Le réalisateur Robert Eggers émerge au cinéma avec le succès de son premier long-métrage, le film d'horreur THE WITCH de 2015. Il révèle l'actrice Anya Taylor-Joy et popularise la Folk Horror. Cette histoire de sorcellerie se déroule dans l'Amérique du Nord au XVIIème siècle. Eggers persévère dans l'exploration du folklore américain avec THE LIGHTHOUSE, mettant en scène des gardiens de phare sur une île coupée du monde. Ses films se distinguent par une attention forte accordée à la forme et à la direction artistique (profession qu'il a exercée auparavant au théâtre et sur des courts-métrages). Leur narration est parfois nébuleuse et leur rythme inégal.
Avide de reconstitution historique comme l'ont montré ses deux précédents métrages, il collabore ensuite avec le producteur vétéran, mais controversé, Arnon Milchan (IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE, BRAZIL) pour un nouveau film d'aventures au temps des vikings. Pour ce THE NORTHMAN, il attribue le rôle principal d'Amleth à Alexander Skarsgård. Il ne nous avait pas fait forte impression jusqu'ici, avec ses interprétations de jeunes premiers falots dans TARZAN ou GODZILLA VS. KONG.
Film à gros budget comparé à ses deux prédécesseurs, THE NORTHMAN est rédigé avec l'écrivain islandais Sjón, scénariste du récent LAMB. Le métrage est tourné en Islande et réunit des acteurs déjà croisés dans les films de Robert Eggers, dont Anya Taylor-Joy (SPLIT) et Willem Dafoe (THE LIGHTHOUSE, SAILOR ET LULA). Ils sont rejoints par des vedettes comme Nicole Kidman (CALME BLANC, LES AUTRES) ou Ethan Hawke (SINISTER).
Amleth, jeune prince d'un royaume scandinave, est témoin du meurtre de son père par son oncle, lequel enlève aussi sa mère pour la forcer à devenir sa compagne. Le jeune héritier s'enfuit et est recueilli par des pillards vikings parmi lesquels il grandit. Au cours d'un raid, une sorcière lui annonce qu'il est temps pour lui de reprendre son destin en main et d'accomplir la vengeance de sa famille...
Si le film de vikings a eu le vent en poupe au début des années soixante, suite au succès des VIKINGS de Richard Fleischer, le genre a reflué ensuite jusqu'à devenir un peu maudit avec les échecs commerciaux cinglants subis par l'inégal LE TREIZIÈME GUERRIER de John McTiernan ou le réussi LA LÉGENDE DE BEOWULF de Robert Zemeckis.
Les fiers guerriers nordiques se trouvent ensuite confinés à des productions locales scandinaves (comme LE GUERRIER SILENCIEUX de Nicolas Winding Refn) ou à des séries B tel le sympathique OUTLANDER. Ce courant revient par la petite lucarne avec le succès de la série «VIKINGS», ainsi qu'avec la popularité de «GAME OF THRONES» dans lequel le royaume des Îles de Fer entretient des ressemblances avec les Vikings historiques.
Comme le nom de son héros l'indique, THE NORTHMAN s'inspire de la pièce «Hamlet» de Shakespeare. Laquelle relate la vengeance du prince danois Hamlet après la mort de son père, assassiné par son propre frère pour subtiliser le trône. Une œuvre célébrissime rehaussée d'éléments macabres et fantomatiques, portée de nombreuses fois à l'écran. Sa version de référence reste le HAMLET de et avec Laurence Olivier.
Cette pièce fameuse est supposée s'inspirer d'une légende scandinave elle-même basée sur des faits historiques. Ce qui donne à Sjón et Robert Eggers l'idée de transposer ce récit dans un univers viking. Ils parsèment encore leur film d'autres clins d’œil au barde british, avec une inquiétante Pythie slave interprétée par la chanteuse (islandaise) Björk, renvoi transparent aux sorcières de «Macbeth» et à leurs oracles funestes.
THE NORTHMAN ne puise pas que dans le théâtre élisabéthain. Il pioche aussi dans la culture Pulp en affichant l'influence de Robert E. Howard. En effet, les similitudes avec CONAN LE BARBARE sont flagrantes. Le métrage avec Arnold Schwarzenegger se trouve cité explicitement. Et ce dès l'ouverture de THE NORTHMAN, laquelle annonce les événements à venir par la voie d'un conteur, à l'instar du monologue fameux ouvrant le film de John Milius .
La mort du père d'Amleth évoque le massacre du village de Conan. Tandis que le destin du jeune prince, qui devient un guerrier à la solde de pillards sans merci, renvoie à nouveau à ce métrage. Un passage de THE NORTHMAN évoque «La chose dans la crypte», aventure de Conan rédigée par L. Sprague de Camp et Lin Carter, texte évoqué visuellement dans CONAN LE BARBARE, mais que Robert Eggers transpose de manière plus exhaustive.
THE NORTHMAN ne fait pas que piocher dans des souvenirs d’œuvres fameuses. Il s'inspire profondément du folklore et de l'histoire viking pour relater son histoire et dessiner son personnage principal. En effet, Amleth est un pur viking, adorateur du dieu guerrier Odin. Ses motivations dans la vie ne sont que la vengeance et la quête d'une mort glorieuse sur le champ de bataille. Mort qui lui vaudrait d'être choisi par une Valkyrie et emporté dans le Valhalla, paradis des combattants valeureux. Il puise ses traits chez l'ours (Bear) et le loup (Wolf), ce qui renvoie au héros mythique Beowulf (Bear-Wolf) de la poésie anglo-saxonne médiévale.
THE NORTHMAN adopte le point de vue d'Amleth, sa brutalité, ses superstitions, sa vision de son destin. En cela, il rend son personnage détestable très tôt. Ce guerrier prend part à toute sorte de pillages et de massacres, s'avère dénué de toute empathie et de toute ambiguïté
Il est entouré de personnages et d'une réalité complexes, tel son oncle qui n'est peut-être pas le malfaiteur schématique qu'il croit. Amleth, tel son père avant lui, ne prône que la guerre, incapable de dédier un moment de son existence à la paix et au bonheur. Le seul sens de sa vie est la destruction.
Dans son exploration de la mentalité et des traditions vikings, THE NORTHMAN donne dans la violence débridée et dans une spiritualité inquiétante. Ce que démontre une des scènes les plus fortes du métrage : l'attaque d'un village slave par une meute de guerrier Berserkers écumant de rage. THE NORTHMAN aligne des scènes marquantes, comme un jeu de balle brutal. Il crée une expérience d'aventures violentes immersive, comparable à un APOCALYPTO ou un 300.
THE NORTHMAN nous place dans le tête d'un personnage simple, très simple même, ce qui lui est même reproché par des personnages qu'il croise. Et ce qui donne au film une progression linéaire, se ralentissant un peu dans sa seconde moitié après un début tonitruant. Robert Eggers relance alors l'intérêt par quelques moments d'action et de brutalité, ne laissant alors jamais l'ennui s'installer trop longtemps.
THE NORTHMAN est avant tout un grand spectacle historique réussi, qui nous plonge dans un tourbillon de violence et évite de distordre la personnalité d'Amleth pour faciliter l'identification du spectateur moderne à son «héros». Dans d'autres métrage plus classiques, il serait clairement le «méchant». Les personnages qu'ils croisent, plus subtils et complexes que lui, n'ont au fond que peu de place dans son odyssée sanglante. Il en ressort un métrage qui accomplit son programme, sans le dépasser : celui de nous entraîner deux heures durant dans un voyage «de bruit et de fureur».