse l'image de peur que le doute ne s'installe. L'abus de très gros plans sur les visages révèle de façon criarde qu'il n'y a rien à montrer que la sincérité de ces gens, rien à voir, ce qui pour une œuvre cinématographique relève du défi.
Belle gageure que tenter de filmer l'in-montrable ! «J'étais sceptique, mais leur sincérité m'a troublé. Je suis resté hanté pendant des années par les propos de ces Islandais.», affirme Jean Michel Roux dans une interview reprise dans les bonus du DVD. La question la plus dérangeante posée par le film est celle du crédit qu'il accorde aux témoignages qu'il filme et non pas la véracité ou non des propos tenus. On peut concéder que certains témoignages questionnent, mais ce doute est rapidement contré par la profusion des élucubrations (le chercheur en cosmologie fractale, qui justifie l'existence de nombreux gens invisibles aux limites des plaques tectoniques et qui lâche un sourire entendu à la fin de son raisonnement…) et le manque de profondeur : le réalisateur survole, de façon éthérée, le problème, pose un regard à peine condescendant, pas du tout inquisiteur.
L'autre argument à charge tendant à douter de l'apparente objectivité de Jean Michel Roux est l'utilisation régulière d'une symbolique ésotérique, mêlée à une esthétique de vidéo clip.
Cet effort esthétique, parfois forcé, est l'une des qualités du métrage de Jean Michel Roux : les témoignages sont entrecoupés de séquences contemplatives, (méditatives ?) qui permettent de parcourir les paysages de ce pays de glace et invitent au voyage. Certains plans d'une beauté chatoyante trouvent leur écho dans la bande son d'inspiration new age.
Autre valeur du film, qui peut permettre une accroche, c'est la question de ce que l'on peut voir ; elle est très souvent résolue, on l'a évoqué plus haut, par l'emploi abusif de très gros plans sur les visages, mais qui se transforment parfois par des très gros plans sur le regard. «Qu'ont vu ces yeux ?» semble demander Jean Michel Roux, ce à quoi répond un témoignage dans le film en disant qu'on ne peut voir, et croire, aux gens invisible que si l'on "recule son regard", qu'on focalise à l'intérieur de soi, ce que ne peut pas faire bien sûr le réalisateur. En revanche, l'institutrice myope sur laquelle s'arrête un moment le documentaire a des prédispositions pour effectuer ce changement de focale !
Jean Michel Roux admet encore son incapacité à montrer son sujet, quand ses témoins pointent du doigt le hors champ ; il ne peut alors que revenir sur la personne qu'il filme, en gros plan, de préférence, niant les visions et les croyances qu'il ne peut mettre en image. Cette impuissance à filmer la foi est l'aveu le plus intéressant du film.
Là ou Jean Michel Roux est plus convaincant, c'est dans les promesses d'une fiction fantastique à venir (qu'il projetait avant de se lancer sur son documentaire) : il a prouvé avec ENQUÊTE SUR LE MONDE INVISIBLE qu'il savait être créateur d'image et d'ambiance.
Produit par Noé production (NO MAN'S LAND, DOBERMANN) Le film est le développement direct d'un autre documentaire de Jean Michel Roux diffusé dans le cadre de l'émission de la chaîne Canal + L'œil du cyclone. Cette émission télévisée, ELFLAND, est la genèse du long métrage, elle possède le même système d'interview, le même rythme, et parfois les mêmes témoignages. L'éditeur a eu l'heureuse initiative de proposer ELFLAND en complément sur le DVD, ce qui permet de comparer les deux œuvres et d'appréhender l'évolution du point de vue du réalisateur. D'un recul amusé parfois dans ELFLAND et d'une concision plus dynamique, Jean Michel Roux tombe dans ENQUÊTE SUR LE MONDE INVISIBLE dans une contemplation sans distance.
La partie bonus du DVD est riche de nombreuses sections, moins intéressante cependant que le court métrage évoqué plus haut. La traditionnelle bande annonce est doublée en deux formats sonores (Dolby Digital 5.1 ou 2.0). Le réalisateur a droit à une biographie et une filmographie détaillées, et quelques photos évoquent la genèse du film. Le dernier supplément illustre encore le manque de recul de Jean Michel Roux par rapport à son sujet : il joint au film deux photos prises par un spectateur qui reproduiraient des apparitions de gens invisibles.
Outre ces nombreux bonus, l'édition proposée par Ciné Malta est surprenante de qualité. L'image (au format 2.35, avec option 16/9ème) est particulièrement propre et rend parfaitement le grain et les couleurs chatoyantes du film. De même, les pistes-son sont au dessus de tout soupçon. Tourné en islandais, le film est disponible dans cette langue (sous-titré pour l'occasion en français, et en anglais — ainsi que tous les bonus) ou avec les interviews traduites en français.
Les menus sont accessibles en français mais aussi en anglais.
C'est donc une édition haut de gamme de ce film documentaire de Jean Michel Roux que Ciné Malta met sur le marché. Il permet de découvrir l'univers fort singulier de ce réalisateur, d'accorder une oreille amusée à certains propos ; il peut cependant ravir les curieux d'ésotérisme, de soucoupes volantes et autres apparitions.
