Header Critique : Alerte Rouge (Turning Red)

Critique du film
ALERTE ROUGE 2022

TURNING RED 

Domee Shi commence chez Pixar comme illustratrice de story-board, poste qu'elle occupe sur TOY STORY 4 ou VICE-VERSA. En 2018, en prélude des INDESTRUCTIBLES 2, les spectateurs découvrent son court-métrage BAO, histoire d'une maman adoptant un petit ravioli chinois vivant ! Nous pouvons le voir comme un préambule à son premier long-métrage sorti en 2022, toujours chez Pixar : à savoir ALERTE ROUGE, film d'animation numérique dans la tradition des œuvres produites par ce studio depuis TOY STORY en 1995.

La petite Mei vit à Toronto au début des années 2000, à l'époque de Tamagotchi et des Boys Band. Bonne élève et bonne copine, elle est aussi dévouée à ses parents qui tiennent le « plus ancien temple chinois » de la ville. Ce sanctuaire urbain est dédié aux ancêtres de Mei. Et particulièrement à ceux de sa mère, laquelle compte parmi ses ascendants une grande protectrice des Pandas Roux. Or, un beau matin, Mei se réveille transformée en un gros Panda Roux !

ALERTE ROUGE nous montre donc une jeune fille qui se retrouve malgré elle avec l'étonnante faculté de se transformer en un encombrant mammifère au pelage écarlate. La veille de sa première métamorphose, Mei s'est trouvée assaillie par un flot d'émotions mal contrôlées à l'endroit d'un jeune vendeur d'épicerie de son quartier. Bref, non seulement Mei encaisse les affres de la puberté, mais elle les découvre accompagnés d'une encombrante pandathropie !

Les métamorphoses de l'adolescence ont déjà donné lieu à des rapprochements avec des mutations surnaturelles. La CARRIE de Stephen King se découvre un pouvoir de télékinésie le jour où elle a ses premières règles. La lycanthropie a été mise en parallèle avec la puberté, et en particulier la puberté féminine : GINGER SNAPS de John Fawcett en est le plus flagrant exemple. GRAVE de Julia Ducournau creuse cette veine sanglante, en poussant ses aspects dérangeants. Le film dont ALERTE ROUGE est le plus proche, par sa façon légère de mettre adolescence et lycanthropie en parallèle dans un cadre lycéen, est la comédie TEEN WOLF dans laquelle Michael J. Fox se découvrait loup-garou !

Si mettre en vedette un personnage féminin principal dans un dessin animé Pixar reste encore une petite audace, ALERTE ROUGE va plus loin en parlant carrément, et ouvertement, de puberté et de serviettes hygiéniques ! Le titre français invite clairement à l'analogie. L'adoration d'un Boys Band roucoulant constitue même une étape significative dans la pré-sexualité de Mei !

ALERTE ROUGE offre à sa protagoniste principale un cadre personnel précis. Surprotégée par sa mère qui voit tout élément étranger à sa famille comme une menace, Mei, fille unique d'immigrés, s'applique une pression d'excellence, de perfection, un devoir de ne pas décevoir ses parents qui ont tant sacrifié pour elle.

Ce devoir d'obéissance implicite à l'enfance se heurte à ses aspirations adolescentes pour la liberté. L'explosif Panda Rouge qui sommeille en elle et le chaos qu'il sème illustrent ce conflit intérieur.

Mei sort d'une enfance toute en obéissance et en vénération de ses parents et rentre donc dans une adolescence fracassante. Ses géniteurs ne sont plus les modèles qu'elle aspire à imiter, bien au contraire. Elle se découvre un appétit de voir le monde et de se définir par elle-même, par ses propres expériences et préférences.

Toutefois, au cours des siècles, la famille de Mei a mis en place un rituel taoïste permettant d'exorciser l'animal qui s'éveille dans les jeunes filles. Cette cérémonie met ainsi un terme à l'âge dit bête et marque l'entrée dans la vie adulte, placée sous les signes de la rationalité et de la responsabilité.

La flamme de l'adolescence n'est-elle alors qu'une parenthèse à fermer dès que possible, une tempête vite calmée et mise de côté ? Ou bien est-ce une inspiration précieuse, un désordre bienfaisant à garder vivace en soi tout au long de sa vie ?

La réponse d'ALERTE ROUGE se trouve dans son dénouement très fantastique, qui confronte tradition et modernité, parents et enfants. Et ce en puisant dans les souvenirs du cinéma fantastique asiatique, qu'il s'agisse d'exorcismes chinois bondissants ou de Kaiju japonais dévastateurs !

En terme de cinéma, ALERTE ROUGE ne déçoit pas et reste dans le très haut niveau des productions Pixar récentes. Animation, rendu des textures, trouvailles et foisonnement de détails le placent une bonne tête au-dessus de la concurrence. Ce métrage est aussi riche en gags et en situations saugrenues, offrant de la féminité une vision bien éloignée de la traditionnelle princesse Disney.

Audacieux sur le fond (pour un film d'animation Disney), ALERTE ROUGE reste tout de même traditionnel dans sa forme, plutôt terre à terre, assez loin des expériences visuelles de Pete Docter dans VICE-VERSA ou SOUL. De même, son déroulement, bien que riche en surprises, s'avère classique et linéaire.

ALERTE ROUGE constitue toute de même une bonne surprise dans la filmographie Pixar, proposant un métrage drôle, nerveux, insolent et inventif. Il n'est que le second métrage Pixar (sur 25) à être réellement et complètement centré sur un personnage féminin après le controversé BRAVE. ALERTE ROUGE constitue donc un apport tout à fait rafraîchissant à ce catalogue.

Hélas, comme beaucoup de métrages d'animation Disney suite au lancement de Disney +, il atterrit directement en streaming, c'est-à-dire sur les petits écrans, alors qu'il a été conçu par ses auteurs pour être vu dans le cadre d'un cinéma. C'est hélas le troisième Pixar consécutif à recevoir ce douteux honneur, après SOUL et LUCA, deux autres réussites destinées au cinéma que Disney n'a pas eu le courage de confronter au public des salles.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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