Mais par où peut-on bien commencer une critique d'IRREVERSIBLE
? Les scènes chocs ? Le sulfureux réalisateur Gaspar
Noé ? L'implication du couple d'acteurs Bellucci
/ Cassel ? Autant
vous l'annoncer dès le début : ce film est pour l'auteur de ces lignes
l'évènement cinématographique 2002, celui qu'il fallait absolument découvrir
en salle car rarement le terme "expérience" n'avait eu une telle ampleur
auparavant.
Noé m'avait déjà scotché les sens avec SEUL CONTRE TOUS (qui restera à jamais le premier film à me faire lâcher un révélateur "Oh putain" en pleine séance), avec IRREVERSIBLE il vous fera adhérer ou rejeter à jamais son cinéma. Extrême dans la réalisation, extrême dans les dialogues, extrême dans le graphisme, extrême encore et toujours. Peu de compromis, ce qui obligatoirement explique le panel de critiques et de réactions publiées à la sortie du film (on en retrouvera des extraits dans le livret fourni avec le DVD, une initiative présente aussi dans l'édition de SEUL CONTRE TOUS). Mais est-ce que tous ces procédés finalement ne sont pas gratuits ? Toute cette violence nauséabonde n'est-elle pas exhibée pour le simple plaisir de bobos parisiens en mal de sensations fortes ?
Ma réponse me déçoit moi-même : oui ET non ! Oui, car à la base IRREVERSIBLE est un concept, un incident de parcours, une alternative à un projet pseudo porno censé éponger un réalisateur endetté. Au premier abord intéressé, le couple Bellucci / Cassel fait marche arrière mais exprime toujours le souhait de collaborer avec Noé. Celui-ci leur propose alors l'histoire d'un viol et d'une vengeance. Ainsi naquit IRREVERSIBLE : des acteurs, un pitch et un réalisateur à la réputation sulfureuse. Rien de plus. Le scénario de quatre pages résume les douze plans séquences, la majeure partie du film repose donc sur l'improvisation guidée par quelques phrases ou intentions. Le metteur en scène reconnaîtra qu'il n'aurait sans doute pu obtenir le résultat actuel si tout avait été imprimé noir sur blanc dès le début.
Donc oui au premier abord IRREVERSIBLE est un film racoleur dégueulasse, mais non. Car même si les intentions originelles de l'auteur sont un peu "troubles" il fait de son métrage une expérience cinématographie rare. Cinéphage dans l'âme, je recherche dans les salles obscures une émotion, un instant. Que ce soit le rire, la tristesse, la détente, le cinéma peut nous offrir toute une gamme de sensations qui ne sont pas forcément à notre portée au quotidien. Le processus d'identification à un personnage ou à une situation particulière nous implique pendant la projection mais aurait tendance à nous libérer lorsque le générique de fin défile.
IRREVERSIBLE va beaucoup plus loin. Nous avons affaire là à un cinéma physique. Dès le générique de fin (au début du film) on se surprend à incliner la tête, les infra basses vous remuent les viscères, la caméra virevolte... On est totalement perdu, sans repères, ni haut, ni bas. Un mauvais trip sous X ? Pire. Noé nous prend de force dans la folie de Marcus (Vincent Cassel) à la recherche d'un certain Le Tenia (Jo Prestia), le mec qui aurait sauvagement violé sa femme Alex (Monica Bellucci). Il est accompagné de Pierre (Albert Dupontel), l'ex d'Alex, qui essaie de le raisonner, de ne pas s'enfoncer dans ce merdique backroom : Le Rectum.
Beaucoup se seront arrêtés là. Trop difficile à voir, trop dur, trop mal à la tête... on taxera aussi le réalisateur d'homophobie. Histoire de se rassurer, de refuser une réalité. Effectivement il n'y a pas de justification particulière à ce que ce soit dans un des lieux les plus extrêmes qui concerne cette communauté sexuelle ; évidemment le pendant hétérosexuel tout aussi nauséabond pour certains est à l'autre coin de la rue. Mais cette accusation (sans réelle justification) n'a pas plus de valeurs que celle de racisme dans LE FABULEUX DESTIN D'AMELIE POULAIN !
Noé
maîtrise le langage du cinéma, reprend des concepts déjà explorés pour
les pousser dans leurs derniers retranchements, jusqu'à l'extrême donc.
Le film suit de manière déchronologique en douze plans séquences la
soirée d'un couple où tout va basculer. Cette narration à l'envers avait
été utilisée récemment dans le très bon MEMENTO (primé à Cognac),
et c'est d'ailleurs ce dernier qui est crédité par le réalisateur quant
à la reprise de ce système. Et c'est ici que réside une des clés de
l'intelligence du film. Un viol, une vengeance on aurait tendance à
croire au déjà vu. LA
DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE, I
SPIT ON YOUR GRAVE proposent cette même thématique. A ceci près
que l'évolution chronologique des faits a la fâcheuse tendance à justifier,
à excuser, l'acte de vengeance. De plus, l'identification (et si cela
m'arrivait ?) se borne sensiblement à la durée du métrage (comme je
l'expliquais plus haut). --- Maintenant ami lecteur si tu n'as jamais
vu ce film je t'invite à passer au chapitre suivant pour ne pas déflorer
LA clé du film. --- L'intelligence d'IRREVERSIBLE, donc, réside
dans le lent, mais brutal, désamorçage de cette soif de vengeance. Chaque
coup d'extincteur faisait l'écho dans nos esprits aux futurs assauts
sodomiques subis par Alex, il ne méritait que cela ce type, il ne méritait
pas de vivre. Chaque phrase du caïd local à Marcus troublait nos valeurs
morales de non violence, qui pourtant nous apparaissaient comme acquises
! Noé va finir
par me convaincre, il va me faire regretter de ne pas avoir aidé Pierre
tout à l'heure. On arrive dans le tunnel rouge, celui qui se casse en
deux. Et la bombe à retardement déposée à mon insu dans mon esprit explose
sans prévenir. Il faut bien lever le doute : ce n'est pas Le Tenia qui
est massacré dans le Rectum. Alors que nous sommes témoins de l'horreur,
plaqués au sol comme Alex, impuissants ; alors que les mots nous poignardent
les tympans ; IRREVERSIBLE a justifié son titre.
