Critique du film
et du DVD Zone 2
L'ESPION QUI VENAIT DU SURGELE
1966
Plusieurs généraux explosent aux quatre coins du monde! Derrière tout cela: le Docteur Goldfoot, toujours vivant et bien décidé à conquérir le monde à l'aide des chinois. Son arme : une armada de filles clonées qui explosent au moindre baiser. Deux portiers d'hôtel se retrouvent malgré eux catapultés espions à la recherche du Dr Goldfoot.
Ah, Mario Bava! Le réalisateur derrière cet ESPION QUI VENAIT DU SURGELE a fait rêver des générations de cinéphiles. Directeur photo émérite, artisans d‘effets spéciaux, auteur de classiques comme LE MASQUE DU DEMON, 6 FEMMES POUR L'ASSASSIN, LA BAIE SANGLANTE, DANGER DIABOLIK… Un très grand du 7e art, reconnu aujourd'hui par le public des initiés comme la critique, quelle qu'elle soit. Oui mais voilà, chaque auteur se trimballe des casseroles. Bava n'était pas très à l'aise avec les Westerns, ses ARIZONA BILL ou ROY COLT ET WINCHESTER JACK sont bien médiocres. Le pire reste sans doute L'ESPION QUI VENAIT DU SURGELE, inédit en salles en France, où, non, franchement, il ne put rien faire pour sauver l'entreprise. Ce film sort pour la première fois en France sous format DVD chez Artus Films.
A bien y regarder, il aurait fallu un miracle. Pourtant… en pleine folie des années 60, AIP lance un croisement entre les films de bikinis/films de plages qui lui ont rempli les poches et le film d'espionnage. Donc l'interminable série des BEACH PARTY : des filles en Bikini, un chanteur beau gosse et roulez jeunesse. Puis les James Bond dont le GOLDFINGER venait de rencontrer un énorme succès. Ajouter une figure tutélaire AIP, à savoir Vincent Price et hop : voici DR GOLDFOOT AND THE BIKINI MACHINE. Le film n'est pas à franchement parler un succès immense comparé aux autres réussites A.I.P, sauf en Europe où il cartonne. Déjà en cheville avec A.I.P, le producteur Fulvio Lucisano via sa société I.I.F veut co-produire une suite, mais surtout pour y incorporer le duo Franco Franchi et Ciccio Ingrassia. Deux comiques excessivement populaires en Italie, jusqu'au milieu des années 70.
Le scénario sera (re)touché par de multiples personnalités des deux côtéés de l'Atlantique. L'idée côté italien semble avoir été initiée par le producteur Fulvio Lucisano, puis écrit par Pipolo (pseudo de Giuseppe Moccia) et Franco Castellano, auteur d'une autre parodie : ARRIVA DORELLIK, chroniqué sur notre site… plus de dialogues additionnels de Franco del Cer. Ceci avec les réécritures de Louis Hayward… et sans compter la main mise à la pâte aux USA par James H. Nicholson (sous le pseudo de James Hartford). Tout ça… pour quoi?
Il en ressort un produit quelque peu bâtard, puisque deux versions sortiront. L'un pour le marché italien, mettant clairement en avant les deux comiques. L'autre pour le reste du monde, les USA en tête, avec Vincent Price en tête de gondole, et raccourci de cinq minutes. Les différences ne s'arrêteront pas là. D'abord un remontage sauvage pour les USA, avec rajout de certaines scènes coupées en Italie. La partition très bande dessinée de Lallo Gori sera expurgée au profit du compositeur AIP maison Les Baxter, offrant cependant une intéressante variation swinguante. Un habitué puisqu'il refit les compositions du MASQUE DU DEMON et des TROIS VISAGES DE LA PEUR pour le marché américain, d'ailleurs distribuées par AIP comme pour LA PLANETE DES VAMPIRES, ce qui laisse à penser que le choix de Mario Bava ne fut pas un pur hasard. Le générique sera différent, les chansons aussi (vue la chanson beuglée par Franchi, on ne peut que s'en féliciter pour la version américaine). L'édition DVD française offre les deux versions, vous pourrez donc facilement vous en rendre compte.
