L'HOMME QUI VOULAIT SAVOIR est réalisé par le néerlandais George Sluizer, sur un scénario qu'il co-écrit avec Tim Krabbé, d'après un roman de ce dernier appelé «L’œuf d'or». George Sluizer est né en France, où il a étudié le cinéma à l'IDHEC (aujourd'hui la FEMIS). Il devient ensuite assistant-réalisateur, puis travaille en Hollande pour la télévision et enseigne dans une école de cinéma. Dans les années soixante-dix, il tourne des films comme réalisateur (avec par exemple UN HOMME, DEUX FEMMES de 1979, avec Anthony Perkins, Bibi Andersson et déjà Bernard-Pierre Donnadieu).
Puis nous le retrouvons en pleine jungle brésilienne sur le tournage de FITZCARRALDO pour aider le réalisateur Werner Herzog. Il réalise encore de loin en loin des longs-métrages au cours des années quatre-vingts, parmi lesquels le thriller L'HOMME QUI VOULAIT SAVOIR, filmé en Hollande et en France, et tourné en anglais, en français et en néerlandais.
Le français Bernard-Pierre Donnadieu (LE RETOUR DE MARTIN GUERRE, RUE BARBARE) interprète l'énigmatique Raymond Lemorne. A ses côtés, nous trouvons Gene Bervoets (CRAZY LOVE) et Johanna ter Steege (CHÈRE EMMA du hongrois Istvan Szabo, LA NAISSANCE DE L'AMOUR du français Philippe Garrel, REMBRANDT de Charles Matton).
Un été, les néerlandais Rex et Saskia se rendent en France pour les vacances. Sur une aire d'autoroute, Saskia disparaît mystérieusement. Rex n'entend plus parler d'elle pendant trois ans. Il est convaincu qu'elle a été enlevée et la recherche activement. Un homme le contacte et lui donne des rendez-vous. Rex, convaincu qu'il s'agit du kidnappeur, s'y rend systématiquement. Mais son correspondant n'apparaît jamais.
Parallèlement, L'HOMME QUI VOULAIT SAVOIR présente au spectateur, au moyen de retours en arrière disséminés à travers son déroulement, le personnage de Raymond Lemorne, le psychopathe en question, tandis qu'il prépare son méfait. La narration propose alternativement deux points de vue sur le même fait divers : celui de Rex, dont la compagne a disparu et celui de Lemorne, que nous supposons son bourreau.
Cette histoire, filmée avec précision et rigueur, se déroule dans des décors quotidiens, banals et a priori rassurants. Que ce soit le parking ensoleillé de la station-service, les rues tranquilles de Nîmes ou les paysages radieux du Midi. Cela participe à la vraisemblance émanant du film et facilite l'identification aux personnages.
Rex est confronté à la disparition imprévisible et tragique de sa jeune compagne. Incapable de surmonter ce deuil inadmissible, vivant toujours avec l'infime espoir que Saskia est encore en vie, il va, pendant des années, poursuivre la recherche minutieuse du plus petit indice pouvant lui indiquer ce qui est arrivé. Cette quête maladive, absurde et désespérée, relève de l'obsession. Et cette obsession éveille l'intérêt de Raymond Lemorne, l'homme qui a enlevé Siskia trois années auparavant.
Le portrait de Raymond Lemorne est la partie la plus réussie et la plus originale de L'HOMME QUI VOULAIT SAVOIR. Professeur de chimie, père de famille rassurant, inséré socialement, posé et serein dans ses actions, il s'agit d'un homme banal et tranquille, psychologiquement stable. Méthodique et intelligent, il met consciencieusement en place tous les détails de l'enlèvement, expérimentant le somnifère qu'il compte faire inhaler à sa victime, chronométrant les trajets.
Ces préparatifs sont parfois cocasses. Ainsi, Lemorne se prend de méchants râteaux quand il tente de faire monter des jeunes inconnues dans sa voiture. Tout cela permet à l'habile scénario de L'HOMME QUI VOULAIT SAVOIR de proposer le portrait étonnant d'un psychopathe hors-norme, jamais grimaçant, jamais exalté et jamais menaçant. Parfois empoté et maladroit, il est aussi diaboliquement calculateur. Bernard-Pierre Donnadieu, génial dans ce rôle, est à la fois rassurant et inquiétant, banal et charismatique.
Fasciné par la persévérance de Rex, Lemorne organise leur rencontre et accepte, petit à petit, de satisfaire sa curiosité. Rex éprouve alors pour Lemorne, l'homme qu'il cherche depuis des années, un mélange de haine et de complicité. A partir de cette rencontre, le film prend une dimension encore plus ambiguë, en mettant en scène un jeu de poker-menteur entre les deux personnages, chacun jouant, parfois au bluff, avec les atouts dont il dispose pour manipuler l'autre.
Dans cet échange malsain, Lemorne, malgré son apparence rassurante, est un adversaire rusé et dangereux. Et il joue notamment sur la curiosité obsessionnelle de Rex qui ne vit, depuis la disparition de sa compagne, que pour comprendre ce qui s'est passé.
A travers ce chassé-croisé, L'HOMME QUI VOULAIT SAVOIR traite avant tout du Destin. Lemorne, esprit rationnel et scientifique, est fasciné par le jeu des probabilités et les places respectives occupées par le hasard et le libre-arbitre dans le déroulement des existences. Ce personnage, apparemment quelconque, considère les actes irrationnels et gratuits qu'il commet comme des preuves mettant à bas l'idée que son destin est écrit d'avance.
La prescience de la fatalité est aussi présente à travers le rêve de «L’œuf d'or» que partagent, à plusieurs années d'intervalle, Rex et Saskia. Ainsi qu'à travers la rémanence troublante de certains signes dans la mise en scène (le frisbee par exemple). Les obsessions de Lemorne vont rejoindre celles de ce couple dans un final effroyable, digne du plus épouvantable cauchemar d'Edgar Poe.
L'HOMME QUI VOULAIT SAVOIR est donc un classique, hélas trop méconnu en France, qui ne souffre, en tout et pour tout que de quelques petites lenteurs au milieu de son récit. Il est passé plutôt inaperçu chez nous, alors même qu'il a été récompensé dans divers festivals européens.
Ce film acquiert, notamment dans les pays anglo-saxons, une excellente réputation, tant et si bien que George Sluizer est invité aux USA pour en tourner un remake inférieur appelé LA DISPARUE, de 1993, avec Jeff Bridges, qui n'a pas eu un grand succès. Cela rappelle ce qui s'est passé quand le réalisateur danois Ole Bornedal a fait LE VEILLEUR DE NUIT, remake américain de son thriller NIGHTWATCH ; ou quand le hollandais Dick Maas a refait son classique L'ASCENSEUR pour les États-Unis sous le titre L'ASCENSEUR : NIVEAU 2.