I GUERRIERI DELL'ANNO 2072 appartient à cette mouvance transalpine croisant les influences des sous-MAD MAX avec des éléments SF glanés ça et là. Tourné en 1983, sorti l'année d'après en Italie puis dans les salles françaises en août 1985 sous le titre 2072 : LES MERCENAIRES DU FUTUR avec un insuccès certain, il n'a guère refait surface depuis...
2072 : les jeux du cirque refont leur apparition et la télévision semble gouverner le monde. De ce fait, les nouveaux gladiateurs s'affrontent sous les caméras du monde entier… quitte à piéger un héros apprécié du public nommé Drake (Jared Martin) afin d'assurer de faire monter l'audimat. Il rejoint une horde de condamnés à mort mené par Abdul (Fred Williamson) et devront livrer une lutte à mort.
Sur le papier, on pourrait presque croire que Lucio Fulci fut un précurseur vu le thème traité. Mais une palanquée de films donnent l'impression de déjà-vu. LE PRIX DU DANGER passe par là, SPARTACUS donne la colonne vertébrale du scénario et l'ombre de ROLLERBALL plane sans que cela ne soit dû au hasard. On repère des éclairs de L'AGE DE CRISTAL via le duo Cosimo Cineri/Eleonora Brigliadori… Tout comme LA COURSE A LA MORT DE L'AN 2000 dont 2072 endosse les oripeaux à peine déposés. Mais quand même, l'anticipation RUNNING MAN et qui trouve presque son prolongement dans THE HUNGER GAMES aujourd'hui. Fulci souhaite faire un péplum (post)moderne d'anticipation, profitant de la mode de l'époque qui faisait la part belle aux 2019 APREE LA CHUTE DE NEW YORK, EXTERMINATEURS DE L'AN 3000… et surtout LE GLADIATEUR DU FUTUR qui surfait également sur exactement le même sujet, tourné quelques mois auparavant. Un sacré melting pot.
Et la recette des transalpins qui recopient ce qui fonctionne au-delà de l'Atlantique s'applique : appel à des têtes d'affiches reconnues et permettant de vendre plus facilement à l'étranger. Donc présence de Jared Martin. Le nom a depuis été oublié, mais il y a 30 ans, cet acteur avait sa réputation, car un des héros de la série DALLAS, soap opéra le plus populaire des années 80. Il remit d'ailleurs le couvert avec FuLci dans AENIGMA. Puis Fred Williamson, une des nombreuses têtes de pont de la Blaxploitation qui tourna déjà en Italie sous la houlette d'Antonio Margheriti pour LA CHEVAUCHEE TERRIBLE. Claudio Cassinelli vient compléter le tableau, acteur récurrent chez Sergio Martino, jusqu'à sa tragique mort accidentelle en 1985. Pour les connaisseurs bisseux, on retrouve cette brute d'Howard Ross (LA LOUVE SANGUINAIRE, L'EVENTREUR DE NEW YORK) à la tête des gardes Prétoriens. Puis les têtes d'Al Cliver (L'ENFER DES ZOMBIES) mais aussi Haruiko «Hal» Yamanouchi qui s'illustra souvent dans ce type de métrages post-madmaxiens italiens. Bizarrement, Al Cliver et Haruiko Yamanouchi se trouvaient justement en tête d'affiche du fameux GLADIATEUR DU FUTUR de Joe d'Amato.
Pendant plusieurs décennies, les italiens réussirent à copier leurs compères américains avec une insolente créativité. Détournant habilement les sujets pour se les approprier, nonobstant les budgets miséreux. Régulièrement, les cinéastes transalpins prenaient un malin plaisir à faire mieux. Sauf que dans les années 80, la donne changea quelque peu. Ici, Fulci livre un film conforme à l'esprit 80's en Italie. Un look un peu cheap, des décors intérieurs parfois rétrécis, des costumes futuristes aux confins du grotesque et surtout, une volonté de grandiose qui rime avec manque de moyens : l'affrontement final de gladiateurs dans un néo-Colisée… sans aucun spectateurs. L'imagination laissée aux bons soins de celles et ceux qui regardent le film pour visionner dans leurs têtes les millions de téléspectateurs qui s'excitent sur les mises à morts.