Vincent Price se lâche complètement à l'écran, un peu comme dans le premier DR GOLDFOOT. . Jouer un méchant caricatural à la tête d'une armée de beautés en bikini a du lui plaire - et il le partage à l'écran, jusqu'à venir parler aux spectateurs complices face à la caméra! Il donne aussi dans la travestissement en recouvrant les habits d'une nonne mais tenant de se protéger la barbe par une voilette en parlant aux espions venus faire une descente dans son antre. Zaza Napoli n'était pas très loin.
Ceci posé, on a affaire à une curiosité d'un autre âge qui fatigue dans presque tous les départements. Autant Norman Taurog possédait un certain tempo comique, autant ici Mario Bava (qu'on voit très brièvement le temps d'un cameo) se révèle très peu à son aise, servant plutôt la soupe aux deux zygotos locaux qu'autre chose. Idem pour la direction d'acteurs. Hormis Price en roue libre, le reste n'a que très peu à faire. Laura Antonelli est indéniablement jolie, mais son rôle est à peine écrit - ne lui laissant que le côté belle plante verte (même si le montage américain rajoute sa danse sexy en nuisette). Le chanteur Fabian semble totalement perdu, voire inutile dans cette histoire rocambolesque. Francesco Mule', acteur italien œuvrant aussi dans le doublage, reprend le ton de voix utilisé pour Oliver Hardy dans la version italienne du duo Laurel et Hardy. George Wong, l'habituel second rôle asiatique des productions italiennes comme UN HOMME APPELE KARATE ou encore SHANGAI JOE, la séduisante Moa Tahi (VIERGES POUR LE BOURREAU, LE MONDE TREMBLE) est absente du générique. Elle incarne ici «Hardjob» en référence directe avec la saga James Bond («Oddjob» joué par Harold Sakata dans GOLDFINGER), et là aussi, son rôle reste en retrait de tout.
Mais rien ne prépare le spectateur innocent au monumental degré de connerie assumée des deux comédiens italiens. Pour les connaisseurs, Franchi/Ingrassia n'ont jamais été des chantres de la légèreté. Grimaces en gros plans, gestes exagérés, images accélérées tendance Mack Sennett, tout est bon pour faire le pitre à l'écran. Révélés en 1960 par la comédie musicale JE CHERCHE UNE MAMAN avec Antonella Lualdi, ils apparaitront dans une dizaine de films avec de petits rôles. Jusqu'à éclater dans des films comme I DUE DELLA LEGIONE ou DEUX CORNIAUDS CONTRE COSA NOSTRA en 1964. Une vraie marque de fabrique qui a étrillé l'Italie pendant plusieurs années jusque vers 1975. Franchi parait comme un alter ego de Salvatore Borgese des TROIS FANTASTIQUES SUPERMEN et ses suites, en mode sauvage. Ils avaient déjà sévi sous la houlette de Lucio Fulci pour un pénible 002: AGENTI SEGRETISSIMI parodiant déjà James Bond en 1964. Et c'est forcément un festival dans la version italienne de L'ESPION QUI VENAIT DU SURGELE. Celui qui ne les connait doit se préparer à un choc allant d'« Oh Mon Dieu! » en passant par « c'est quoi ce truc? » jusqu'à même « demain j'arrête les substances illicites, c'est promis ».
Le problème : mal agencé, mal rythmé, alambiqué mais à l'argument très mince, le film demeure beaucoup trop long pour son propre bien. Les scènes s'éternisent, les gags fonctionnent rarement et le comique de situation et slapstick n'arrachent que quelques sourires mous. Il n'y a guère qu'à la fin avec l'évasion en montgolfière, que le non-sens décolle vraiment (au propre comme au figuré). Un esprit très Tex Avery, porté par des effets spéciaux qui se mettent au niveau de la comédie souhaitée. Le final assez ahurissant (osera-t'on dire un hommage involontaire à DR FOLAMOUR?) complète le tableau d'un ton et de gags ayant plus que des emprunts à la culture américaine, des Marx Brothers en passant par les 3 Stooges, voire de version low cost d'Abbott et Costello.
