Après le triomphe de PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK, l'Australie génère, durant une décennie, une vague de films fantastiques. Un des hommes-clés de ce mouvement est le producteur Antony I. Ginnane, auquel on doit PATRICK, SOIF DE SANG (titre vidéo), LES TRAQUES DE L'AN 2000 et LE SURVIVANT D'UN MONDE PARALLÈLE. Il est aussi à l'origine de SNAPSHOT, le premier film destiné au cinéma réalisé par Simon Wincer, alors avant tout habitué à la télévision. Après ce thriller, Ginnane produit à nouveau un titre réalisé par Wincer : HARLEQUIN, dont le script est co-signé par Everett De Roche, un scénariste emblématique de cette période (PATRICK, LONG WEE-KEND, SNAPSHOT...). Au générique, on trouve des comédiens qui ont aussi participé à d'autres oeuvres de ce "mouvement", comme Robert Powell (LE SURVIVANT D'UN MONDE PARALLÈLE...), David Hemmings (SOIF DE SANG...) ou Carmen Duncan (LES TRAQUES DE L'AN 2000...).
Nick Rast, un sénateur australien, favorise tant sa carrière politique qu'il en vient à négliger son épouse Sandra, qu'il trompe avec une de ses collaboratrices, et son fils Alex, très gravement atteint par une leucémie. Un étrange personnage, qui se fait appeler Gregory Wolfe, fait un jour son apparition au sein de sa famille et semble chasser, en quelques gestes, la maladie incurable dont souffre le petit garçon. Wolfe devient proche de Sandra et Alex, alors que Nick, trop préoccupé par les remous politiques du pays, s'en éloigne toujours plus...
Dans HARLEQUIN, le personnage du guérisseur Gregory Wolfe est très largement inspiré par le moine Raspoutine, personnage influent de la fin de l'Empire Russe, devenu un proche de la tsarine Alexandra après avoir, soi-disant, miraculeusement guéri son fils hémophile. De nombreux rapprochements peuvent donc être faits entre Wolfe et Raspoutine : tous deux s'appellent Gregory ; ils sont supposés être doués de pouvoirs surnaturels ; mais on les soupçonne aussi d'être des charlatans ; ce sont des séducteurs impénitents...
Il n'est pas le seul à pouvoir être rapproché de la Russie du début du siècle. Nick Rast (dont le nom de famille est un anagramme de Tsar) est un faible, un personnage indécis, à la merci des pressions exercées sur lui par sa famille ou ses collaborateurs. Homme de paille fade et irréfléchi, il est constamment ballotté par les forces souterraines qui gouvernent réellement le pays. Tout cela évoque le personnage de Nicolas II, mari d'Alexandra et dernier Tsar de la Russie.
HARLEQUIN mélange le fantastique et le thriller politique, et propose une fable au ton complexe et original. Ce ton original, c'est en grande partie au personnage de Wolfe qu'on le doit. Si Raspoutine, moine crasseux, lubrique et illuminé, dépareillait sans doute à la cour impériale, Wolfe adopte lui aussi une attitude excentrique. Constamment vêtu de tenues bariolées, ses apparitions en public évoquent des représentations de cirque, spectacles au cours desquels il se met en scène avec extravagance. Mais, sous des apparences bouffonnes, il est aussi dangereux, manipulateur et intelligent.
Tout cela est mis en évidence dans les scènes les plus fortes du métrage, comme l'arrivée de Gregory en plein dans une soirée donnée à la villa des Rast, à laquelle tout le monde est venu pour rencontrer le fameux "magicien". La facette surnaturelle du mystérieux Wolfe ne sera, d'ailleurs, jamais vraiment explicitée. Ses dons relèvent-ils du domaine du surnaturel ? Ou bien Gregory n'est-il qu'un très habile manipulateur ?
HARLEQUIN, au-delà de son originalité et de son ambition, souffre certes de petits défauts. La réalisation paraît parfois fonctionnelle, manquant de personnalité et de style. Certains plans truqués, pas forcément indispensables à l'intrigue, sont perfectibles. Il y aussi un soupçon de gratuité un peu gênant, par exemple avec le "supplice" du shampooing, qui semble plus une concession aux amateurs d'épouvante "choc" qu'un élément dramatique nécessaire au déroulement du récit.
Mettant en scène un pantin indécis et un clown machiavélique, HARLEQUIN est un titre singulier, un film fantastique intelligent, dont le ton reste, encore aujourd'hui, trouble et séduisant. Au Xème Festival du Film Fantastique de Paris, il fait main basse sur le Prix du jury et le Prix de la Critique, tandis que Robert Powell y gagne un prix d'interprétation bien mérité, pour son interprétation de Gregory Wolfe.
Pourtant, depuis, les éditeurs ont un peu oublié HARLEQUIN. En DVD, on ne l'a vu qu'en Grande-Bretagne, dans une édition semble-t-il recadrée. Il arrive en France en tant que supplément du numéro de mai 2004 du magazine "Mad Movies".
Il est présenté dans son format scope d'origine (2.35 et 16/9) dans un télécinéma d'une qualité étonnante au vu du contexte "économique" de sa sortie. Une fois passé le générique un peu terne, l'image est propre, détaillée, et offre des contrastes, des couleurs et des lumières de toute beauté. On peut noter quelques légères et ponctuelles traces de compression pour chipoter, mais cela n'enlève rien à la qualité visuelle agréablement surprenante de ce DVD.
La bande-son est disponible, en mono d'origine, ou bien en anglais, ou bien en français. La piste originale est agréable, claire et dynamique, même si l'on repère un léger bourdonnement, pas bien gênant néanmoins. La piste française est aussi convenable et offre un doublage de bonne qualité. Enfin, le sous-titrage français est optionnel.
En guise de bonus, on trouve une bande-annonce anglophone (en format scope respecté), ainsi que des bio-filmographies de Wincer, Everett De Roche, David Hemmings et Robert Powell. C'est déjà bien au vu du prix de ce disque.
Bref, cette édition à petit prix est une véritable aubaine à moins de se tourner vers l'édition parue chez Elite qui propose une interactivité plus complète mais dénuée de sous-titrage français. Après PATRICK, LE SURVIVANT D'UN MONDE PARALLÈLE et SOIF DE SANG, les DVD "Mad Movies" permettent en tout cas de réunir une belle collection sur la grande époque du fantastique australien, collection tout à fait complémentaire du coffret "Peter Weir" récemment publié chez Opening (LES VOITURES QUI ONT MANGE PARIS, PIQUE-NIQUE A HANGING ROCK, LE PLOMBIER et LA DERNIERE VAGUE).