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Critique du film
LE LOCATAIRE 1976

 

A Paris, Trelkolvsky, un employé discret d'origine polonaise, s'installe dans un petit appartement dont la locataire précédente, Simone Choule, s'est suicidée. Il en vient à penser que ses voisins complotent contre lui.

En 1968, ROSEMARY'S BABY est un triomphe public et Roman Polanski devient un des réalisateurs les plus en vue du monde du cinéma. Mais l'année suivante, sa femme, enceinte, et plusieurs de leurs amis sont assassinés alors qu'il est en voyage de travail. La presse à sensation se déchaîne, mais il est rapidement innocenté par un témoignage qu'il effectue sous sérum de vérité. Un peu plus tard, il est établi que le massacre a été commis gratuitement par la communauté hippie dirigée par Charles Manson.

Polanski quitte les États-Unis, et tourne en Europe un MACBETH brutal et réussi. Puis, il réalise QUOI ?, transposition étrange de « Alice aux pays des merveilles » dans l'Italie contemporaine. Ces deux films sont mal accueillis. Il retourne à Hollywood où il réalise en 1974 CHINATOWN avec Jack Nicholson, un hommage aux Films Noirs américains des années quarante, qui lui vaut un grand succès critique et public.

Polanski tente ensuite, sans y parvenir, de mettre en route un film de corsaires à grand budget, qui aboutira plus tard sous le titre de PIRATES, en 1986. Il retourne alors à Paris pour filmer LE LOCATAIRE, troisième volet de sa trilogie des villes, après REPULSION tourné à Londres et ROSEMARY'S BABY réalisé à New York. LE LOCATAIRE adapte un roman de Roland Topor, roman que Polanski découvre dès 1965, mais dont il reporte l'adaptation pendant des années à cause de similitudes trop évidentes avec REPULSION et ROSEMARY'S BABY.

Le scénario est écrit par Polanski avec son complice Gérard Brach. La belle musique mélancolique du film est de Philippe Sarde. Roman Polanski interprète lui-même Trelkolvsky. A ses côtés, nous reconnaissons Shelley Winters (LA NUIT DU CHASSEUR de Charles Laughton, LOLITA de Stanley Kubrick) et de nombreux comédiens français : Isabelle Adjani, Bernard Fresson, Josiane Balasko...

LE LOCATAIRE est donc la troisième partie de la trilogie que Polanski consacre à la paranoïa dans les grandes villes. Nous y retrouvons un thème cher à Polanski : celui du personnage persécuté (thème qui apparaîtra aussi dans des thrillers comme FRANTIC ou LA NEUVIÈME PORTE).

Ce sentiment de persécution peut être en partie imaginaire, et trouver sa source dans une personnalité fragile plongée dans un environnement angoissant. C'est le cas de la jeune héroïne de REPULSION dont les angoisses découlent de son seul inconscient terrifié. Dans ROSEMARY'S BABY, au contraire, les craintes de Rosemary sont fondées.

LE LOCATAIRE, de son côté, laisse planer l'ambiguïté pendant une grande partie du métrage. Il propose une vision kafkaïenne de Paris et de la vie du petit employé Trelkolvsky. Sa lente mutation, aussi mentale que physique, évoque d'une certaine manière « La métamorphose » de Kafka.

Polanski divise son film en deux moitiés distinctes, chacune durant environ une heure. Dans la première partie, le fantastique reste diffus. Polanski dévoile progressivement Trelkolvsky dans son quotidien parisien. Effacé, mais sympathique, il vit parmi un entourage agressif. Avec bonne volonté, il tente de s'accommoder de ses voisins méfiants ou de ses envahissants collègues.

Certains indices donnent l'impression que les habitants de l'immeuble trament un complot contre lui (les petits déjeuners au Café, la manière insistante dont le propriétaire lui parle de Simone Choule, les pétitions). LE LOCATAIRE se montre alors ambiguë. Son récit contient des éléments fantastiques souterrains, qui ne paraissent pas au spectateur le produit des troubles mentaux de Trelkolvsky, mais bien le résultat d'un vaste complot ourdi par tout son entourage.

Pourtant, des séquences de cette première partie montrent aussi que Trelkolvsky est un personnage mal à l'aise, sur la défensive, qui ment facilement pour se protéger (plutôt que d'avouer qu'il va aux toilettes, il prétexte un coup de téléphone urgent à donner).

La seconde moitié du LOCATAIRE correspond, beaucoup plus clairement, à la plongée de Trelkolvsky dans la folie. L'ambiguïté se dissipe et il est clair que les faits étranges le poussant vers la démence sont des hallucinations. Polanski fait glisser son film dans un fantastique explicite en ayant recours à des figures empruntées au cinéma d'horreur traditionnel. Momies, fantômes et possessions se bousculent dans l'esprit de plus en plus confus du locataire. Il arpente de sombres couloirs et de menaçants escaliers en spirales, déformés par des objectifs à courte focale.

Ces apparitions fantastiques s'inscrivent alors dans le portrait psychiatrique très précis et crédible de Trelkolvsky (on pense alors à REPULSION). Elles sont des symptômes parmi d'autres de la maladie mentale le rongeant. Sa personnalité se décompose, il en vient à s'identifier à la morte (qu'il n'a pourtant pratiquement pas connue), à se travestir, à se parler à lui-même d'une façon ridicule, puis à se mortifier et, enfin, à se suicider de manière compulsive et grotesque.

Cette seconde partie du LOCATAIRE synthétise le génie déployé par Polanski dans sa trilogie des villes. Il y mêle avec une grande rigueur un portrait psychologique très réaliste à une narration expérimentale incluant des séquences hallucinatoires tendant vers un onirisme cauchemardesque. Ce n'est pas le moindre de ses mérites que de filmer de manière aussi solide un phénomène désordonné tel que la schizophrénie.

A ce titre, citons quelques moments extrêmement réussis, prouvant que le talent poétique et formel de Polanski n'a rien à envier à ceux d'un Kubrick ou d'un Argento. Nous pensons aux deux plans filmés à l'aide de la Louma (caméra alors nouvelle équipant un long bras télescopique téléguidé). Placés en générique de début et en fin de métrage, ils nous font tomber doucement dans la cour de l'immeuble, de fenêtre en fenêtre (Argento s'en souviendra pour une scène spectaculaire dans TÉNÈBRES). Angoissantes aussi sont toutes les situations de voyeurisme et de vis-à-vis entre l'appartement de Trelkolvsky et les toilettes de l'immeuble, occupées par des silhouettes impassibles. Notamment lorsque le locataire se découvre s'observant lui-même. Étrange encore la scène inouïe de la punition de la petite fille aux jambes malades.

Certes, la première heure du LOCATAIRE est un peu lente à se mettre en place. Pourtant, la démarche de Polanski, se mettant lui-même en scène dans un rôle aussi difficile, est courageuse, et la seconde partie du métrage correspond vraiment au sommet du talent de ce réalisateur. Pourtant, la critique et le public français le boudent, et c'est la dernière fois que Roman Polanski fraie ouvertement avec le fantastique jusqu'à LA NEUVIÈME PORTE, en 1999.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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