Quatre jeunes infirmières profitent d'un trou dans un mur pour espionner et s'amuser des ébats silencieux de deux consœurs. Elles surprennent alors un rôdeur dans la cour du dortoir et l'invitent à se joindre à elles. Mais après quelques minutes d'une observation muette, l'homme brandit un revolver et abat froidement l'une des amantes. Guidé par ses pulsions, l'individu va alors soumettre et assassiner les pensionnaires une à une…
Doté d'un rythme lent malgré sa courte durée de cinquante-six minutes, LES ANGES VIOLÉS est un métrage qui va droit au but et pour lequel chaque plan est savamment calculé. L'introduction en est le parfait exemple puisqu'exclusivement constituée d'images fixes. Une succession de femmes puis tout à coup une anomalie : l'image d'un homme qui dénote et semble observer. Les jeunes femmes reviennent et, par instants, l'homme ressurgit. Son visage vient se coller à des magazines, des photographies de pieds féminins, de poils, de seins... Lorsque cette étrange entrée en matière s'achève, c'est pour révéler l'homme sur une plage, armé d'un revolver et faisant feu sur les vagues, comme s'il tentait d'arrêter l'incoercible. Le spectateur habitué du réalisateur verra derrière cette métaphore l'explosion violente et incontrôlée d'un homme soumis par la beauté insaisissable et ondulante des femmes... Bienvenue, vous venez d'entrer dans l'univers fascinant et torturé de Kōji Wakamatsu !
Il faut dire que le réalisateur japonais n'a pas le vécu d'un monsieur-tout-le-monde. A dix-sept ans et après avoir multiplié les petits jobs, il s'offre cinq mois de prison pour une rixe entre gangs. De là, il ne sort pas forcément assagi et rejoint la mafia locale, les Yakuzas. Or à cette époque, au milieu des années cinquante, l'industrie du cinéma est aux mains de la pègre et le jeune Kōji erre de plateaux en plateaux. Il y apprend le métier de réalisateur, tout d'abord pour le petit écran. Puis en 1963, il livre ses trois premiers films de cinéma. Mais pas n'importe quel cinéma. Un anarchiste aussi révolté que Wakamatsu ne peut en aucun cas délivrer ses messages au sein de films «classiques» soumis à une censure très stricte. Notre bonhomme choisira donc d'œuvrer en marge en tournant des Pinku Eiga. Bien que le terme désigne généralement des métrages érotiques, le Pinku a également servi de paravent à de nombreux auteurs désireux de contourner les règles pour délivrer leurs messages engagés, ou «inacceptables»…
C'est ainsi qu'en 1966, Kōji Wakamatsu nous balance QUAND L'EMBRYON PART BRACONNER qui, encore aujourd'hui, a de quoi mettre son spectateur très mal à l'aise. Puissant dans son propos et dans sa mise en forme, le film nous présente une femme soumise par son patron jusqu'à la négation de soi. Et ce n'est qu'au fond de l'abîme qu'elle trouvera la force d'inverser les rôles pour renvoyer à son bourreau sa propre soumission aux femmes, sa misérable dépendance qui le conduira à sa perte… L'année suivante, Wakamatsu réitère dans un registre proche avec LES ANGES VIOLÉS qui nous intéresse ici. Le bonhomme vient alors de tomber sur un fait divers américain dans lequel Richard Speck, un criminel multirécidiviste, va torturer huit étudiantes en médecine, avant d'assassiner sept d'entre elles. Choqué comme beaucoup par le drame, le réalisateur va «japoniser» les faits et nous livrer une œuvre sombre, portée par un anti-héros quasi-muet.