Bava retrouve son âme dans les scènes intérieures, où le goût des couleurs éclate à quelques rares moments. La séquence où le Colonel Benson (Francesco Mule') expose son plan, dans une salle où lecteurs complémentaires rouges et vertes explosent à nos yeux (26mn52 sur le montage US). Idem pour le ballet de jeunes filles explosives, où une variété d'angle de vue organise la profondeur de champ et parvient à devenir dynamique. Mais il retrouvera jamais son style visuel qui fit sa marque de fabrique et c'est à se demander pourquoi il a bien accepté de faire cette parodie (hormis le fait de manger, bien sûr). Il n'était simplement pas l'homme de la situation.
A la vision de la version remontée par AIP, Vincent Price revient clairement sur le devant la scène. La générique reprend des images du 1e GOLDFOOT, avec notamment la scène faisant un clin d'oeil au PUITS ET LE PENDULE, tout en intercalant des images du second pour présenter les acteurs principaux. A noter que si Lucisano est bien au générique de la version US, on ne trouve aucune trace d'AIP au générique de la version transalpine. Récupérant l'ensemble des rushes, les producteurs US vont ainsi ajouter la première scène à l'aéroport, rencontre entre Fabian, Price et ses sbires après l'explosion du général français. En fait, il ne s'agit nullement de simples coupes, mais bel et bien d'UN montage totalement différent, avec des scènes en plus (la séquence du générique avec la chanson des Sloopy's, la première femme-robot, l'explosion du robot Laura Antonelli, entre autres, celle du Général au Pôle Nord…), réorganisant l'ordre de certaines scènes tout en expurgeant la majeure partie des scènes les plus grimaçantes entre Franchi et Ingrassia. Un vrai puzzle à géométrie variable. Les Baxter refait son numéro de remballage musical. Il faut avouer que les 78mn17 sont largement plus supportables - ce qui n'en fait cependant pas un bon film pour autant.
Le film était disponible en version italienne chez 01 Distribuzione en Italie et chez MGM aux USA pour la version en langue de Shakespeare. Artus Films a donc fait l'effort de sortir pour la première fois en France dans sa collection «Ciné Fumetti», avec le film dans ses deux versions, sur deux disques différents. Ceci dans un très joli Digipack aux couleurs très vintage, la couverture est un modèle de réussite, reprenant à son compte le visuel du poster américain de 1966.
Pour la version italienne sur le disque 1, ça sent un peu la déconfiture. La copie alterne de splendides plans Technicolor qui retranscrivent très bien à l'écran sa texture riche et lumineuse. Avec d'autres plans d'une fadeur, d'un manque de précision et d'une laideur spectaculaire, avec de belles rayures blanches et autres poussières diverses. En fait, il semblerait que ce soit le même master qui ait servi au DVD italien de chez 01 Distribuzione sorti en octobre 2005. L'image offre un format 1.78:1 qui reprend le 1.85:1 du Schermo Panoramico lors de sa sortie en salles. Le tout avec un signal 16/9, et une durée de 83mn21. Pour la petite histoire, le film est ressorti quelques années plus tard en Italie avec un autre titre : I CLAN DEI DUE MAFIOSI.
