Pierre Niémans, limier de la Police Française, enquête sur un meurtre mystérieux commis dans une région montagneuse. Pendant ce temps, un jeune inspecteur prend en charge une profanation de tombe à deux cents kilomètres de là. Le seul point commun entre ces deux affaires : une université ultra-élitiste, isolée dans les montagnes...
Mathieu Kassovitz démarre comme metteur en scène par des courts-métrages, puis par le long-métrage MÉTISSE. Sa carrière prend son envol au milieu des années quatre-vingt-dix. Il perce d'abord en tant qu'acteur dans le Film Noir REGARDE LES HOMMES TOMBER de 1994, premier long métrage de Jacques Audiard. Il récolte à cette occasion le César du Meilleur Jeune espoir Masculin.
Puis il émerge en tant que réalisateur avec LA HAINE l'année suivante. Chronique d'un quartier de banlieue sur fond de tensions sociales et racistes, ce métrage crée l'événement et connaît un gros succès public ainsi qu'une reconnaissance critique allant jusqu'aux pays anglo-saxons. Ce film plonge ses racines cinématographiques dans des films américains comme DO THE RIGHT THING de Spike Lee ou TAXI DRIVER de Martin Scorsese.
Néanmoins, le film suivant de Mathieu Kassovitz, ASSASSIN(S), connaît un échec cinglant. Le réalisateur se rabat alors sur un projet de commande, moins personnel et plus commercial : l'adaptation du roman policier «Les rivières pourpres» de Jean-Christophe Grangé, pour la firme Gaumont.
L'exercice est risqué puisqu'il s'agit d'un thriller à gros budget, produit devenu rare en France dans les années quatre-vingt-dix. En effet, les flics franchouillards travaillent alors surtout sur les petits écrans, saturés des aventures standardisées de Julie Lescaut et de l'inspecteur Navarro.
Le casting des RIVIÈRES POURPRES réunit deux acteurs alors très populaires : Jean Réno (LÉON, LES VISITEURS) et Vincent Cassel (LA HAINE, DOBERMANN). Nous reconnaissons autour d'eux des visages fameux comme Jean-Pierre Cassel (le père de Vincent) ou Dominique Sanda (LES SURVIVANTS DE LA FIN DU MONDE).
LES RIVIÈRES POURPRES commence tel un thriller habile. Les deux policiers mènent leurs enquêtes chacun de leur côté. Ce passage s'avère amusant, alliant le charme et l'efficacité d'un bon récit policier.
Mathieu Kassovitz est un technicien habile, s'inspirant du cinéma à l'américaine, en particulier du SEVEN de David Fincher, pour donner un caractère spectaculaire et efficace à son métrage. Nous apprécions un travail sur la photographie à dominante rouge et blanche, nous rappelant LES FRISSONS DE L'ANGOISSE de Dario Argento.
Le choix des décors est aussi soigné : lourde université néo-classique perdue dans les montagnes, vallées lugubres, petit cimetière pluvieux de Province, glaciers, grande bibliothèque...
A partir de ces éléments bien de chez nous, Mathieu Kassovitz crée une ambiance angoissante, originale et réussie. Les deux interprètes principaux forment un tandem sympathique.
Le metteur en scène recourt fréquemment à un Gore choquant (une photo de fillette écrabouillée par un camion, les multiples plaies d'un cadavre), rappelant là aussi une tradition du cinéma de divertissement américain ou italien.
Malheureusement, LES RIVIÈRES POURPRES est gâché par un final décevant qui louche trop vers cette influence hollywoodienne et ne colle plus avec l'ambiance oppressante du récit. L'histoire se perd dans des révélations embrouillées. Cette conclusion n'est pas à la hauteur.
Nous regrettons l'interprétation médiocre de Nadia Fares ainsi que certaines touches d'humour déplacées (le combat en forme de jeu vidéo, les gags avec les flics).
LES RIVIÈRES POURPRES reste un sympathique polar flirtant avec l'horreur. L'ambiance est réussie, l'enquête est bien rythmée et les acteurs sont attachants. À sa sortie, il connaît un grand succès public avec plus de 3 millions d'entrées en France. Et même un certain retentissement à l'étranger.
Il arrive peu après le succès surprise du Slasher français PROMENONS-NOUS DANS LES BOIS, lui aussi inspiré des cinémas américain et italien. Surtout arrive en 2001 le gros succès du PACTE DES LOUPS de Christophe Gans, Melting Pot de cape et d'épée, de fantastique et d'arts martiaux.
Ces succès, accompagnés par l'arrivée d'une nouvelle génération de réalisateurs et de critiques, laisse espérer un cinéma français qui sorte de ses habitudes alors ronronnantes, à base de comédies populaires et de films d'auteurs post-Nouvelle Vague.
Outre le cinéma populaire, le cinéma d'auteur, justement, sort aussi de ses habitudes avec des titres chocs comme TROUBLE EVERY DAY de Claire Denis ou LA VIE NOUVELLE de Philippe Grandrieux. Sans compter l'électron libre Gaspar Noé et son IRREVERSIBLE.
Pourtant, des échecs comme LE PETIT POUCET ou BELPHEGOR : LE FANTOME DU LOUVRE vont tempérer les espérances.
Le film de Mathieu Kassovitz connaît une suite en 2004 avec LES RIVIERES POURPRES 2 : LES ANGES DE L'APOCALYPSE, produite par Luc Besson. Sans réel apport de Jean-Christophe Grangé, ce second titre met en vedette rien de moins que Christopher Lee ! Le public est encore au rendez-vous, bien que la critique ne soit pas tendre. Arrivent ensuite deux nouvelles adaptations de Jean-Christophe Grangé (L'EMPIRE DES LOUPS et LE CONCILE DE PIERRE) mal reçues, en particulier la seconde qui est boudée par le public.
Dans ce contexte, d'autres films faisant le pari du cinéma fantastique français à gros budgets (BLUEBERRY de Jan Kounen, IMMORTEL (AD VITAM) d'Enki Bilal) font à leur tour des bides.
Néanmoins, la graine a été plantée et un cinéma horrifique hexagonal, très (trop?) inspiré des maîtres anglo-saxons et italiens, s'épanouira en France au cours des années 2000. Avec des réussites à divers degrés comme HAUTE TENSION d'Alexandre Aja, ILS de David Moreau et Xavier Palud, FRONTIÈRE(S) de Xavier Gens ou À L'INTÉRIEUR de Alexandre Bustillo et Julien Maury. Un cinéma qui ne trouvera jamais vraiment son public en France, mais rencontrera un écho favorable à l'étranger, en particulier chez les anglo-saxons, impressionnés par la liberté graphique et de ton de ces métrages.