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Critique du film et du DVD Zone 2
ANIMATRIX 2003

 

Après le succès de MATRIX, quand il est devenu évident que ce film allait avoir une suite, Andy et Larry Wachowski, ses réalisateurs, mettent en route un projet parallèle à la réalisation de MATRIX RELOADED. Il s'agit d'ANIMATRIX, un film d'animation à sketches avec lequel ils comptent élégamment renvoyer l'ascenseur au cinéma d'animation japonais qui les a tant influencés. Certains sketches ont été proposés dans un premier temps en téléchargement, puis "FINAL FLIGHT OF THE OSIRIS" a été diffusé en salles au cours des projections de DREAMCATCHER, un film d'épouvante distribué par Warner et sorti peu avant MATRIX RELOADED. Tous les segments sont enfin réunis sur ANIMATRIX. Cette anthologie est constituée de neuf sketches, tous réalisés avec un soin technique digne d'un long-métrage d'animation destiné au cinéma.

"FINAL FLIGHT OF THE OSIRIS" est réalisé par Andy Jones, directeur de l'animation sur le long métrage en images de synthèse FINAL FANTASY de Hironobu Sakaguchi et Moto Sakakibara. A bord du vaisseau l'Osiris, des rebelles vont tenter de transmettre à Zion une information d'importance fondamentale. Mais ils sont traqués par des hordes de sentinelles... Cette histoire pourrait en fait être une transition entre MATRIX et MATRIX RELOADED, puisqu'elle annonce certains évènements se déroulant dans le second volet de la saga. De plus, la réalisation et le travail visuel s'inscrivent tout à fait dans la lignée des films des Wachowski. A la limite, c'en est presque décevant. En effet, "FINAL FLIGHT OF THE OSIRIS" n'apporte pas énormément à l'univers de MATRIX. Cette simple application d'une technique d'animation innovante donne un résultat parfois bluffant (la poursuite avec les sentinelles), parfois gratuit et stupide (le combat-strip-tease). Mais, en fin de compte, cela manque de personnalité. Le résultat global est néanmoins assez intéressant, surtout par son aspect spectaculaire.

"THE SECOND RENAISSANCE" est proposé en deux volets de huit minutes, mais il faut bien le considérer comme un seul métrage. Présenté comme un document audiovisuel disponible dans les archives de Zion, il retranscrit les évènements ayant entraîné la chute et l'asservissement de la civilisation humaine. Mahiro Maeda, ancien collaborateur de Miyazaki et réalisateur de la série BLUE SUBMARINE N°6, se charge de sa réalisation. "THE SECOND RENAISSANCE" est définitivement le gros morceau d'ANIMATRIX. Enrichissant largement l'univers de MATRIX et proposant de nombreuses réponses aux questions laissées en suspens par les films, sa réalisation, mêlant de pseudo-images d'archive à des visions allégoriques, est d'une rare richesse. Ce très bon segment, aussi dense thématiquement que réussi artistiquement, est, à notre avis, le passage le plus réussi de cette anthologie.

"KID'S STORY" est réalisé par Shinichirô Watanabe, tout particulièrement connu pour avoir dirigé la série et le film COWBOY BEBOP. Cet épisode se déroule dans la Matrice. Après un échange par internet avec le mystérieux Néo, un adolescent est traqué par d'étranges agents. Ce segment donne en fait la genèse d'un personnage apparaissant, discrètement, dans MATRIX RELOADED. Il surprend avant tout par sa technique. Si les fonds sont traditionnels, les personnages sont rendus au moyen d'un style très brut. Il laisse ainsi une grande place à des éléments graphiques qu'on a tendance à éviter en animation (hachures, contours instables...) car ils donnent une impression d'imperfection technique. Par conséquent, "KID'S STORY" a la facture d'un dessin animé plutôt dans la tradition de courts-métrages occidentaux "artistiques" (on pense, entre autres, à Bill Plympton). De plus, pour une grande part du film, les mouvements des personnages principaux ont été filmés en vue réelle, avec des acteurs, puis retranscrits selon la technique du rotoscope (connue entre autres pour avoir servi sur le dessin animée LE SEIGNEUR DES ANNEAUX de Ralph Bakshi), consistant à "décalquer" les images d'un dessin animé sur celles d'un film traditionnel. Ces traits techniques originaux, rompant avec l'habituelle stylisation des dessins animés japonais, donnent un résultat assez étonnant. Hélas, la minceur du propos, réminiscent de OUVRE LES YEUX, aboutit à un résultat tout de même assez mitigé.

