Critique du film
et du DVD Zone 2
SINBAD : LA LEGENDE DES SEPT MERS
2003
Lorsque Dreamworks, studio hollywoodien jeune et ambitieux, s'est attaqué au domaine de l'animation, il l'a fait avec la volonté de devenir calife à la place du calife, c'est-à-dire de détrôner Disney sur le terrain qu'il domine sans partage depuis les années 1930. Ils proposent d'abord, en 1998, FOURMIZ, animé en images de synthèse et destiné à concurrencer 1001 PATTES du studio Pixar. Mais, dans cet affrontement, c'est tout de même le film distribué par Disney qui conquiert vraiment le public américain. Avec LE PRINCE D'ÉGYPTE, inspiré par l'épisode biblique de l'Exode, Dreamworks attaque carrément le créneau du grand dessin animé traditionnel familial. Les résultats sont à nouveau mitigés par rapport aux ambitions. Le studio persévère néanmoins, en cultivant un ton plus irrespectueux et (légèrement) plus adulte que la firme de Mickey : mais, en animation classique, LA ROUTE D'ELDORADO, puis SPIRIT, L'ÉTALON DES PLAINES ne séduisent pas réellement. Par contre, SHREK, parodie relativement hargneuse de contes de fée, réalisée en images numériques, est le premier grand triomphe de Dreamworks en matière d'animation.
Toujours dans ce domaine, son projet suivant est une transposition des aventures d'un célèbre personnage des Mille et Une Nuits : SINBAD, LA LÉGENDE DES SEPT MERS. Renouant ainsi avec le grand cinéma d'aventures hollywoodiens, Dreamworks paraît, à nouveau, marcher sur les traces de Disney, qui avait, lui aussi, convoqué quelques classiques du genre dans ses dernières productions majeures : TARZAN, ATLANTIDE L'EMPIRE PERDU (très influencé par Jules Verne), puis LA PLANÈTE AU TRÉSOR (inspiré par "L'île au trésor" de Stevenson). Si le premier de ces trois titres avait bien marché, les deux suivants ont, par contre, été de cuisants échecs.
Dreamworks présente délibérément SINBAD, LA LÉGENDE DES SEPT MERS comme un mélange d'animation traditionnelle dessinée et d'images générées par ordinateur. Cela n'a rien d'une nouveauté, Disney employant cette méthode (avec parcimonie) depuis OLIVER ET COMPAGNIE de 1988. Dans les films à effets spéciaux sur lesquels travailla Ray Harryhausen (LE SEPTIÈME VOYAGE DE SINBAD), prises de vues réelles et animations image par image se mêlaient. SINBAD, LA LÉGENDE DES SEPT MERS fait un choix semblable en proposant des créatures (en 3D) conçues selon une autre technique que celle employée pour les personnages classiques (2D). Les deux réalisateurs sélectionnés ont un background "numérique" : Tim Johnson a co-dirigé FOURMIZ, tandis que Patrick Gilmore vient de l'univers des jeux vidéos. Pour les voix des personnages, Dreamworks débauche trois vedettes du cinéma : Brad Pitt est Sinbad, tandis que Catherine Zeta-Jones et Michelle Pfeiffer doublent respectivement Marina et la déesse Eris.
Sinbad le marin et son équipage de voleurs se rendent à Syracuse, afin d'y subtiliser un objet de grande valeur : le Livre de la Paix, qui garantit la prospérité des douze grandes cités. Ce livre est placé sous la garde du roi de Syracuse, dont le fils, Proteus, est un ami d'enfance de Sinbad. Au cours de la nuit, l'ouvrage magique est bien subtilisé, mais par Eris, la déesse de la discorde, qui cherche constamment à semer le chaos parmi les hommes. Sinbad est accusé à tort. Il se défend en affirmant que la divinité malfaisante est responsable de ce forfait. Personne ne le croit, sauf le loyal Proteus, qui accepte d'être fait prisonnier à la place de son ami marin, à condition que celui-ci se rende au Tartare, où règne Eris, et récupère le livre. Si cette quête échoue, le jeune prince aura la tête tranchée... Sinbad reprend la mer à bord de son navire, mais il n'a aucune intention d'accomplir la mission dont on l'a chargé. Un passager clandestin va le faire changer d'avis : Marina, la fiancée de Proteus.