Un autre problème vient se greffer de temps à autres dans la première moitié du film : les sous-titres français ont quelquefois la manie de se retrouver… en plein milieu de l'écran! Très gênant pour la vision du film pour quiconque ne comprend pas l'italien. Par ailleurs, le menu n'offre pas la vision avec ou sans sous-titres, puisqu'offre simplement l'option « film ». il faudra de ce fait jouer avec votre télécommande pour enlever ces fameux sous-titres. La piste sonore italienne en Dolby Digital mono est encodée sur deux canaux. Le générique de début braille dans vos enceintes et sature quelque peu pendant la chanson! Ca s'arrange nettement après, offrant des dialogues relativement clairs et audibles, et laissant à la composition hautement syncopée et Bd-esque de Lallo Gori l'occasion de prendre le dessus - même si parfois elle se révèle un poil trop forcée, à l'image de l'humour du film…
Pour la version américaine, le 2e disque offre d'abord un menu fixe avec les trois accès de chaque doublage via également leurs chapitrages. Et en musique de find la chanson du générique US le montage sensiblement différent s'avère également plus court : 78mn17. Il faudra également subir le doublage en anglais de la plupart des acteurs, hormis Vincent Price et Fabian. Là, le résultat est quand même assez curieux par instants, la plupart des dialogues étant hors synchronisation - notamment chez Franchi/Ingrassia dont la participation a été considérablement réduite pour le public américain. L'image demeure quant à elle plutôt agréable, passé le générique de début qui se signale par une voix off narrée par Vincent Price, adoubé d'une multitude de poussières noires (à 1m01, par exemple). Pour le reste, il s'agit d'un véritable plus par rapport à l'autre disque. Couleurs vives, détails, luminosité..le Technicolor éclate à l'écran. Tout comme la teinte naturelle de peau, le contraste offert (notamment sur les couleurs primaires qui ressortent vraiment du lot). pas de souci de compression notoire et des noirs profonds. Une jolie réussite, avec une image plus douce. Voir en ce sens notre comparatif avec le disque 1 de la copie du montage italien.
Côté sonore la galette offre pas moins de trois options. Tout d'abord la piste anglaise originale en Dolby Digital mono encodé sur deux canaux : la meilleure sélection possible aux vues des deux galettes de cette édition. Pas franchement par la qualité intrinsèque : un léger souffle du mono d'origine transparait tout le long du métrage, mais l'ensemble fait le plus naturel comparé aux autres doublages. Deux versions françaises, rien que ça. La première piste originale à choisir sur le menu optionnel se révèle la plus claire, la plus dynamique et surtout collant au mieux au ton et débit des acteurs à l'écran. Les plus perspicaces et connaisseurs auront tôt fait de reconnaitre des « voix » du doublage de cette époque, notamment Jacques Marin (le français de service dans des films comme CHARADE ou L'ILE SUR LE TOIT DU MONDE) doublant le colonel Benson, entre autres voix connues (comme Michel Muller). Le second doublage français donne dans un ton plus qu'on sent plus chiche sur les détails, étouffé, aux effets sonores amoindris comme enveloppé d'un curieux nuage cotonneux. Il semblerait que ces deux versions aient été effectuées au moment de la sortie Video du film puis de sa diffusion télévisuelle à Cinéma de Quartier. Un intérêt de complétude évident pour le côté historique mais pas franchement indispensable. Au moins, vous avez le choix si vous souhaitez préférer le doublage en langue française!
Pour les bonus, on retrouve la structure habituelle de ce qu'Artus Films propose : à savoir le film annonce original des longs métrages de la collection « Ciné Fumetti », un diaporama d'affiches et photos d'exploitation, photos de tournage, puis un entretien de quelques 21mn avec Eric Peretti qui revient sur la genèse du film. Il est un puits d'informations et d'anecdotes parfois drôles, mais il fallut que le montage du bonus eut songé à intervenir de manière à reprendre les quelques hésitations du discours dispensé… ce n'est pas du tout à l'avantage de l'intervenant. Il y a également un générique de début alternatif, à savoir les images très James-bondiennes du film italien avec la chanson US.
En conclusion, si vous êtes un complétiste de Mario Bava ou Vincent Price, que vous n'avez pas peur de regarder votre montre ou de vous faire griller un quart de lobe de cerveau… ou simplement amateurs du duo comique Franchi/Ingrassia, ce film est pour vous. Pour les autres, on vous souhaite simplement bonne chance, le film revenant moins cher qu'un accessoire SM pour accéder à un éventuel plaisir venu d'ailleurs (ou pas).