Employé d'une société d'édition de bandes dessinées, Paolo Coniglio (Paolo Villaggio) est en charge de l'héroïne Dalia. Afin de s'évader de son quotidien morose et de son prochain mariage avec Marina (Sofia Lombardo), il rêve régulièrement d'exploits fantastiques en Superman, Parsifal ou encore Tarzan pour sauver Dalia... Jusqu'à ce que la réalité le rattrape. Existerait-elle sous les traits de Janet Agren, poursuivie par des maffiosi dont elle cache un mystérieux microfilm ?
Personnage lunaire, gaffeur, distrait, Paolo Villaggio est un acteur très célèbre en Italie. Surtout pour son personnage de FRACCHIA, dont un inénarrable FRACCHIA CONTRO DRACULA. Ou encore l'énorme FANTOZZI, qui va générer sur 25 ans 9 séquelles, sous la houlette de Luciano Salce et que le réalisateur florentin Neri Parenti reprendra dès 1983... ceci jusqu'à l'avatar fantastique de FANTOZZI 2000 : LE CLONAGE de Domenico Saverni. Malgré cela, Paolo Villaggio demeure totalement inconnu en France, sauf peut-être des cinéphiles puisqu'il a été le héros de LA VOCE DELLA LUNA de Federico Fellini. Au risque d'une comparaison, on pourrait presque trouver du Pierre Richard comme correspondant français : la scène de poursuite dans l'opéra dans SOGNI MOSTRUOSAMENTE PROIBITI ressemble diablement à celle de LA COURSE A L'ECHALOTE au sein de la troupe de l'Alcazar. En beaucoup moins bien.
C'est donc tout naturellement que Neri Parenti et Villaggio se retrouvent pour élaborer ces «Rêves Monstrueusement Interdits» d'un italien moyen englué dans son quotidien grisâtre. Et dont le futur se nomme Alida Valli, dans le rôle de la future belle-mère acariâtre jusqu'à la caricature. Alida Valli a du sentir une bien grande solitude en voyant le rôle... il est bien loin le temps de SENSO ou même de SUSPIRIA ! De toute manière, les personnages restent réduits à l'état de grotesque et stéréotypés. Le méchant mafioso Fonseca ne demande pas à Chris Avram (LA BAIE SANGLANTE, LA PEUR AU VENTRE) des tonnes de jeu : froncer les sourcils, se la jouer suave et finir en parfait salopard de comédie all'italiana. Idem pour la fiancée Marina, gentille mais forcément disgracieuse côté visage. Et rebelote pour la charmante Janet Agren, qui reste la potiche blonde dénudée, objet de tous les fantasmes des virils cinquantenaires transalpins. Totalement sexiste, bien sûr.
Arrêtons-nous quelques instants aux côtés de Janet Agren, bien connue des amateurs de bis italien. Cette mannequin/actrice suédoise a fait les belles heures de nos écrans cinéma et télévisuels. Qu'elle promène sa silhouette gracile dans des machins informes comme BERMUDES TRIANGLE DE L'ENFER, LA SECTE DES CANNIBALES, PANIQUE ou LA NUIT DES REQUINS, des séries B sympathiques comme ATOMIC CYBORG et même MYSTERE, ou encore des classiques comme FRAYEURS et, soyons fous, KALIDOR LA LEGENDE DU TALISMAN –classique du bis ayant couté plusieurs millions de $, s'entend pour celui-là- elle possède une présence indubitable, lumineuse. Elle a gentiment glissé vers la comédie au début des années 80, depuis UNE LANGOUSTE AU PETIT DEJEUNER, LA PROF D'EDUCATION SEXUELLE ou encore OCCHIO MALOCCHIO PREZZEMOLO E FINOCCHIO, chroniqué sur le site. Viva Janet !
Les influences du film vont des plus évidentes, comme celle du remake officieux de LA VIE SECRETE DE WALTER MITTY, dont une nouvelle version avec Ben Stiller sort début 2014. (NB : En Italie, le film de Norman Z. McLeold avec Danny Kaye se nomme SOGNI PROIBITI, ceci expliquant le titre italien de la version Parenti/Villaggio). Mais d'autres plus obscures, avec certains gags provenant de clins d'œil directs à certains films de la série des FANTOZZI. Dont celui de la bicyclette sans selle (!). On peut également déceler le second sketch de IO TIGRO, LUI TIGRI, EGLI TIGRA où Villaggio est un scénariste projeté dans le monde de science-fiction qu'il écrit. Les plus alertes en culture populaire et sportive des années 80 auront tôt de reconnaitre la référence à Bjorn Borg, tennisman ultra-célèbre reconverti aujourd'hui en designer de sous-vêtements, que Paolo affronte sous les beaux yeux de Dalia. Egalement lorsque le Commissaire Rovere (Alessandro Haber) égrène des noms de suspects, en fait ceux de certains participants au film. Jusqu'à la présence du fameux présentateur TV italo-américain Mike Bongiorno via un quizz télévisuel impossible : donner les noms de spectateurs ayant assisté dans la courbe sud - Tribune H au match entre l'Uruguay et le Brésil lors de leur rencontre au stade Maracaña en 1972 !