Le personnage de Sinbad le marin est, comme chacun sait, issu des Contes des Mille et Une Nuits. Par conséquent, ses aventures, lorsqu'elles ont été transposées au cinéma, l'ont toujours été dans un cadre oriental, du style "génies, califes et tapis volants". Pourtant, SINBAD, LA LÉGENDE DES SEPT MERS fait un choix totalement inverse et évite presque complètement toute référence à un univers arabisant. Dès le début, le spectateur découvre, éberlué, que son héros affronte Eris (déesse de la discorde issue de la mythologie gréco-romaine), une divinité semblant s'inscrire dans un panthéon polythéiste parfaitement incompatible avec la religion islamique. Plus loin, on apprend encore que Sinbad, héros arabe par excellence, est supposé venir de Syracuse (en Sicile) !
Visuellement, SINBAD, LA LÉGENDE DES SEPT MERS ne semble pas savoir non plus sur quel pied danser. Mêlant quelques éléments authentiquement islamiques (architecture de Samarkand ou des Moghols, par exemple) à d'autres styles médiévaux ou antiques plus européens, la cité de Syracuse paraît avoir été inventée de toutes pièces, sans avoir abouti à un résultat cohérent. L'univers dans lequel évolue Sinbad perd ainsi beaucoup de sa force dépaysante, tout comme il risque de décevoir le spectateur, en droit de se plaindre d'une tromperie sur la marchandise.
En refusant d'inscrire les aventures de leur héros dans un contexte historique ou légendaire précis, ses créateurs empêchent de les relier à un environnement archéologique solide ou à un imaginaire populaire évocateur. Semblant se dérouler quelque part entre le moyen-âge et la Renaissance occidentale (mais dans un contexte religieux bien différent de celui d'alors), ce monde composite, très peu décrit, paraît squelettique et manque singulièrement d'ampleur : on n'y voit qu'une seule déesse, qu'une seule cité, le rôle du Livre de la Paix reste flou...
Ce qui fonctionne le mieux dans ce SINBAD, LA LÉGENDE DES SEPT MERS, c'est sans doute la construction de ses personnages. Loin d'être unidimensionnels, Sinbad et Marina vont, chacun de leur côté, évoluer tout au long du film, assurant une progression dramatique plus intéressante, en fait, que les séquences d'aventures, globalement trop prévisibles.
Par rapport aux produits Disney, les films animés de Dreamworks ont toujours voulu se distinguer en jouant la carte d'une certaine insolence et, surtout, en tentant d'éviter un manichéisme simpliste. Ainsi, Sinbad n'est plus le valeureux marin décrit dans des oeuvres comme LE SEPTIÈME VOYAGE DE SINBAD, ni même le sympathique affabulateur de SINBAD LE MARIN. Dans SINBAD, LA LÉGENDE DES SEPT MERS, il est présenté d'emblée comme un voleur, un vaurien, un homme sans parole qui fuit ses responsabilités et son destin. Toutefois, au cours de ses aventures, il va apprendre, notamment au contact de Marina, à se comporter plus dignement et plus loyalement. Dès lors, on est tenté de le rapprocher du VOLEUR DE BAGDAD, version Fairbanks, dans lequel le héros du titre commence tel un voyou, mais va se racheter en accomplissant des exploits extraordinaires, par amour pour la fille du Calife.
Si les auteurs de SINBAD, LA LÉGENDE DES SEPT MERS ont certainement jeté un coup d'œil aux productions orientalisantes de Ray Harryhausen - Charles S. Shneer (LE SEPTIÈME VOYAGE DE SINBAD, LE VOYAGE FANTASTIQUE DE SINBAD et SINBAD ET L'OEIL DU TIGRE), ils ont sans doute aussi consulté leurs oeuvres mythologiques, à savoir JASON ET LES ARGONAUTES et LE CHOC DES TITANS. Ainsi, la présence d'une déesse antique contemplant de son Olympe (?) les faits et gestes des humains, en les manipulant afin qu'ils servent ses intérêts, renvoie franchement à ces deux films. De même, la manière dont le héros va déjouer ses plans en se montrant plus fort qu'elle ne l'anticipait, propose la même thématique que JASON ET LES ARGONAUTES et, plus généralement, que "L'Odyssée" de Homère.
