Header Critique : LES NERFS A VIF (CAPE FEAR)

Critique du film
LES NERFS A VIF 1991

CAPE FEAR 

LES NERFS À VIF de Martin Scorsese est le remake du thriller LES NERFS À VIFS de 1962, lui-même basé sur le roman «Un monstre à abattre» de John D. MacDonald. Ce film était réalisé par Jack Lee Thompson et interprété par Robert Mitchum (dans le rôle de Cady) et Gregory Peck (dans celui de Bowden). Ces deux acteurs apparaissent dans des rôles secondaires pour cette nouvelle version.

Steven Spielberg a l'idée de ce remake pour sa firme Amblin, pourtant plutôt spécialisée dans le spectacle familial. Spielberg est en effet attiré par des sujets plus complexes dès la seconde moitié des années quatre-vingts.

Il fait rédiger un scénario par Wesley Strick, puis les deux hommes proposent le rôle de Max Cady à Robert De Niro, qui accepte. Avec Spielberg, ils décident de confier la réalisation à Scorsese, complice récurrent de De Niro depuis MEAN STREETS de 1973.

Scorsese et De Niro viennent de connaître une éclatante réussite critique et publique avec le film de gangsters LES AFFRANCHIS, succès bienvenu après l'accueil mitigé de LA DERNIÈRE TENTATION DU CHRIST sorti l'année précédente.

Scorsese émet des réserves à propos des NERFS À VIF : l'exercice du remake ne lui plaît guère. Il juge sans intérêt le scénario rédigé par Wesley Strick dans un esprit "spielbergien". Scorsese et Strick se remettent au travail pour obtenir un scénario plus en phase avec les préoccupations du réalisateur de TAXI DRIVER.

Porté par Universal, LES NERFS À VIF bénéficie d'un budget élevé, de 35 millions de dollars. Soit la plus grosse production réalisée par Scorsese depuis la fin des années soixante-dix, époque à laquelle United Artists finançait à grands frais ses fresques NEW YORK, NEW YORK et RAGING BULL.

Scorsese s'entoure de techniciens renommés comme le chef-opérateur Freddie Francis (LES INNOCENTS, ELEPHANT MAN) et ré-utilise la musique composée par Bernard Herrmann pour la première version des NERFS À VIFS - en la faisant réorchestrer par Elmer Bernstein.

Aux côtés de De Niro, Nick Nolte (48 HEURES, UNDER FIRE) incarne l'avocat Samuel Bowden, Jessica Lange (KING KONG de John Guillermin, LE FACTEUR SONNE TOUJOURS DEUX FOIS) interprète sa femme, et Juliette Lewis (TUEURS-NÉS, UNE NUIT EN ENFER) est sa fille.

Max Cady sort de prison après quatorze années de détention, purgées pour avoir tabassé et violé une jeune femme. Illettré au moment de son arrestation, il a eu le temps en prison de se cultiver et de lire, notamment des ouvrages de droit. Il prend en main sa défense et se rend compte que l'avocat qui l'a défendu lors de son premier procès, Sam Bowden, a caché un dossier concernant la moralité "douteuse" de la victime. Cette pièce aurait pu lui éviter la prison.

Cady se rend alors dans la petite ville où Bowden vit avec sa femme et sa fille de quinze ans. Il les harcèle, notamment en empoisonnant leur chien. Bowden engage un détective privé pour surveiller le repris de justice...

LES NERFS À VIF propose un scénario de thriller classique, dans lequel des personnes "gentilles" en position de faiblesse sont harcelées par un personnage violent, voire psychopathe. Cette situation engendre une progression de la tension psychologique et du danger physique. On pense à KEY LARGO de John Huston, LA MAISON DES OTAGES de William Wyler, SEULE DANS LA NUIT de Terence Young. Plus proche chronologiquement des NERFS À VIF de Scorsese, cela évoque aussi des succès des années précédentes comme le thriller conjugal LIAISON FATALE ou le huis-clos MISERY.

Toutefois, Scorsese brouille les cartes. La vie de Sam Bowden, sous une apparence tranquille, n'est pas dénuée d'aspérités. Différentes étapes de la crise de son ménage, essentiellement due à ses infidélités, sont révélées. Son épouse Leigh a traversé des périodes de dépression et vit mal son quotidien de femme au foyer. Quant à leur fille Danielle, elle est l'objet d'un petit scandale au lycée, après avoir été attrapée en train de fumer un joint.

Lorsque Bowden tente de protéger sa famille contre Cady, il enchaîne des maladresses. En se montrant trop bavard, en faisant preuve de lâcheté ou en prenant des décisions sur un coup de tête (lorsqu'il confie au détective privé le soin d'embaucher des hommes pour tabasser Cady).

En terme de déontologie professionnelle, Bowden s'est montré fautif lors du procès de Cady. Il a dissimulé des pièces qui auraient pu mener à son acquittement. Mais, refusant de laisser ce maniaque en liberté, il est allé à l'encontre des intérêts de son client. Bowden doute et se sait coupable.

Cady, de son côté, se sait dans son bon droit. Sa détermination n'en est que plus forte. Psychopathe exalté, la lecture de la Bible l'a convaincu qu'il est un espèce d'ange exterminateur, qui doit faire payer à Bowden son "crime".

Plutôt que de recourir à des moyens légaux, Cady prend en main sa vengeance, préparant son corps et son esprit à devenir les armes de sa croisade. Il est doué d'une force physique spectaculaire (lorsqu'il tabasse les trois hommes chargés de lui casser la figure) et d'une volonté de fer, aiguisée au cours de sa longue période d'emprisonnement. Le combat paraît inégal entre l'implacable Cady et la famille Bowden, minée par les crises.

Ayant épaissi le scénario, Scorsese propose une réalisation virtuose et nerveuse, notamment à l'aide de cadrages serrés, d'un montage nerveux et de mouvements de caméras rapides (brusques travellings avants, violents panoramiques). L'excellente musique de Herrmann participe du style de ce film qui n'a pas peur d'"en faire trop".

Scorsese a pourtant avoué plus tard que LES NERFS À VIF n'a pas été une bonne expérience. Contraint d’œuvrer dans un genre qui lui est étranger (le thriller), il doit élaborer une progression précise et solide du suspense, ce qui se combine difficilement à son style flamboyant et chaotique.

Le dénouement, à bord du bateau pris dans la tempête, est représentatif de ce déséquilibre. La réalisation de Scorsese transforme ce passage en un impressionnant chaos. Mais la banalité du script, qui accumule les clichés (le "retour" de Cady), ainsi que certaines idées maladroites (Cady faisant le procès de Bowden, avec une mise en scène grotesque) tirent l'ensemble vers le bas.

De Niro, en roue libre, semble se parodier (lorsqu'il se déguise en femme par exemple, ce qui est d'ailleurs une idée de Spielberg). Sans pour autant transmettre une impression de danger ou donner de la profondeur à son personnage.

LES NERFS À VIF est certes un film intéressant, bénéficiant d'une réalisation très au dessus de la moyenne et d'un script cherchant à sortir des ornières d'un genre balisé. Mais Scorsese peine à installer un vrai suspense, et nous nous disons que mieux maîtrisé, avec un Cady moins cabotin, il aurait pu s'agir d'une grande réussite.

LES NERFS À VIF connaît un gros succès commercial. Scorsese a ensuite toute liberté pour réaliser son projet suivant : le coûteux film en costume L'ÂGE DE L'INNOCENCE dans lequel il affirme son goût pour les grandes épopées Hollywoodiennes.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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