On passera gentiment sur la qualité navrante des effets spéciaux, générant l'un des aspects fantastiques du film. Si la scène des clients s'enfuyant effrayés de l'hôtel Nos. Feratu (!) peut amuser, le reste est moindre. Le passage à la Superman fait vraiment pitié, entre transparences hideuses et animation lamentable. Tout à coup, le niveau de L'INCROYABLE HOMME PUMA trouve son correspondant l'espace de deux minutes.
La comédie prend ainsi le pas le sur reste. Les gags demeurent «hénaurmes» sans sombrer pour autant dans du Mariano Laurenti version LA LYCEENNE et ses nombreux succédanés ou du Sergio Martino façon SEXYCON. Si Janet Agren se déshabille, on reste dans du titillement visuel. Le style visuel assez passable tendance TV s'accommode mal des gags qui se veulent BD et les digressions dans la fiction s'insèrent de manière bancale dans le récit. Le film reste surtout un marchepied au show Villaggio qui déferle sur l'écran. Une certaine méchanceté pointe le bout de son nez avec le vieil aveugle qui se fait renverser à plusieurs reprises – jusqu'à en mourir.
En même temps, on serait bien malaisé de faire la fine bouche. SOGNI MOSTRUOSAMENTE PROIBITI fait rire, indéniablement De manière irrégulière, certes, mais le propos de laisser sa réalité de côté afin de vivre pleinement ses rêves colle bien aux exactions cauchemardesques que vit Coniglio (= lapin en VF). Il existe bien un soupçon d'ironie mordante sur le mâle italien castré, sur le jeu des gags à la fois référentiels, aux accents de Buster Keaton par instants, comique de répétition, slapstick... Paolo Villaggio joue sur tous les tons. Même lorsqu'au final le film glisse complètement dans la réalité alternative – ou pas ?
Ça ne fait pas mouche à chaque fois, faute d'un metteur en scène qui ne possède pas vraiment le sens du rythme, de la réparti. Le tempo fonctionne de manière aléatoire : quelques gags sont trop longs, d'autres ultra-prévisibles et clairement dirigé vers le «grand public». Il ne faut donc pas choquer. Mais les non-sens provoquent parfois une hilarité saugrenue – et bienvenue. Neri Parenti n'arrive pas à la cheville de Dino Risi ou de Mario Monicelli. Ces rêves monstrueusement interdits s'accommodent cependant très bien d'une soirée pluvieuse.
Le DVD italien de chez Cecchi Gori est passable. Au format 1.78:1 et avec un signal 16/9e, accessible via un accès chapitré découpé en 16. Le rendu visuel est typique des productions italiennes des années 80. Un rendu lisse, quasi télévisuel, aux couleurs atténuées. Certains gros plans en intérieur bénéficient d'une définition agréable, tandis que les plans extérieurs (au début avec la séquence de la voiture seule sur le parking, par exemple), dénotent une fadeur décevante. Le nettoyage n'est pas vraiment de mise, tant les aspérités, griffures noires parsèment le film : les 30 premières secondes font un festival à elles seules. Visible dès le générique de début sur fond clair, cela s'arrange vaguement par la suite. Mais leur présence demeure (voir entre le 26e et 27e minute pendant la séance de télévision). Ceci ne gêne en rien la vision du film, mais on constate que le transfert date. La compression est aussi médiocre par moments, avec des contrastes pauvres en scènes nocturnes, des noirs tendant au grisâtre et si l'on fait bien attention, quelques jolis pixels qui apparaissent. Les contours des personnages dans les plans d'ensemble sont cependant flous (à 71mn35, entre autres)… entre la définition hasardeuse, les griffures noires et les couleurs passées, le spectateur ne fait pas la fête devant son écran.
Côté audio, une piste italienne indiquée en mono 2.0, mais qui se révèle une stéréo très discrète. Sur les canaux avant, cela met surtout en évidence la partition de Bruno Zambrini. Une bonne surprise, car les années 80 ont marqué le cinéma italien par d'affreux zigouigouis électroniques particulièrement détestables. Ici, Zambrini donne une OST amusante, très orientée BD, et parfois bien débridée. Elle ressort de bonne manière lors de la restitution sonore. Le débit binaire parait irrégulier par instants, mais ne gêne pas l'audition des dialogues. Ceux-ci semblent clairs, même dans les borborygmes incessants de Paolo Villaggio. Par contre, cette édition est faite pour les italianophones : seuls des sous-titres amovibles pour sourds et malentendants en langue italienne sont disponibles.
Enfin, Cecchi Gori a gâté les amateurs car il y a pléthore de bonus. Déjà des biographies sur Paolo Villaggio et Alessandro Haber. Mais surtout des interviews du réalisateur Neri Parenti (12mn19, en 4/3) et de Giovanni Manganelli (14mn59, en 4/3). Parenti y explique entre autres que la mode était aux remakes dans les années 80 en Italie et que Villaggio et lui se dirigèrent logiquement vers cette éventualité. Il donne également un éclairage sur la différence entre l'écriture du scénario et le tournage même, où les idées visuelles de gags (chutes, etc.) divergent forcément de celles couchées sur la papier – alors que rien ne soit laissé à l'improvisation malgré tout. Manganelli parle lui de son parcours de sculpteur, assistant réalisateur de Duccio Tessari (sur BIG GUNS et LES ENFANTS DE CHŒUR), entre autres, et son travail, sa méthode d'écriture pour ce SOGNI MOSTRUOSAMENTE PROIBITI et sa volonté de développer la fantaisie, la mélancolie du personnage de Coniglio.