C'est aussi Shinichirô Watanabe qui a réalisé, sur un scénario qu'il a écrit seul, "DETECTIVE STORY". Un détective privée est contacté par un mystérieux commanditaire qui le charge de retrouver une dénommée Trinity. Un jeu de piste complexe commence. Si le dessin de "DETECTIVE STORY" est bien plus orthodoxe que celui de "KID'S STORY", il se singularise tout de même par un traitement du noir et blanc très brut. Ce rendu des contrastes évoque d'une part des photographies en noir et blanc prises avec de la pellicule à très haute sensibilité, et d'autre part une photogravure de basse qualité (papier journal...). En parfaite adéquation avec le ton de ce segment, ce procédé permet d'aboutir à un résultat original, sans pour autant donner l'impression de forcer la dose pour faire plus "Artiste". Mêlant des éléments du film noir hollywoodien (LE FAUCON MALTAIS de John Huston, LE GRAND SOMMEIL de Howard Hawks...) à des classiques de la science-fiction (BLADE RUNNER bien sûr, la référence pour ce style de métissage , mais aussi BRAZIL...), il s'agit d'un segment intéressant, bien que souffrant, à nouveau, d'un propos un peu trop léger et inconséquent pour être vraiment passionnant.

"PROGRAM" est écrit et réalisé par le maître es-violence Yoshiaki Kawajiri (LA CITE INTERDITE, NINJA SCROLL, VAMPIRE HUNTER D : BLOODLUST...), sans doute la plus grosse pointure de l'animation japonaise impliquée sur ce projet. Au cours d'un programme d'entraînement, la rebelle Cis se voit proposer par son supérieur de trahir la résistance... C'est évidemment un plaisir de retrouver une oeuvre de Yoshiaki Kawajiri, désormais en parfaite possession de tous ses moyens graphiques. "PROGRAM" est un régal pour les yeux, tant pour son travail hallucinant sur le dessin et les couleurs que pour la puissance et le lyrisme de sa réalisation. Pourtant, on est en droit de rester sur sa faim. Malgré un perfectionnisme technique stupéfiant, ces batailles au sabre dans la forêt ou sur les toits d'un château laisseront un fort goût de déjà-vu aux amateurs de NINJA SCROLL. L'argument hyper-light achève de laisser sur une impression de légère déception. Pas mal, mais on attend mieux de Kawajiri...

C'est aussi Kawajiri qui a écrit le scénario de "WORLD RECORD", dont il a confié la réalisation à son collaborateur Takeshi Koike. Un champion de course à pieds s'est vu condamné, injustement, pour dopage alors qu'il venait de battre un record du monde. Il va courir et tenter, à nouveau, de battre le record. L'effort de volonté inouï que cela va lui demander va entraîner un incident dans la Matrice... Comme Shinichirô Watanabe pour "KID'S STORY", Takeshi Koike profite de la liberté qui lui est accordée sur ANIMATRIX pour proposer un travail graphique très original, en complète rupture avec l'animation japonaise traditionnelle. Influencé par la peinture expressionniste germanique du début du vingtième siècle (Kokoschka, Schiele...), il renforce de façon très personnelle son graphisme en jouant sur la distorsion des formes, des mouvements et des proportions. Son goût des poses complexes et de l'anatomie humaine renvoie encore au maniérisme européen du XVIème siècle (Michel-Ange, Le Greco...). Il casse le carcan de l'animation japonaise dans son rendu des formes et des volumes. Plutôt que de favoriser un travail sur la ligne, il va, à la manière du Caravage ou de Rembrandt, dégager les silhouettes et les détails en les faisant ressortir par rapport à un jeu d'ombres intense. Ce travail sur le clair-obscur et les formes expressionnistes est très appuyé, et il est évident qu'il n'est pas fait pour plaire à tout le monde. Qui plus est, l'intrigue est à nouveau bien maigre. L'originalité du travail visuel semble donc l'emporter, de loin, sur l'intérêt dramatique.

"BEYOND" est l'œuvre de Kouji Morimoto, qui a notamment été directeur de l'animation sur le monumental AKIRA. Une petite fille découvre une maison étrange dans laquelle jouent les gamins de son quartier. De nombreux phénomènes bizarres s'y déroulent, pour la plus grande joie des enfants... "BEYOND" est aussi lumineux et léger que "WORLD RECORD" est sombre et torturé. Bénéficiant d'un travail sur les fonds et la lumière époustouflant, il apporte une rupture de ton assez inattendue dans cette anthologie, prenant le contre-pied total du pessimisme (parfois un peu puéril, il faut bien le dire) de l'univers de MATRIX. Lent et posé, il s'agit principalement d'une observation délicate sur le monde de l'enfance. Cette vieille maison, en fait un bug dans la Matrice, devient un terrain de jeu magique, où les enfants sont libres d'exprimer leur créativité en s'affranchissant même des lois de la physique. Certes, ce segment n'apporte, pour ainsi dire, rien de concret à l'univers de MATRIX. Pourtant, par son style raffiné et son ton unique, il s'agit certainement d'un bon court-métrage d'animation, donnant envie de découvrir d'autres oeuvres de son auteur.