Avec le recul, ces GUERRIERI DELL'ANNO 2072 se révèlent malgré tout une heureuse surprise, et probablement l'un des deux ou trois meilleurs films du sous-genre qu'il représente. Un film d'action au sujet ambitieux et au scénario un peu plus complexe qu'à l'accoutumée. Qui ne se contente pas que de copier bêtement une formule existante - mais en agrégeant une myriade d'influences. Que Jared Martin ressemble à James Caan (acteur principal de ROLLERBALL) peut éventuellement passer pour une coïncidence. Mais pour le reste, il devient aisé de repérer la provenance des « inspirations » composant cette mosaïque science-fictionnelle. Au-delà de ces repompages coutumiers du cinéma bis italien, Fulci réussit à donner un rythme et un visuel qui se placent au-dessus de la mêlée. Un montage solide signé Vincenzo Tomassi, monteur attitré de Lucio Fulci depuis L'ENFER DES ZOMBIES jusque VOIX PROFONDES. Voir par exemple les combats-entrainements au stroboscope, jusqu'au final qui donne dans la course de chars de type BEN-HUR du futur - toutes proportions gardées pour un Bis. Et des affrontements, cascades, explosions qui scotchent à l'écran : le montage sauve ainsi le film de l'ornière dans lesquels sont tombés des péloches malheureuses comme LA CHASSE AUX MORTS VIVANTS ou RATS. Fulci se laisse également aller à quelques débordements gore, des rayons lasers, des séquences torture physique et mentale avec un clin d'oeil au PUITS ET LE PENDULE… et comme une vision avant-gardiste des méfaits du pouvoir télévisuel et de ses connexions avec le pouvoir. Le duo de scénaristes Elisa Briganti/Dardano Sacchetti, aidés en cela par Lucio Fulci et Cesare Frugoni (AMAZONIA LA JUNGLE BLANCHE ou LA MONTAGNE DU DIEU CANNIBALE) ont vu grand, peut-être trop eu égard aux possibilités des enjeux jetés sur le papier.
L'autre satisfaction demeure les effets spéciaux. Fauchés par rapport aux productions américaines, inévitablement. Une grosse influence de BLADE RUNNER en la matière, mais la vision des miniatures, effets spéciaux optiques menés par Alvaro Passeri reste rafraîchissante. Des décors extrêmement soignés, filmés de manière adroite, révélant une ville illuminée, perdue dans la nuit mais surtout offrant de longs travellings latéraux. Pas de simples effets montrés/cachés aussitôt. De vrais moments de SF et d'imagination, et sans effets numériques. Du véritable travail artisanal de passionné - et qui donne le résultat escompté. Certes, on pourra reprocher certaines lacunes comme le vaisseau spatial géostationnaire, mais de manière générale, l'ensemble est d'une tenue tout à fait sympathique. Le tout accompagné de maquillages sanglants et autres visages déformés made in Rosario Prestopino (DEMONS et DEMONS 2, LE MANOIR DE LA TERREUR), il s'agit bien d'une aventure en territoire fulciesque, même si la thématique apparait singulièrement différente de ses autres films. Mais la caméra et le récit gardent cet aspect contestataire de l'ordre établi et contre le nivellement de la pensée par le bas.
Comme Ruggero Deodato réussissait son pari avec ATLANTIS INTERCEPTOR, que l'on peut trouver plus dynamique malgré un script parfois aux confins de l'incompréhensible, Fulci emballe un film assez noir (visuellement comme son thème global) mais courageux. Tout en restant dans les limites du bis dont il ne dépasse que très rarement la tête. Après la tentative ratée de CONQUEST, Fulci avait comme un sursaut d'auteur. Mais qui sera de courte durée, rejoignant peu après la grosse majorité des réalisateur italiens (Martino, Lenzi…) qui manquèrent quasiment tous le virage post 1985. Date de l'avènement de la télévision-poubelle italienne et de l'émergence du marché de la vidéo. Donc la mort à petit feu du principe du cinéma populaire italien. Tous, par ailleurs, finirent par rejoindre les studios de télévision.
L'éditeur/distributeur italien 01 Distribution a déjà sorti quelques DVD de films de genre que nous affectionnons. Mais ici, on constate le drame : disponible en 2013, les acheteurs émérites verront un horrible master 4/3 aux rayures vintage. Presque du niveau d'une copie VHS, une vraie honte. Les nostalgiques peu exigeants qui restent bloqués en avant 1990 et qui font abstraction des progrès technologiques apprécieront cette édition au rabais. Les autres auront cette sensation de se faire prendre pour des cons. Hors de question de supporter une telle couillonnade sous prétexte de la rareté du film en question. Maigre consolation : le film se présente au format initial de 1.85:1. Sans compter qu'il faudra se contenter du pénible doublage italien, et sans aucun sous-titre. De l'art de prendre les consommateurs pour des idiots. Un film qui sent le fond de catalogue à pas cher avec l'exploitation d'un master de fond de chiotte. A mettre à côté du DVD sorti chez Troma sous le tire NEW CENTURIONS, qui contenait au moins quelques bonus comme une interview la fille de Lucio Fulci. Ici : rien, niente, nada, nothing, lichts, zilch.
Une copie sombre, striée de poussières blanches et autres griffures pendant la totalité des 90mn16. A croire que le télécinéma a été opéré depuis une copie 35mm quelque peu fatiguée. Aucun contraste, une bouillie de niveaux de noir dans les scènes d'obscurité - et elles sont nombreuses - si bien que le travail de de la photographie de Giuseppe Pinori (qui signe aussi celle de MURDEROCK) passe à la trappe. Il existe un flou déplorable sur une majorité de scènes en plan large et une définition d'un niveau parfaitement lamentable. Quel gâchis!
La piste italienne encodée en mono sur deux canaux offre elle une qualité moyenne mais acceptable vu l'aspect général du DVD. La musique électronique - et un chouia répétitive - de Riz Ortolani s'en sort avec tous les honneurs et les dialogues demeurent très audibles le long du film, quelques peu perdus dans des bruitages futuristes là aussi très clairs à l'oreille.