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Critique du film
CASTLE FREAK 1995

 

John Reilly, un Américain, hérite par sa tante d'un vieux château en Italie. Il s'y installe quelques jours avec sa femme et sa fille aveugle pour faire l'inventaire des meubles avant de le vendre. Mais la nuit, on entend des pleurs étranges dans les couloirs...

Dans les années quatre-vingts, la compagnie Empire de Charles Band, spécialisée dans le cinéma fantastique à petit budget, accomplit une belle ascension en surfant sur la croissance du marché de la vidéo. La firme connaît ainsi des succès avec des titres comme GHOULIES, ou encore avec des films réalisés par Stuart Gordon : les classiques RE-ANIMATOR, DOLLS et FROM BEYOND. RE-ANIMATOR et FROM BEYOND ayant la particularité d'être des adaptations de textes de l'écrivain H.P. Lovecraft.

Cette aventure tourne court lorsque Charles Band établit des studios en Italie et y tourne des métrages de plus en plus onéreux, en particulier le film de combats de robots géants LES GLADIATEURS DE L'APOCALYPSE, réalisé par Stuart Gordon. Empire est vite conduit à la banqueroute.

Charles Band ne baisse pas les bras et revient avec une nouvelle compagnie : Full Moon, produisant des films avant tout pour le marché de la vidéo. Cette compagnie se fait remarquer avec l'amusant PUPPET MASTER de David Schmoeller, film de jouets tueurs dans la lignée du DOLLS de Stuart Gordon. Cette série de titres mettant en scène des pantins maléfiques se voit déclinée jusqu'à aujourd'hui, sur une grosse douzaine de métrages. Elle devient très tôt le fer de lance des productions Full Moon.

Charles Band se penche aussi sur les maîtres de la littérature horrifique américaine, en produisant des œuvres inspirées d'Edgar Allan Poe (LE PUITS ET LE PENDULE de Stuart Gordon) et surtout de Lovecraft avec LURKING FEAR de C. Courtney Joyner d'après la nouvelle «La peur qui rôde», puis CASTLE FREAK de Stuart Gordon, d'après «Je suis d'ailleurs».

En effet, après quelques tentatives dans la science-fiction (comme l'intéressant LES GLADIATEURS DE L'APOCALYPSE et le réussi FORTRESS), Stuart Gordon revient ici à l'horreur et à Lovecraft. Sur CASTLE FREAK, nous retrouvons des collaborateurs ayant travaillé sur ses précédents films lovecraftiens : le compositeur Richard Band, le scénariste Dennis Paoli, les comédiens Barbara Crampton et, bien sûr, Jeffrey Combs. CASTLE FREAK est un métrage à petit budget, destiné avant tout au marché de la vidéo et tourné dans un château italien appartenant à Charles Band lui-même.

Stuart Gordon emploie la nouvelle «Je suis d'ailleurs» comme point de départ pour le scénario. Nous retrouvons le personnage difforme, séquestré dans un souterrain pendant toute sa jeunesse, sans aucun contact avec le reste de l'humanité. Ce personnage est encore plus pathétique dans CASTLE FREAK puisqu'il n'a jamais pu sortir de son affreuse cellule et qu'il a été persécuté par sa propre mère pendant des années.

La nouvelle de Lovecraft, et par conséquent CASTLE FREAK, sont dans une veine gothique traditionnelle. Elle est donc éloignée de l'inspiration science-fictionnelle de Lovecraft et de ses monstres pittoresques qui ont fait sa célébrité posthume. «Je suis d'ailleurs» paraît d'une inspiration proche d'Edgar Poe, écrivain que Lovecraft vénérait, avec sa narration à la première personne très subjective, dans la tradition du «Puits et le pendule» ou d'«Une descente dans le maelstrom».

Le décor du vieux palais cramoisi évoque aussi des souvenirs de Poe, comme «La chute de la maison Usher». Quant au thème du membre de la famille dément, reclus et caché, il s'agit d'un motif de la littérature gothique, provenant en particulier de «Jane Eyre» de Charlotte Brontë.

A travers la tragédie de John Reilly et de Giorgio, son frère monstrueux et oublié, le scénario de CASTLE FREAK exploite un thème cher à Lovecraft : la malédiction familiale (comme dans les nouvelles «Le descendant», ou dans le roman «L'affaire Charles Dexter Ward»). L'histoire tragique du couple Reilly rappelle les parents interprétés par Julie Christie et Donald Sutherland dans NE VOUS RETOURNEZ PAS de Nicolas Roeg. Comme eux, ils sont victimes d'une tragédie familiale insupportable : John est responsable d'un accident de voiture dans lequel leur jeune fils est mort et leur fille a perdu la vue.

Son épouse ne trouve pas la force de le pardonner. Elle-même traite sa fille aveugle comme une assistée incapable de se débrouiller seule. Elle l'empêche d'assumer son handicap et de devenir autonome. Quant à la cruauté et à la brutalité de Giorgio, elles reproduisent les comportements dont il a été témoin ou victime dans le cercle de sa famille.

La réalisation de Stuart Gordon est vive, nerveuse, portée par une caméra très mobile. La photographie est brute et ne cherche pas à faire de la belle image. CASTLE FREAK bénéficie du décor surprenant d'un vieux palais italien à la décoration morbide et aux murs couverts de fresques pourrissantes. L'interprétation est irréprochable. Jeffrey Combs, toujours aussi surexcité, propose une composition mélodramatique étonnante.

Les effets spéciaux sont parfaitement réussis, notamment le maquillage horrible de Giorgio et les effets Gore extrêmes. En effet, nous retrouvons le goût de Gordon pour le Gore le plus violent et pour l'érotisme macabre. Ainsi, on arrache les yeux à coup de dents, on se massacre à grands coups de chaînes... sans faire de détail. Quand Giorgio, le pénis sectionné par sa mère, assouvit sa sexualité sur une prostituée, il lui dévore littéralement la poitrine et le sexe. Ces excès ne sont pas sans rappeler les débordements sanglants et crus des films de Lucio Fulci, en particulier les souvenirs de L'ÉVENTREUR DE NEW YORK ou de LA LONGUE NUIT DE L'EXORCISME.

Stuart Gordon fait du cinéma d'horreur sans concession. CASTLE FREAK est un vrai film indépendant, destiné avant tout aux fans de véritable épouvante. Ce refus des compromis le rapproche, d'une certaine façon, de Lovecraft. Nous avons affaire à des passionnés intègres et intelligents qui refusent de traiter l'horreur sur le ton de la fadeur ou de la moquerie. Encore une fois, Gordon ne déçoit pas les fans de cinéma d'épouvante et de Lovecraft avec ce CASTLE FREAK terrifiant.

A travers l'histoire de cette famille déchirée, il nous montre que l'endroit le plus menaçant peut parfaitement être le cercle familial. Les personnes qui se voient tous les jours et se connaissent le mieux peuvent transformer leurs existences en un enfer quotidien invivable. Avec les portraits mélancoliques de Giorgio et de sa cousine aveugle, CASTLE FREAK traite avec intelligence du regard porté sur la différence, le handicap et la difformité.

CASTLE FREAK ne connaît pas les honneurs d'une sortie en salles et atterrit dans les vidéos clubs, entouré d'une certaine indifférence. La veine du cinéma Gore des années quatre-vingts et ses célébrités ne font plus recette en 1995.

Stuart Gordon rebondit pourtant dès l'année suivante, surfant sur le succès de son FORTRESS en tournant le Space Opera SPACE TRUCKERS, pour lequel il bénéficie d'un budget considérable de 25 millions de dollars.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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