Header Critique : WAKE IN FRIGHT (REVEIL DANS LA TERREUR)

Critique du film
WAKE IN FRIGHT 1971

REVEIL DANS LA TERREUR 

Présenté à Cannes en 1971, WAKE IN FRIGHT marque vivement quelques esprits dont celui du jeune Martin Scorcese qui couvrira d'éloges la sulfureuse bobine. A l'époque de sa première sortie, en juillet 1971, la censure avait découpé sans vergogne le film. Celui-ci était resté cinq semaines dans une salle unique à Paris avant de sombrer dans l'oubli pendant une quarantaine d'années. «En Australie, les réactions ont été violentes. Il y a encore peu de temps, il n'existait plus de copies du film. Un passionné en a retrouvé une, par miracle, dans un garage. Il était écrit dessus : À détruire !» a déclaré Ted Kotcheff. Cette ressortie est donc vraiment appréciable même si elle ne s'effectue que de façon très limitée. Néanmoins, il s'agit à présent de la version intégrale du film qui ressort suite à une très bonne restauration réalisée en 2009 à partir des négatifs retrouvés à Pittsburg. Une nouvelle fois, comme lors de sa sortie initiale, le film n'est ainsi visible que dans une seule salle à Paris depuis le début du mois de décembre 2014.

A l'origine de WAKE IN FRIGHT, il y a un roman noir et nihiliste écrit en 1961 par un journaliste australien, Kenneth Cook. Avec des racines autobiographiques, le récit décrit la virée en enfer d'un jeune instituteur australien originaire de Sydney. Paumé dans l'Outback, se retrouvant piégé dans une petite ville poussiéreuse remplis de paysans et ouvriers arriérés qui passent leur journée à boire de la bière chaude, embarqué par des types plus fous les uns que les autres qui prétendent l'aider, ce récit colle à l'esprit qui règne en 1971 mais aussi aux idées de Ted Kotcheff, cinéaste engagé, un peu hippie, qui comme beaucoup est marqué par les images violentes de la guerre du Vietnam. C'est d'ailleurs un sujet que le cinéaste abordera par la suite avec RAMBO et RETOUR VERS L'ENFER.

Le réalisateur suit donc les traces du romancier Kenneth Cook. WAKE IN FRIGHT nous donne ainsi une vision de l'Outback australien, un lieu désertique où les villes sont rares, la poussière, la violence et la bière omniprésente. Aussi psychédélique que dérangé, il ne faut guère d'imagination pour deviner pourquoi le film a disparu durant toutes ces années. Réaliste, quasi documentaire, le film capte à la fois la brûlante chaleur caniculaire du désert australien que l'esprit sauvage de ces immenses plaines. Ainsi sous l'impulsion de Chips Rafferty qui incarnait le shérif, c'est de la véritable bière qui est consommée sur le tournage, logique puisque le film évoque justement une biture sans fin. Tous consomment de la bière sans discontinuer ! Le docteur clochard, personnage iconique du film incarné par Donald Pleasence, aussi effrayant que fascinant le dit lui-même «l'eau, ici, c'est pour se laver». Alors on boit, de la bière mais aussi du wishky, on boit jusqu'à ne plus se reconnaître, se perdre, dans la violence, dans l'éclat de la lumière, dans la fièvre qui les saisit quelque part au bout de la nuit, dans le claquement des fusils durant une chasse endiablé, dans le rire gargantuesque d'ivrognes en train de parier sur pile ou face, un jeu qui va justement perdre le héros.

Parmi les activités d'une population désoeuvrée, il y aussi la chasse qui donne lieu ici à une véritable scène de film d'horreur. Point culminant du cauchemar dans lequel s'est enfoncé le personnage principal de WAKE IN FRIGHT. Ce qui est terrifiant dans le film, c'est ce bad trip sans fin, un huis clos psychédélique dans les grands espaces où le héros se retrouve bloqué dans un univers infernal où tous les instincts, y compris les plus primaires s'expriment dans une violence barbare. Ainsi, complètement, ivres, les chasseurs utilisent de nuit un spot qui hypnotise les kangourous pour ensuite leur tirer dessus comme des lapins. Un véritable massacre qui connaît une conclusion cruelle, l'animal criblé de balles devient alors le centre d'un jeu à l'aspect enfantin. Les scènes choquantes s'accumulent et lorsque l'instituteur tente de s'échapper, inévitablement, l'enfer le rattrape.

WAKE IN FRIGHT, c'est avant tout une peinture sans concession d'une sorte de Western réaliste, avec la poussière, la brûlure du soleil, la chaleur caniculaire, cette image orangée parfois lunaire la nuit venue. Le désert entourant l'école où il est coincé, physiquement et socialement, ressemble à celui de l'ouest américain à peine conquis. La brutalité de la petite ville minière où il se retrouve coincé après avoir perdu tout son argent n'en est que plus marquante. Situé quelque part entre STROMBOLI de Roberto Rossellini et DELIVRANCE de John Boorman, WAKE IN FRIGHT est une véritable descente aux enfers filmée comme un mauvais rêve. Un film de fou furieux touché par un esprit jusqu'au-boutiste et nihiliste. Ce road-movie apocalyptique et psychédélique est de ces films à la fois cinglé et génial qui mérite de figurer au panthéon du cinéma de genre.

Rédacteur : Sophie Schweitzer
Photo Sophie Schweitzer
Passionnée de cinéma et littérature de genre, elle a fait des études de cinéma et travaille désormais comme cadreuse. A côté de son travail, elle écrit des nouvelles fantastiques et horrifiques.
37 ans
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