N'y allons pas par quatre chemins, ce métrage relève clairement du film d'Art et d'Essai. Son propos comme sa forme réclament une certaine implication du spectateur et ceux qui espèrent se retrouver face à un film érotique «Vintage» en seront pour leurs frais ! LES ANGES VIOLÉS n'est à aucun moment érotique. Pas plus qu'il n'est voyeuriste ou même complaisant. Pourtant, les femmes nues y sont exposées jusqu'à l'overdose. Mais l'absence totale d'émotion dans les regards et les attitudes figées (soit par la mort, soit par la peur) anéantissent toutes formes de désir. Sauf pour notre tueur bien évidemment, qui conforte là sa position dominatrice… Le corps inerte des femmes est également utilisé par le réalisateur lors de dérangeants travelings amenant le spectateur d'un "ange blanc" au "démon", ou inversement. La mort et la féminité deviennent ainsi le lien entre les victimes et le bourreau, tant dans les faits que dans la représentation graphique. Kōji Wakamatsu multiplie ainsi les expérimentations et les effets de mise en scène. Le premier meurtre intervient par exemple de manière très inattendue, après un long temps d'observation qui n'est pas sans rappeler PSYCHOSE et la fameuse séquence où Anthony Perkins épie Janet Leigh. Le calme et la tempête sont alors séparés par l'image quasi-subliminale d'un crocodile refermant sa mâchoire, et une autre bien plus dérangeante d'une mère cachant le regard d'un enfant en plaquant le visage poupon contre son bas-ventre… Dans le même esprit, le premier plan en couleur du film n'apparaît qu'après quarante-deux minutes de métrage ! L'image n'en est que plus sublime, horrible, incompréhensible, traumatisante…
Malgré ces essais de mise en scène parfois risqués et déroutants, Kōji Wakamatsu réussit pratiquement un sans faute. Son film est lent sans être jamais long. Il est exigent sans jamais se montrer abscons. Il est violent sans jamais céder au gore ou au trash… La seule fausse note du film se trouve peut-être en sa toute fin, alors que le réalisateur ne peut s'empêcher de nous balancer quelques stock-shots décalés d'une jeunesse rendue violente par les événements et la société. Les idées de Wakamatsu sont bien connues et tout à fait respectables, mais elles sonnent ici un peu comme un hors-sujet regrettable. Une veine tentative de justification politique à la folie des hommes ? Nous laisserons donc de côté cette maigre poignée d'images pour ne retenir de LES ANGES VIOLÉS que sa puissance, son incroyable mise en scène, ses acteurs sobres et même la partition psychédélique de Kōji Takamura.
Découvrir cette pépite dans de bonnes conditions n'a rien de compliqué aujourd'hui. Il suffit pour cela de se tourner vers l'éditeur français Blaq Out qui a édité bon nombre de Wakamatsu en DVD. Vous aurez donc le choix entre l'achat du disque à l'unité, ou l'achat du premier coffret (sur trois) dédié au réalisateur. Cette seconde option s'avère bien plus pertinente puisqu'elle vous permettra grosso-modo de découvrir quatre films pour le prix de trois. Dans cette configuration, LES ANGES VIOLÉS sera vendu avec LES SECRETS DERRIERE LE MUR, QUAND L'EMBRYON PART BRACONNER et VA VA VIERGE POUR LA DEUXIEME FOIS qui sont tous d'excellents métrages bien qu'un peu moins en rapport avec notre ligne éditoriale...
Engager le DVD Blaq Out d'un film de Kōji Wakamatsu est toujours un petit plaisir coupable. La lecture s'ouvre en effet sur un spot anti-piratage assez particulier puisque le réalisateur lui-même intervient et sanctionne de manière radicale les contrevenants ! Passé cela, un menu nous offre de lancer le film ou de profiter d'une préface de Marina de Van. En réalité et comme c'est bien souvent le cas, cette intervention se doit d'être visionnée à la suite du métrage, et non avant. La réalisatrice et actrice de l'incroyable DANS MA PEAU nous livre en effet un propos pertinent, intelligent et construit, mais déflorant assez largement le contenu de LES ANGES VIOLÉS.
Concernant le film en lui-même, nous avons pour ainsi dire des conditions optimales de visionnage avec une image proposée au format 2.35 d'origine via un encodage 16/9ème de qualité. Bien sûr on trouvera des griffures ça et là et, sans surprise, les contrastes ainsi que les noirs manquent un peu de force. Mais pour un film à petit budget affichant presque un demi siècle au compteur, nous ne pouvons que saluer le résultat ! En ce qui concerne la partie audio, l'éditeur Blaq Out nous offre l'indispensable avec la piste japonaise mono d'origine, diffusée sur deux canaux. L'écoute est très claire et les sous-titres français permettent une découverte limpide et sans faute. Au-delà de ça, le disque ne proposera que la bande-annonce de UNITED RED ARMY, l'épopée décadente d'un groupe d'extrême gauche vue par Kōji Wakamatsu.