Header Critique : QUASIMODO (THE HUNCHBACK OF NOTRE DAME)

Critique du film
QUASIMODO 1939

THE HUNCHBACK OF NOTRE DAME 

Frollo, juge à la cour royale, s'éprend d'Esmeralda, une bohémienne traquée par les soldats et qui s'est réfugiée dans Notre Dame de Paris. Il charge Quasimodo, le sonneur de cloches sourd et difforme, de l'enlever...

William Dieterle naît en Allemagne où il commence une carrière d'acteur de théâtre. Par nécessité plus que par passion, il joue aussi au cinéma où il devient une vedette. Puis, il s'intéresse à la réalisation et obtient de grands succès, dont LUDWIG DER ZWEITE KÖNIG VON BAYERN de 1929, biographie de Louis II de Bavière. En 1931, couvert de dettes suite à des investissements malheureux dans le théâtre, il part travailler à Hollywood pour Warner Bros. Après quelques années à réaliser des scénarios imposés, il monte en 1935 une adaptation visuellement extravagante de LE SONGE D'UNE NUIT D'ETE d'après Shakespeare, dans lequel son ami Max Reinhardt, important metteur en scène de théâtre autrichien, se charge de la direction d'acteurs. Le succès ne vient vraiment qu'avec ses biographies humanistes de grands hommes (PASTEUR en 1936, LA VIE D'EMILE ZOLA en 1937) interprétés par Paul Muni. Au sommet de sa popularité, Dieterle impose des sujets politiques à ses producteurs, tels la Guerre d'Espagne dans BLOCUS de 1938 avec Henry Fonda, ou la libération du Mexique avec JUAREZ ET MAXIMILIEN en 1939.

C'est donc à un William Dieterle au sommet de sa gloire que George Schaefer, directeur de productions de RKO, propose d'adapter le roman «Notre-Dame de Paris», déjà porté triomphalement à l'écran en 1923 par Universal. Dieterle accepte, d'autant plus que RKO est réputée pour la liberté artistique accordée à ses réalisateurs. Ce sera une superproduction de deux millions de dollars, avec, comme il se doit, une figuration nombreuse et des décors gigantesques (ils engloutissent plus d'un dixième du budget). Il bénéficie de la présence d'habiles techniciens de la RKO, tel que le fameux décorateur Van Nest Polglase ou un jeune monteur nommé Robert Wise, appelé à devenir un grand réalisateur du cinéma hollywoodien.

Le casting se compose de vedettes. Frollo est interprété par Cedric Hardwicke tandis que Thomas Mitchell joue Clopin. On trouve aussi des comédiens à l'aube de leur carrière, comme Edmond O'Brien ou Maureen O'Hara, découverte en Irlande par Charles Laughton et future égérie du cinéma de John Ford.

Pour jouer Quasimodo, la production pense un moment à Lon Chaney Jr., fils de Lon Chaney (le Quasimodo de NOTRE-DAME DE PARIS), dont la carrière commence à prendre forme avec ses succès au théâtre et au cinéma dans DES SOURIS ET DES HOMMES d'après John Steinbeck. Mais RKO se ravise et Charles Laughton, Oscar du meilleur acteur en 1934 pour LA VIE PRIVEE D'HENRY VIII, hérite de ce rôle. Il bénéficie d'un maquillage fort réussi et propose un Quasimodo plus doux et plus émouvant que celui de Lon Chaney. Alors que "l'homme aux mille visages" composait un bossu spectaculaire et grimaçant, à la silhouette incroyablement distordue, Laughton soigne moins sa gestuelle, mais travaille mieux le pathétique du personnage. La séquence au cours de laquelle il partage ses pensées avec Esmeralda dans la tour de la cathédrale s'avère intense.

QUASIMODO se démarque aussi du NOTRE-DAME DE PARIS muet de 1923 par son discours historique et politique construit. Dieterle et ses scénaristes comprennent que Hugo n'a pas placé son récit à la fin du quinzième siècle par hasard. Les derniers feux du moyen-âge français sont ici recueillis, tandis que Colomb vogue vers l'Amérique et qu'un imprimeur installe son atelier sur le parvis de Notre-Dame.

Le poète Gringoire, l'intellectuel, s'appuie sur la force de ses écrits, démultipliée par leur distribution à de nombreux exemplaires, pour diffuser les idées nouvelles de l'humanisme européen, inspirées par la redécouverte des écrits philosophiques antiques. L'ordre féodal et la religion sont des scories du passé, qui ne défendent plus que l'obscurantisme et les droits des puissants. Louis XI est ici un vieux roi sage, toujours à l'écoute de son peuple et curieux des nouveautés. La principale innovation de QUASIMODO consiste à donner le rôle principal au personnage d'Esmeralda, ici une bohémienne persécutée par les troupes royales à cause de son appartenance raciale. Les discours racistes de Frollo (dans cette adaptation, il n'est pas un prêtre, mais un juge au service de la monarchie) résonnent évidemment en 1939 comme un écho terrible aux théories nazis, contre lesquelles Dieterle s'est toujours battu (LA VIE PRIVEE D'EMILE ZOLA, à travers l'affaire Dreyfus, était un manifeste contre l'antisémitisme).

Nous apprécions aussi le travail plastique très abouti sur QUASIMODO. Comme Feyder dans LA KERMESSE HEROIQUE six ans plus tôt, Dieterle invoque Bruegel l'ancien pour peindre la fête des fous et ses multiples anecdotes truculentes, ou pour décrire la cour des miracles et ses mendiants. Quand il s'agit de rendre le raffinement de la vie courtoise des nobles, il place une fête dans un jardin enchanteur inspiré par des tapisseries médiévales telles que «La chasse à la licorne». Les sombres rues de Paris et l'architecture complexe des tours de Notre Dame évoquent les classiques du cinéma fantastique allemand des années vingts, notamment LE GOLEM ou FAUST de Murnau (dans lequel William Dieterle jouait le frère de Marguerite).

Si cette adaptation de «Notre-dame de Paris» est plus élégante et réfléchie que celle de 1923, elle s'avère aussi plus guindée. Moins novatrice et moins épique que le film avec Lon Chaney, elle se laisse parfois aller à des bavardages ennuyeux. Il s'agit tout de même d'une très belle réussite, reposant sur les bases solides du classicisme hollywoodien. QUASIMODO sera un grand succès populaire.

Toutefois, la RKO connaît peu après des problèmes, en 1941, suite à l'accueil mitigé de CITIZEN KANE d'Orson Welles et de TOUS LES BIENS DE LA TERRE, variation faustienne par Dieterle. Ce dernier part travailler pour MGM, mais il s'y entend fort mal avec Louis Mayer et David O. Selznick. Il réalise LE PORTRAIT DE JENNIE, superbe histoire fantastique d'amour fou, dans la tradition de PANDORA ou PETER IBBETSON, appréciée par les surréalistes. Puis, il est de moins en moins libre de choisir ses scripts et, finalement, se voit persécuté à cause de ses idées politiques et de ses relations (il est un ami de Bertolt Brecht) lors de la chasse aux sorcières à Hollywood au début des années cinquante. En 1957, il rentre en Allemagne (où il dirige une partie du serial exotique LES MYSTERES D'ANGKOR avec Sabu et Lino Ventura), mais il se désintéresse vite de ces productions commerciales et retourne à ses premières amours : le théâtre. William Dieterle meurt en 1972.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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