Au-delà de ces considérations, SINBAD, LA LÉGENDE DES SEPT MERS s'avère un film d'aventures au rythme assez étourdissant, qui ne laisse jamais vraiment le temps de s'ennuyer. D'une durée extrêmement ramassée (75 minutes sans le générique de fin), il adopte le tempo haletant d'une course-poursuite, alternant scènes de comédie agitées et séquences d'action survitanimées. Mêlant 2D et 3D de façon globalement convenable, ces dernières sont parfois de vrais tours de force (l'oiseau-roc, par exemple). Mais elles ont aussi tendance à se laisser aller à un goût pour la rapidité extrême qui, combiné à des mouvements d'appareils tarabiscotés ainsi qu'à une animation aux effets parfois excessifs (les morphings incessants des sirènes ou d'Eris), peuvent saoûler. L'animation bénéficie heureusement d'une très bonne qualité technique, et fait même parfois preuve d'une invention bienvenue (la mer des sables dans le Tartare).
Aux USA, son exploitation se révèle être un vrai échec commercial, tandis que, en France, le public l'accueille honnêtement, sans plus. Combiné au fiasco cinglant de LA PLANÈTE AU TRÉSOR, cela semble annoncer, pour certaines cassandres, la "mort de l'animation traditionnelle". Il faut reconnaître que les triomphes récents de SHREK, de L'AGE DE GLACE (chez Fox Animation) et du MONDE DE NEMO accréditent cruellement un changement des goûts au sein du public.
Le DVD de SINBAD, LA LÉGENDE DES SEPT MERS sort en France, chez Universal, dans une édition largement basée sur celle distribuée aux USA. Il est proposé en version collector (deux DVD) ou en version simple (celle testée ici).
Le film est proposé dans un cadrage 1.85 d'origine (avec option 16/9), dans un excellent transfert. Les contrastes et les scènes sombres sont admirablement gérés. On oublie pratiquement la notion de compression, même si un très léger bruit est parfois perceptible. C'est du très beau travail.
La bande-son est proposée en Dolby Digital 5.1, en anglais et en français. Surtout, cette édition propose une piste française en DTS. Les divers sous-titrages (dont un en français) sont amovibles à volonté.
Les bonus (sous-titrés en français) sont repris du DVD américain. On retrouve donc le commentaire audio, moyennement passionnant, réalisé par les deux réalisateurs et cinq (!) de leurs collaborateurs. On y apprend tout de même quelques informations intéressantes, notamment à propos des scènes et des personnages retirés en cours de productions. Un "making of" de dix minutes propose quelques entretiens consacrés à l'élaboration du film, qui ne dépassent guère le niveau de la promotion lambda. La galerie d'images (divisée en plusieurs sections) est plus intéressante, qui offre de nombreux croquis préparatoires. On y trouve certains détails non utilisés dans le film (des quartiers de Syracuse), et même des graphismes de monstres qui n'apparaissent pas dans le montage actuel de SINBAD, LA LÉGENDE DES SEPT MERS : la Méduse, un homme-poisson et des cyclopes.
Ces derniers ont néanmoins été récupérés pour un court-métrage d'animation fourni avec le DVD : L'ILE AUX CYCLOPES (un hommage au SEPTIÈME VOYAGE DE SINBAD, bien sûr), un petit film au cours duquel le spectateur peut choisir quels personnages il va suivre. Il n'y a en fait que quatre options, à savoir : Sinbad, Marina, le chien et les marins. Une bande-annonce du CHAT CHAPEAUTE vient compléter cette partie "classique" de l'interactivité.
En effet, une autre section est entièrement dédiée aux enfants. On y trouve trois jeux interactifs, des menus permettant de consulter les "meilleures" scènes du film, ainsi que de très courtes bios des personnages et une section DVD-ROM, là encore consacrée au jeune public (jeux, découpages...).
Si on le compare à l'édition américaine, on remarque que la plupart des bonus "écrits" ont été éliminés (notes de production, biographies...). Toutefois, le distributeur français propose aussi une édition "collector" de ce titre, incluant, en plus du DVD testé ici, un autre disque contenant plusieurs featurettes et interviews supplémentaires. Il ne nous a, hélas, pas été transmis par son éditeur.
Bref, cette édition est techniquement irréprochable, et on regrette juste une interactivité peut-être pas assez informative.