"MATRICULATED" a été réalisé par le coréen Peter Chung, réalisateur de la série AEON FLUX, largement diffusée et promue en occident par la chaîne musicale MTV. Des rebelles parviennent à capturer un robot au service des machines. Pour convertir la machine à leur cause, ils le font voyager dans un univers virtuel de leur propre création, une sorte de Matrice à l'envers ! Avec "THE SECOND RENAISSANCE", "MATRICULATED" est certainement le sketch qui enrichit le plus l'univers de MATRIX, notamment grâce à son postulat de départ, fort original et inattendu. Proposant une réflexion de science-fiction pure, il joue, comme le A.I. de Spielberg, sur la délimitation ambiguë entre les intelligences artificielle et humaine. Le traitement graphique de la "Matrice humaine" étonne aussi. Elle prend totalement à rebours les esthétiques urbaines et industrielles dominantes de MATRIX pour proposer une science-fiction plus poétique, évoquant à la fois les dessins animés de René Laloux (LES MAITRES DU TEMPS, GANDAHAR, LA PLANETE SAUVAGE...), la BD de science-fiction française (Caza, Moebius, Druillet...) et la peinture surréaliste (Salvador Dali, les derniers tableaux de Kandinsky, Max Ernst...). Voilà un segment riche en trouvailles, aussi bien dans son récit que dans son traitement visuel, qu'on peut considérer comme une réussite, bien que son style graphique puisse repousser certains spectateurs.

Présenté au format 2.35, l'image de ce DVD n'appelle que des compliments. Couleurs, lumières, contraste, netteté... Tout est parfait, même dans des passages aussi délicats que les scènes très sombres de "FINAL FLIGHT OF THE OSIRIS" ou les redoutables combats sur fond rouge de "PROGRAM". Nous n'avons repéré de très ponctuelles traces de compression que sur "BEYOND" ; mais c'est vraiment de l'archi-chipotage ! De même les bandes-sons, en anglais ou en français Dolby Digital 5.1, sont irréprochables. On trouve en plus une large batterie de sous-titrages zone 2, incluant le français et l'anglais pour malentendants.

Le DVD est très bien pourvu en bonus, tous sous-titrés en français. On y trouve d'abord un petit documentaire de 22 minutes présentant rapidement le projet ANIMATRIX, puis proposant un historique rapide, mais solide, de la bande-dessinée et du dessin animé japonais, allant des rouleaux monastiques du XIIème siècle à nos jours. Ce bonus est une excellente initiative, destinée à vulgariser la culture graphique populaire japonaise auprès du grand public occidental. On trouve un making-of de 55 minutes, découpé en chapitres correspondant à chaque réalisateur. Là encore, c'est du très bon travail, bien que, techniquement, on regrette la présence de pas mal de drops vidéos sur ce bonus. Les commentaires audios sont aussi assez intéressants : ils sont sous-titrés (pour une fois chez Warner), ce qui est indispensable, puisque les intervenants s'expriment en japonais ! Tous les segments ne bénéficient pas de commentaires : seuls les deux parties de "THE SECOND RENAISSANCE", "PROGRAM" et "WORLD RECORD" ont ce privilège.

Enfin on trouve une simple liste des noms des réalisateurs et des producteurs ayant oeuvré sur ANIMATRIX ; mais, contrairement à ce qu'on pourrait penser, ces pages ne mènent pas à des filmographies ou à des biographies. Enfin, une très courte featurette de trois minutes fait la promotion, peu convaincante, pour le jeu vidéo ENTER THE MATRIX.

Hommage au dessin animé japonais, ANIMATRIX propose, film à sketches oblige, du bon et du moins bon. Si seul "THE SECOND RENAISSANCE" propose un véritable enrichissement de l'univers de MATRIX, les autres ne manquent pas d'intérêt, ne serait-ce que pour le soin technique et l'ambition artistique réelle avec lesquels ils ont été faits. Le DVD est techniquement excellent, ce qui ne gâche rien.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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L'édition vidéo
ANIMATRIX DVD Zone 2 (France)
Editeur
Support
DVD (Double couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h36
Image
2.35 (16/9)
Audio
English Dolby Digital 5.1
Francais Dolby Digital 5.1
Sous-titrage
  • Anglais
  • Français
  • Supplements
    • Commentaire de Mahiro Maeda sur "The Second Renaissance"
    • Commentaire de Yoshiaki Kawajiri sur "Program"
    • Commentaire de Takeshi Koike sur "World Record"
    • Making Of (55mn06)
    • L'Histoire et la Culture du Film d'Animation (22mn24)
    • La création du jeu vidéo "Enter The Matrix" (2mn50)
    • DVD-Rom section
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