Ogami Itto se voit confier un nouveau contrat, plutôt obscur d'ailleurs, puisque les détails de ce dernier lui sont donnés par fragments à l'issue d'un combat à mort avec des messagers. Au bout de cinq joutes, qui auront servi à tester l'habileté d'Itto au sabre, le samouraï se lance sur les traces du puissant clan Kuroda afin de mettre à jour une terrible imposture.
Contrairement à l'épisode qui le précède, LE TERRITOIRE DES DEMONS ne cherche pas à exploiter l'intrigue principale de la série des BABY CART. L'ignoble clan Yagyu, responsable de la vie brisée d'Ogami Itto, ne joue d'ailleurs ici qu'un rôle secondaire. Cette aventure se concentre uniquement sur le contrat en cours, une mission énigmatique et périlleuse qui vaut bien à elle seule l'intégralité des 85 minutes de ce BABY CART.
Si Kenji Misumi avait déserté son poste de génial réalisateur sur le quatrième opus, l'intérim ayant été brillamment assuré par Buichi Saito, le metteur en scène attitré de la série nous revient en très grande forme pour ce cinquième numéro. L'excellent travail visuel de la saga est ici poussé encore plus loin grâce à l'utilisation de plans extrêmement composés. Le découpage du film est par conséquent moins rythmé, cela se ressent surtout durant les séquences de combat, mais la beauté formelle de l'ensemble est si grande que le charme opère immédiatement.
Les amoureux du western européen, même s'ils ne retrouveront pas de prime abord le même mélange de sabre / pistolet des deux derniers épisodes, seront heureux de constater les nombreuses similitudes entre la mise en scène de Misumi et celle de Sergio Leone : les raccords plans très larges à très serrés, les éléments du décor qui viennent esthétiquement «défigurer» des plans archi-composés, ainsi que les amorces alambiquées offertes par l'œil de la caméra (on pense notamment au dialogue entre Itto et un homme coiffé d'un chapeau sur lequel est fixée une ligne de tissu masquant son visage : la caméra étant positionnée à hauteur d'oreille de l'homme, le visage du héros apparaissant dans l'entrebâillement du tissu et du chapeau).
Les autres marques de Misumi sont toujours là, comme la bande sonore qui voit brutalement son ambiance s'épurer à un seul bruitage. On retiendra là encore la poésie surréaliste que le réalisateur arrive à amener dans des scènes à priori très casse-gueule : un homme qui délivre calmement un long message à Itto tandis qu'il se consume dans une gerbe de flamme, un raid sous-marin à la violence suspendue, ou encore une femme dissimulée dans un plafond qui efface une missive compromettante via son urine. Autant de séquences folles signées Kazuo Koike (auteur du manga original) que la maîtrise de Misumi sauve du ridicule ou de la vulgarité.
Doucement mais sûrement, les personnages évoluent toujours un peu plus d'un épisode à l'autre. Ogami Itto, rônin désabusé par la nature humaine, se renferme un peu plus dans son mutisme et son absence de jugement. Toujours aussi impitoyable un sabre à la main, l'homme va même jusqu'à exécuter une femme et sa petite fille afin d'honorer son contrat. Le samouraï n'est à ce moment que l'instrument vengeur des jeux de pouvoirs régnant dans le Japon de l'ère Edo, acteur d'une situation politique perverse et chaotique qu'il dénigre en y participant froidement.
L'attention se resserre également sur le jeune Daïgoro. Déjà séparé de son père pour un temps du quatrième épisode, le garçon a droit ici à une séquence entièrement centrée sur sa personne. Victime d'une pickpocket à qui il a donné sa parole de veiller sur son butin, Daïgoro affrontera les sévères coup de bâton de la police de manière impassible, même lorsque la véritable coupable viendra offrir son arrestation en échange de l'arrêt des sévices. Dans l'assistance, Ogami Itto regarde la scène sans broncher, jugeant l'endurance de son fils à la douleur mais aussi à la force de sa volonté (n'oublions pas que l'enfant avait donné sa parole). Au terme de cette séquence, où Daïgoro retrouve enfin son père, c'est à un étonnant moment de tendresse que nous assistons lorsque le jeune garçon attrape la main du samouraï. Une manière sobre de représenter les intenses liens entre ces deux personnages impénétrables, tout comme un indice définitif sur la destinée de «loup solitaire» qui attend l'enfant.
Toujours dans le deuxième coffret réunissant la dernière moitié de la série des BABY CART, LE TERRITOIRE DES DEMONS bénéficie des mêmes éloges attribués aux autres titres de la saga. Restauration image au top et mono d'origine clair et efficace certifié sans bidouillage muticanal (et toujours pas de doublage en français). Le tout étant glissé dans un somptueux packaging bénéficiant d'une note journalistique dans son intérieur. Question bonus, c'est toujours la même rengaine : la bande-annonce cinéma, des filmographies toujours aussi redondantes avec les autres disques de la collection (sauf celle de Buichi Saito, réalisateur du quatrième film, visiblement égarée sur ce disque), une galerie de photos, des images des titres forts de l'éditeur et des liens Internet. On s'arrêtera comme de coutume sur la courte introduction au film qui nous dispense de précieux éclairages sur le métrage et la série, tout en déconseillant cette dernière avant une première vision (pour éviter de se gâcher trop de surprises).
Après un (très bon) quatrième film qui remplaçait son réalisateur principal, voici de nouveau réunie l'équipe au complet pour ce cinquième opus. Bien que prenant quelques distances avec la quête principale de nos deux héros, cette aventure nous promet un intense moment de bonheur à base de mise en scène sublime, scénario bien dingue, interprétation parfaite et excès gores toujours plus homérique. Vivement la suite.