Beaucoup critiquent la longueur de la scène de viol. «Je nai pas besoin de voir ça pour savoir ce que cest». A mon avis cest une grave erreur (du moins pour la majorité dentre nous, ceux qui sont vierges de cette horrible agression) car comment peut-on prétendre connaître une telle chose ?! IRREVERSIBLE nous dérange car justement on nous montre, plutôt on sapproche de la réalité. Et cette réalité on na pas envie de la regarder en face. Un viol ce nest pas une succession de plans avec de la musique dramatisante autour ; si le temps nous paraît si long cest quil lest pour la victime !
Le film entame ensuite sa remontée vers le ciel, le bonheur, l'insouciance d'un couple qui se prépare pour une soirée. Ce moment d'intimité d'Alex et Marcus n'aurait sans doute pas eu la même saveur, la même pureté, s'il n'y avait pas eu derrière le fameux couple d'acteurs. Sans leur interprétation remarquable, les clichés de la situation nous auraient sautés aux yeux. On est loin du couple Kidman / Cruise dans EYES WIDE SHUT qui surjoue péniblement un couple en crise devant la caméra amorphe de Kubrick. On atteindra alors le sommet de la plénitude sur un air de Beethoven, la caméra suivant un jet deau qui amuse des enfants (la prochaine génération de lespoir ? Que deviendront-ils ?). Le même mouvement ouvrait le film quand on suivait le gyrophare de la police lhistoire se répètera encore et encore inévitablement.
A film exceptionnel édition exceptionnelle s'était-on permis de penser à la lecture des spécifications en prévision du film. La déception n'en est que plus grande. Concernant le film lui-même techniquement on ne peut regretter que l'absence d'une piste DTS tant elle aurait pu apporter plus de dynamisme, tant dans les hautes que les basses fréquences ; la spatialisation arrière n'est que rarement utilisée. On nous invite à pousser le son au maximum sur le livret mais on ne nous donne pas forcément le meilleur matériel pour l'utiliser. Dommage mais ce n'est pas bien grave.
Deuxième déception : l'absence de Vincent Cassel (du moins au moins lui, nous n'aurions pas rechigné à écouter Bellucci et Dupontel aussi) tant l'acteur excelle dans l'exercice et n'utilise pas la langue de bois dans ses commentaires. Il suffit d'écouter ses participations aux RIVIERES POURPRES ou au PACTE DES LOUPS pour comprendre l'attente suscitée par IRREVERSIBLE. Peut-être par incompatibilité d'agenda... passons et écoutons l'unique commentaire audio de Gaspar Noé. Le réalisateur a sans nul doute improvisé (comme sur le tournage) à l'écoute des nombreux "qu'est-ce que je vais bien pouvoir vous dire"...
Mais l'ultime et énorme déception réside malheureusement dans les extras. Bande-annonce, teasers, scènes coupées, clips... histoire de se mettre en bouche. On se précipite alors sur la partie SFX et là... un corbeau passe, une enclume, ce que vous voulez mais .... sept malheureuses minutes qui foisonnent, certes, d'enseignements (mais alors bien compactés) et se focalisent principalement sur la mise à mort dans le backroom. He ho ! Sept minutes pour 900 plans de trucages il n'y a pas un petit problème ? La majorité des plans séquences sont truqués (à l'instar par exemple de l'intro de SNAKE EYES), la continuité de l'action est simulée via un certain nombre d'astuces (soit de montage lors d'un passage au noir soit en effet spécial). Cependant le tournage des séquences demande un temps de répétition important comparé à un métrage avec une construction plus classique. Toute cette ambiance hors caméra, toutes ces préparations, vous ne pourrez les approcher que par le commentaire audio.
Finissons par les détails qui fâchent définitivement avec cette édition DVD. Le packaging cartonné a fière allure mais à l'ouverture on se retrouve avec le CD de la bande originale du film qui se balade dans la boîte. Etant donné que la dite bande originale est dans un étui cartonné simple (pas de boîtier plastique, ce qui normalement le condamne à rester dans le coffret DVD) pourquoi ne pas lui avoir dédié plutôt un emplacement digne de ce nom ? Enfin si toute la navigation reprend la charte graphique du film on se retrouve avec le titre des différentes navigations en surimpression, on a donc deux fois à l'écran les intitulés EXTRAS, SEQUENCES, ...etc. Je ne sais pas si techniquement il était possible de faire autrement au niveau de l'authoring mais l'effort esthétique global est un peu gâché.
IRREVERSIBLE est un grand film mais reste une édition DVD moyenne, imparfaite. On aurait préféré un deuxième report de sortie pour un contenu plus riche en informations (le scandale à Cannes ? les acteurs ? Thomas Bangalter ?). Un film à voir de toute urgence si vous vous sentez prêts à lassumer moralement et physiquement.